Livre : les femmes d’émigrés ouest-africains confient leur solitude dans « De si longues nuits »

Les journalistes Aurélie Fontaine et Laeïla Adjovi sont parties à la rencontre de femmes qui, en Afrique de l’Ouest, attendent leurs époux émigrés. Elles ont choisi de rapporter dans un livre les portraits et témoignages de ces épouses ou fiancées esseulées.

Détail de la couverture de l’ouvrage « De si longues nuits » © Laeïla Adjovi

Détail de la couverture de l’ouvrage « De si longues nuits » © Laeïla Adjovi

KATIA TOURE_perso

Publié le 16 janvier 2019 Lecture : 3 minutes.

L’émigration vécue par celles qui restent au pays dans l’attente du retour d’un fiancé ou d’un mari. C’est cette histoire que les journalistes Aurélie Fontaine et Laeïla Adjovi, basées à Dakar, ont choisi de relater, sous l’angle du photoreportage, dans « De si longues nuits ». Le duo s’est ainsi rendu à Louga, au Sénégal, mais aussi à Béguédo, au Burkina Faso, deux foyers de migrations en zones rurales, pour recueillir les témoignages de ces femmes qui attendent parfois dix, vingt ans, voire toute une vie. Leur quotidien y est rythmé par la solitude, l’espoir, les désillusions et la pression familiale.

Les journalistes ont également choisi d’aller à leur rencontre à Abidjan, capitale économique de la Côte d’Ivoire, où « les gens acceptent davantage une femme seule avec un ou deux enfants que dans les sociétés à domination musulmane », d’après l’analyse, recueillie par Aurélie Fontaine, d’un sociologue ivoirien.

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Mariée très jeune à un homme toujours absent, Ndeye Fatou (pseudonyme) a mis près de trente ans a obtenir le divorce. Louga, Sénégal, 2015. © Laeïla Adjovi

Mariée très jeune à un homme toujours absent, Ndeye Fatou (pseudonyme) a mis près de trente ans a obtenir le divorce. Louga, Sénégal, 2015. © Laeïla Adjovi

Mariée très jeune à un homme toujours absent, Ndeye Fatou (pseudonyme) a mis près de trente ans a obtenir le divorce. Louga, Sénégal, 2015. Crédit : Laeïla Adjovi.

C’est en 2010 qu’Aurélie Fontaine commence une série de reportages à Louga. « À cette époque, on ne parlait pas vraiment de ce phénomène, alors que c’est l’envers de la migration », se souvient la journaliste, qui a fait appel à Laeïla Adjovi pour accompagner les témoignages de portraits photographiques. Au fil des pages, ces portraits, réalisés à l’argentique et en noir et blanc, font terriblement écho à la parole, empreinte de dignité, de regrets, de colère ou de résilience, de ces femmes qui posent, sous couvert d’anonymat, un regard sur leur condition.

Photographie analogique pour illustrer l’attente

« Il fallait mettre en images le temps long. Le processus photographique analogique, en plus d’être artisanal et plus sophistiqué, permet d’exprimer l’attente de ces femmes », explique à Jeune Afrique Laeïla Adjovi. La plupart des intervenantes parlent sous couvert d’anonymat et refusent d’être reconnues, d’où des portraits de dos comme celui de la jeune Awa qui, à Louga, a attendu son mari pendant cinq ans. Ou, à Abidjan, celui de Danielle, 34 ans, mère de deux filles et épouse d’un benguiste (terme qui désigne un Ivoirien parti en Europe), de retour après s’être marié au Sénégal. Ce dernier refuse de lui accorder le divorce. « Ces femmes ne sont pas fières de parler de leur misère sociale et affective. Il y a une certaine gêne et une forme de pudeur que nous voulions respecter. L’idée n’était pas de les secouer dans leurs certitudes. »

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Danielle (pseudonyme), 34 ans, n’était pas vraiment pour que son mari aille vivre à l’étranger, Mariée à 18 ans à un médecin qui gagnait plutôt bien sa vie, elle s’est laissée convaincre quand il lui a expliqué qu’il aurait de meilleurs revenus en exercant ailleurs, et que c’était « pour mettre les enfants de bonnes écoles ». Abidjan, Côte d’Ivoire, 2015. © Laeïla Adjovi

Danielle (pseudonyme), 34 ans, n’était pas vraiment pour que son mari aille vivre à l’étranger, Mariée à 18 ans à un médecin qui gagnait plutôt bien sa vie, elle s’est laissée convaincre quand il lui a expliqué qu’il aurait de meilleurs revenus en exercant ailleurs, et que c’était « pour mettre les enfants de bonnes écoles ». Abidjan, Côte d’Ivoire, 2015. © Laeïla Adjovi

Danielle (pseudonyme), 34 ans, n’était pas vraiment pour que son mari aille vivre à l’étranger, Mariée à 18 ans à un médecin qui gagnait plutôt bien sa vie, elle s’est laissée convaincre quand il lui a expliqué qu’il aurait de meilleurs revenus en exerçant ailleurs, et que c’était « pour mettre les enfants dans de bonnes écoles ». Abidjan, Côte d’Ivoire, 2015. Crédit : Laeïla Adjovi.

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À Louga, Mariam, mariée contre son gré à un émigré, raconte être tombée enceinte d’un autre, au bout de trois ans d’attente, afin que son mari la répudie. À Béguédo, petite ville appelée « Little Italy » – du fait des milliers d’hommes de la région, appelés « Italiens », ayant migré au cours des années 2000 – , Alimata, 26 ans, n’a passé que six mois de sa vie avec son époux en sept ans de mariage. Autant de regards douloureux sur des existences parfois brisées. Aurélie Fontaine envisage prochainement d’aller présenter l’ouvrage à Louga, là où tout a commencé. « Une façon de continuer le travail et d’engager des discussions », précise-t-elle.

Au Burkina Faso, la petite ville de Béguédo est parfois appelée ‘Little Italy’. Au fil des années, des milliers d’hommes de l’ethnie Bissa, majoritaire dans cette région, ont migré en Italie. Le retour périodique des « Italiens » suscite l’engouement des jeunes filles. Béguédo, Burkina Faso, 2015. © Laeïla Adjovi

Au Burkina Faso, la petite ville de Béguédo est parfois appelée ‘Little Italy’. Au fil des années, des milliers d’hommes de l’ethnie Bissa, majoritaire dans cette région, ont migré en Italie. Le retour périodique des « Italiens » suscite l’engouement des jeunes filles. Béguédo, Burkina Faso, 2015. © Laeïla Adjovi

Au Burkina Faso, la petite ville de Béguédo est parfois appelée ‘Little Italy’. Au fil des années, des milliers d’hommes de l’ethnie Bissa, majoritaire dans cette région, ont migré en Italie. Le retour périodique des « Italiens » suscite l’engouement des jeunes filles. Béguédo, Burkina Faso, 2015. Crédit : Laeïla Adjovi.

De si longues nuits – La solitude des épouses d’émigrés en Afrique de l’Ouest
Textes d’Aurélie Fontaine
Photographies de Laeïla Adjovi
L’Harmattan, mai 2018, 98 pages.
12,50 euros

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