Petits arrangements entre amis

Tractations et marchandages déconsidèrent la commission spécialisée de l’ONU. L’accession d’une Libyenne à la présidence n’étant qu’un épisode de ce qui s’apparente à une tragi-comédie.

Publié le 27 mai 2003 Lecture : 5 minutes.

Triste printemps pour l’ONU. Alors que le Conseil de sécurité a été dans l’incapacité d’éviter une guerre unilatérale contre l’Irak, relançant le sempiternel débat sur l’utilité du « machin », la Commission des droits de l’homme (CDH) de l’ONU s’est une fois de plus illustrée par sa propension à épargner ses États membres. Là encore, la question se pose avec de plus en plus d’insistance : n’est-il pas temps de réformer cette Commission créée en 1947 ? Récit d’une tragi-comédie en trois actes.

Acte I : la présidence. La Commission est composée de 53 États membres, réunis en cinq groupes géographiques (Afrique, Amérique latine et Caraïbes, Asie, Europe orientale, Europe occidentale et autres pays). Le 20 janvier 2003, s’ouvre à Genève la 59e session annuelle de la CDH. Il faut élire un président. Cette année, le siège revient au groupe Afrique. Son candidat : Najat el-Hajjaji, citoyenne… libyenne. Pendant des mois, un certain nombre de pays – au premier rang desquels les États-Unis – et d’organisations non gouvernementales ont tenté de dissuader les Africains de faire un choix pour le moins surprenant au regard des multiples accusations de violation des droits de l’homme proférées à l’encontre du régime de Kadhafi, par ailleurs toujours sous le coup de sanctions… de l’ONU, certes suspendues en 1999. Mais le continent fait bloc et Najat el-Hajjaji est élue avec 33 voix pour, 3 contre (Canada, États-Unis et Guatemala) et 17 abstentions. Tripoli crie victoire, les associations hurlent à la plaisanterie.

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Acte II : les travaux. Pendant six semaines, du 17 mars au 25 avril, la Commission se penche sur la situation des droits de l’homme dans le monde. Le communiqué officiel de clôture fait état de l’adoption de 86 résolutions, 18 décisions et 3 déclarations de la présidence. La CDH souligne notamment la condamnation, par trois résolutions, des violations systématiques massives et graves des droits de l’homme en République populaire démocratique de Corée ; d’une politique gouvernementale fondée sur la répression au Turkménistan ; de cas de disparitions forcées ou d’exécutions sommaires en Biélorussie.
Pour le reste ? Circulez, il n’y a rien à dire… Les exactions russes en Tchétchénie ? Le texte présenté par l’Union européenne est rejeté (21 voix contre, 15 pour, 17 abstentions). Les droits de l’homme au Soudan, au Zimbabwe ? Aux oubliettes, grâce notamment aux pays africains. La Chine ? Pas à l’ordre du jour. La situation en Afghanistan ? La Commission prie l’Autorité de transition de bien vouloir respecter ou ratifier un certain nombre de conventions internationales. L’Irak, où vient de démarrer la guerre ? La motion préconisant la tenue d’une séance extraordinaire sur les droits de l’homme et la situation humanitaire du fait du conflit est repoussée par 25 voix contre, 18 pour et 7 abstentions.
La presse se fera largement l’écho des tractations, marchandages et autres petits arrangements entre États pour préserver tel allié ou tel partenaire potentiel. Le secrétaire général de l’ONU lui-même n’a pu que constater l’ampleur de l’hypocrisie ambiante. Le 24 avril, veille de la clôture des travaux, Kofi Annan s’adressait aux membres de la CDH en termes peu amènes : « Votre voix a été affaiblie par les dissensions de ces derniers mois et votre message a perdu en clarté. » Bref, en crédibilité.
Nul doute que le cas de Cuba n’a pas contribué à redorer le blason de l’institution. Le 18 mars, Fidel Castro lance la plus grande vague de répression que l’île communiste ait connue ces dix dernières années. Près de 80 Cubains – journalistes, dissidents, poètes – sont envoyés en prison réfléchir à la condition d’opposant au régime, accusés d’être des agents de la subversion, des traîtres à la patrie, évidemment à la solde des États-Unis. Cuba participe depuis la veille aux débats de la CDH ? Et alors ! Après 29 procès sommaires, tenus du 3 au 7 avril, 75 détenus sont condamnés à des peines allant jusqu’à 28 ans de réclusion. Mises bout à bout, ces peines totaliseraient 1 454 années d’enfermement.
Et ce n’est pas tout. Le 2 avril, un groupe de Cubains tente de détourner un ferry dans le port de La Havane pour fuir vers la Floride. Le 11, les trois principaux responsables sont fusillés. Castro se fait sermonner par le pape Jean-Paul II, mais pas par la CDH. Le 17 avril, la Commission adopte une résolution (24 voix pour, 20 contre, 9 abstentions) où elle se contente d’exprimer sa « satisfaction de la nomination de Mme Christine Chanet comme représentante personnelle du haut-commissaire aux droits de l’homme aux fins de l’application de la résolution 2002/18 dans laquelle la Commission invitait le gouvernement cubain, sans méconnaître ses efforts pour donner effet aux droits sociaux de la population, à s’efforcer de réaliser des progrès similaires dans le domaine des droits civils et politiques ». En revanche, l’amendement présenté par le Costa Rica, soutenu par les États-Unis et l’Union européenne, et critiquant les arrestations et condamnations récentes est purement écarté…

Acte III : l’élection. Le 29 avril, la CDH procède au renouvellement de 24 de ses membres pour l’exercice 1er janvier 2004-31 décembre 2006. La réélection de Cuba fait bondir Washington, bien sûr, mais aussi les organisations de défense des droits de l’homme. De fait, la liste des États membres de la CDH ressemble furieusement à un tableau de chasse de Human Rights Watch ou d’Amnesty International. Mais ce qui peut apparaître comme un plébiscite du régime castriste pose un véritable problème de fond. Cuba a conservé son siège à la Commission parce que le groupe Amérique latine et Caraïbes disposait légalement de six sièges, et que seuls six candidats – dont Cuba – ont été présentés. Déjà, après l’élection de la Libyenne Najat el-Hajjaji à la présidence de la CDH, les ONG avançaient l’idée d’instaurer des critères qui devraient s’imposer aux pays souhaitant devenir membres de la Commission. Est-il déraisonnable de leur demander, par exemple, d’avoir ratifié les principales conventions des droits de l’homme et d’autoriser les rapporteurs spéciaux de l’ONU à leur rendre « visite » ?
Reste à déterminer des critères acceptables par tous. Les États-Unis, pour ne citer qu’eux, refusent toujours de reconnaître la Cour pénale internationale. Ils se sont illustrés lors de la 59e session de la CDH en étant les seuls à voter contre des résolutions portant sur la prorogation pour trois ans du mandat du rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation ; le droit de toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale susceptible d’être atteint ; le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et toutes les formes de discrimination ; le maintien d’un paragraphe engageant les États à abolir le plus tôt possible, par une loi, la peine de mort pour des personnes âgées de moins de 18 ans au moment où l’infraction a été commise. Dans un peu moins d’un an, la CDH tiendra sa 60e session. Les ONG auront-elles d’ici là été entendues ?

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