27 mai 1960: Coup d’État militaire en Turquie

Publié le 26 mai 2003 Lecture : 3 minutes.

«Mon objectif, et celui de ce coup d’État, est d’instaurer une démocratie juste, honnête et solide. » Le ton est ferme, l’allure martiale. Pour le général Gürsel, 65 ans, l’heure de la retraite n’a pas encore sonné. Curieuse facétie de l’Histoire : trois semaines plus tôt, le 3 mai 1960, le chef d’état-major de l’armée turque avait été limogé par le gouvernement. En ce 28 mai, de retour à Ankara, il tient sa revanche. Et sa première conférence de presse.
La veille, entre minuit et 4 heures du matin, l’armée a pris le pouvoir. Dans la capitale, des chars encerclent la résidence du président de la République, Celal Bayar. Tous les membres du gouvernement sont détenus à l’Académie militaire pour « être protégés de la fureur populaire ». Le Premier ministre, Adnan Menderes, alors en tournée en Anatolie, tente de fuir. Trop tard : son automobile est repérée entre les villes d’Eskisehir et de Kütahya. Arrêté, il sera ramené à Ankara. À Istanbul, les troupes du général Özdilek ne rencontrent aucune opposition sérieuse tandis que l’enthousiasme de l’équipage d’un destroyer mouillant dans le Bosphore témoigne du soutien de la Marine à cette révolution.
Si l’armée a mis sur pied une administration provisoire « pour rétablir l’ordre en attendant la tenue d’élections libres », elle ne manque pas d’arguments : secoué depuis deux mois par des manifestations qui ont fait cinq victimes, le pays est au bord de la guerre civile. À la virulence du Parti républicain du peuple (PRP, opposition) répond la dérive dictatoriale du Parti démocrate (au pouvoir).
Depuis l’instauration de la République par Mustapha Kemal dit « Atatürk » en 1923, la société s’est vu imposer de grands changements, mais elle n’a aucune expérience du jeu démocratique. En 1945, pourtant, la Turquie, alliée du « monde libre » contre le communisme, doit montrer l’exemple. Bien que le PRP (kémaliste et laïque) ait renoncé à son statut de parti unique, il n’admettra jamais cette ouverture, et notamment l’existence du Parti démocrate, d’autant plus honni qu’il est le produit d’une scission en son sein et de la rivalité qui opposa Ismet Inönü, successeur d’Atatürk, à Celal Bayar, qui fut lui aussi un de ses lieutenants.
Sous l’égide de Bayar et d’Adnan Menderes, un riche propriétaire terrien au verbe flamboyant, le Parti démocrate, ardent défenseur des libertés publiques et de la libre entreprise, répond aux aspirations de la bourgeoisie urbaine, de l’intelligentsia et de l’aristocratie foncière. Il remporte les élections en mai 1950.
Dix ans plus tard, il y a loin de la réalité aux idéaux. Certes, Menderes est l’artisan d’une révolution économique menée au pas de charge et avec l’aide des États-Unis : construction d’infrastructures, modernisation de l’agriculture, développement du commerce et de l’industrie. Mais pour en atténuer le choc et gagner les faveurs des campagnes, le Premier ministre a favorisé un retour aux pratiques de l’islam. De quoi irriter le très laïque PRP et l’armée…
Les difficultés s’accumulent : mauvaises récoltes, inflation… Incapable de dominer la crise, le gouvernement ne supporte plus la critique. Il fait voter des lois d’exception qui musèlent la presse et permettent de faire partir à la retraite les juges trop libéraux à son goût. C’est l’établissement d’une commission parlementaire chargée d’enquêter sur les activités – supposées subversives – de l’opposition qui met le feu aux poudres, le 17 avril 1960. Batailles rangées au Parlement, manifestations estudiantines aux cris de « Liberté ! » et de « Menderes démission ! » se succèdent. Jusqu’à l’intervention de l’armée.
Le général Gürsel cumule alors les fonctions de chef de l’État, de commandant des forces armées et de président du Comité d’union nationale. Ce dernier, composé d’officiers, se substitue à l’Assemblée dissoute en attendant la tenue de nouvelles élections. Ces dispositions sont confirmées par la Constitution du 12 juin, qui prévoit aussi la traduction des responsables déchus devant la Haute Cour de justice. Quinze membres du gouvernement Menderes ou du Parti démocrate seront condamnés à mort. Douze d’entre eux – dont l’ancien président Bayar – verront leur peine commuée. Menderes et ses ministres des Affaires étrangères et des Finances, Fatih Rüstü Zorlu et Hasan Polatkan, seront exécutés par pendaison en septembre 1961.

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