Luc Mbarga Atangana : « Sauvegardons notre banane »

Le patron de la première compagnie bananière camerounaise prédit une concurrence accrue sur le marché européen. De quoi inquiéter les pays producteurs du groupe Afrique-Caraïbes-Pacifique.

Publié le 26 mai 2003 Lecture : 3 minutes.

Luc Mbarga Atangana, 48 ans, a été nommé, début avril, président du conseil d’administration de la Société des bananeraies de la M’Bomé, « SBM » pour les initiés. Celle-ci produit 180 000 tonnes de bananes par an sur un total de 250 000 pour le Cameroun. Si le capital de ce géant de l’économie locale est en cours de restructuration, la Compagnie fruitière française y reste majoritaire, aux côtés de l’américain Del Monte et de l’État camerounais. La nomination, à sa tête, de Luc Mbarga Atangana n’est pas surprenante : ce dernier travaille dans la filière de la banane depuis 1981. Il a été envoyé à Paris en 1983 pour représenter les intérêts du Cameroun en Europe. Il y est resté et, depuis, est devenu le représentant à Bruxelles de tous les pays du groupe Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP) pour la banane. Le « fruit de la discorde », puisqu’il est à l’origine d’une grave dispute commerciale entre l’Union européenne (UE) et les États-Unis. En le nommant à la tête de sa première compagnie bananière, le Cameroun espère renforcer sa position face aux pays du Nord.

J.A./L’INTELLIGENT : Vous êtes maintenant président de la Société des bananeraies de la M’Bomé, mais repartez dans quelques jours à Paris, où vous continuerez à résider. Malgré votre nouvelle fonction, vous restez très engagé dans votre rôle de représentant des pays ACP ? LUC MBARGA ATANGANA :
Oui, car les pays ACP producteurs de bananes ont deux échéances très dures à affronter : d’abord celle de l’élargissement de l’Europe communautaire, le 1er mai 2004. Nous souhaitons bien entendu que les dispositions prévues par les accords de Lomé, en l’occurrence un contingentement des importations européennes qui nous permet de vendre nos
bananes en franchise de douane dans les pays membres de l’UE, soient élargies aux nouveaux pays membres [Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, République tchèque, République slovaque, Slovénie, NDLR]. Les États-Unis, jusqu’à présent seuls fournisseurs de ces derniers, s’y opposent catégoriquement. Et puis, il y a surtout, à la suite des négociations euro-américaines, la fin du système de contingentement prévue pour le 1er janvier 2006.

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JAI : Pourriez-vous en préciser l’enjeu ?
LMA : Jusqu’à cette date, les pays ACP sont assurés de vendre chaque année 857 000 tonnes de bananes à l’UE. Quelque 850 000 autres tonnes, dites « communautaires », sont apportées
par les Canaries et les Antilles françaises. Et le solde, un peu plus de 2 millions de tonnes, est ouvert à la concurrence, donc fourni par les Sud-Américains. Ces bananes sont appelées « bananes dollars ».

JAI : En janvier 2006, les pays ACP n’auront alors plus aucune protection, face à ces concurrents, sur le marché européen ?
LMA : Si, il restera les droits de douane payés par les bananes d’Amérique latine, au moins jusqu’au 1er janvier 2008. Ils sont aujourd’hui de 75 dollars par tonne.

JAI : Est-ce suffisant ?
LMA :Non. À force de rationalisation, nous avons pratiquement réussi, au Cameroun, à abaisser nos coûts de production au niveau de ceux de la Colombie ou du Costa Rica. Mais nous ne pouvons rien faire face aux trop bas salaires payés par les compagnies bananières en Équateur. L’écart de compétitivité est, entre ce dernier et les pays ACP les moins compétitifs, de l’ordre de 200 à 300 dollars par tonne. La clé de l’avenir de la banane ACP est donc dans ces droits de douane européens auxquels, nous, nous ne sommes pas assujettis.

JAI : D’où l’intérêt de la négociation
LMA :Malheureusement, nous n’avons pas le droit d’y participer : dans le règlement de l’Organisation mondiale du commerce, il est stipulé que ne peuvent négocier au sein de l’organisme que les entités qui pèsent au moins 10 % du marché. Aucun pays ACP pris séparément n’entre dans cette catégorie, au contraire des quatre grands producteurs d’Amérique latine : l’Équateur, la Colombie, le Costa Rica et Panama. Si bien que nous n’avons a priori aucune chance d’aboutir ! La seule solution est que les pays ACP soient considérés globalement.

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JAI : Vous êtes donc un homme inquiet ?
LMA : Il faut bien se rendre compte que, pour la production bananière africaine, ce qui se passe actuellement est pratiquement du « quitte ou double ». Mon pays investit actuellement pour faire passer sa production à 350 000 tonnes par an. Si nous échouons dans les négociations, nous n’aurons plus qu’à arracher les plants et à supprimer les milliers d’emplois que nous avons créés dans cette filière.

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