RDC – Dismas Kitenge : « La passation de pouvoir ne devrait pas être la priorité des élections »
Résultats provisoires de la présidentielle contestée en RDC, avenir de Joseph Kabila, attentes de la société civile congolaise… Dismas Kitenge, président du Groupe Lotus et ancien vice-président de la FIDH, livre à JA son regard critique sur les suites des élections du 30 décembre.
Va-t-on recompter les voix de la présidentielle du 30 décembre en RDC ? Certaines organisations régionales le préconisent. À Kinshasa, tous les yeux sont désormais tournés vers la Cour constitutionnelle congolaise qui a ouvert, le 15 janvier, les audiences sur les contentieux électoraux.
En attendant le verdict, le défenseur congolais des droits de l’homme Dismas Kitenge, à la tête du Groupe Lotus et ancien vice-président de la Fédération des ligues des droits de l’homme (FIDH), s’inscrit sur la ligne de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), selon laquelle les résultats provisoires publiés par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) ne refléteraient pas la vérité des urnes.
Jeune Afrique : Qu’est-ce qui vous fait dire que Félix Tshisekedi, déclaré provisoirement vainqueur de la présidentielle, n’est pas celui qui a été élu le 30 décembre ?
Dismas Kitenge : Notre ONG, basée dans l’est de la RDC, a déployé plus de 40 observateurs dans la ville de Kisangani. Mais la Ceni n’a pas manifesté de volonté réelle pour leur permettre de contrôler de bout en bout le processus de vote jusqu’à la transmission et la publication des résultats. Aujourd’hui, les résultats publiés par la Ceni ne pourront être convaincants que s’ils sont publiés bureau de vote par bureau de vote, avec en annexe tous les procès-verbaux signés par toutes les parties au moment du dépouillement.
Il appartient à la Ceni de rassurer sur la transparence du processus électoral
La Ceni répond que rien ne l’oblige légalement à publier ces résultats bureau de vote par bureau de vote. Que lui rétorquez-vous ?
Les principes de vérification et de confrontation devraient être privilégiés pour convaincre tout le monde de la véracité des résultats provisoires publiés. Sinon, des doutes vont persister. D’autant que se contenter de proclamer Félix Tshisekedi comme le vainqueur du scrutin du 30 décembre ne suffit pas pour convaincre les observateurs avertis de la présidentielle du 30 décembre. Il appartient donc à la Ceni de rassurer sur la transparence du processus électoral.
Sur le plan politique, beaucoup soutiennent que c’est un moment historique pour la RDC. Pour la première fois, un président sortant va passer le flambeau pacifiquement à son successeur. Est-ce tout de même une avancée démocratique ?
Ce n’est pas une avancée démocratique significative. Car la passation de pouvoir ne devrait pas être la priorité des élections. Ce qui devrait être privilégié par toutes les parties à ce processus électoral, c’est le respect de l’expression populaire. Et ce, dans la mesure où le transfert pacifique du pouvoir en est la conséquence.
Joseph Kabila reste le maître du jeu politique […]. C’est un mauvais départ pour la démocratie congolaise
Mais, dans le cas de la RDC, l’erreur commise a consisté à focaliser toute l’attention sur la personne de Joseph Kabila pour l’empêcher de se représenter, en oubliant de mettre également en avant le respect des standards internationaux d’une élection libre, démocratique et transparente. En conséquence, Kabila reste le maître du jeu politique : c’est lui qui choisit, à travers un processus électoral biaisé, qui il veut ou qui répond à ses intérêts pour confronter sa position. C’est un mauvais départ pour la démocratie congolaise.
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S’il est confirmé président de la République par la Cour constitutionnelle, quelles seraient alors les marges de manœuvre de Félix Tshisekedi face à l’influence que semble conserver le président sortant, Joseph Kabila ?
Grâce au seuil de représentativité introduite dans la loi électorale, la famille politique de Joseph Kabila a raflé une grande majorité des sièges à l’Assemblée nationale et au sein des assemblées provinciales. En fait, les jeux étaient faits en avance. Félix Tshisekedi, s’il est confirmé président de la République, aura bien de la peine à gouverner : c’est le Front commun pour le Congo (FCC), la coalition électorale de Kabila, qui devrait donner un Premier ministre et qui aurait des postes ministériels importants, mais aussi le contrôle des assemblées provinciales.
Les premières années du mandat de Félix Tshisekedi s’annoncent difficiles
Félix Tshisekedi n’aura pas non plus la maîtrise de l’appareil sécuritaire mis en place par Kabila. En tout cas, les premières années de son mandat s’annoncent difficiles, ses marges de manœuvre limitées.
Irez-vous jusqu’à dire que l’avant et après Joseph Kabila seront identiques ?
Sur le plan de la forme, une petite étape a été franchie. Kabila part, Félix arrive. Mais le fondement de l’État reste contrôlé par le président sortant. C’est le système de ce dernier qui survivra à travers ses députés, ses élus locaux, son appareil sécuritaire et les entreprises publiques. Kabila aura donc toujours un mot.
Mais cela dépendra également du génie créateur de Félix Tshisekedi pour trouver des voies et moyens de changer le système et d’imprimer sa marque. Sachant que, s’il y va brutalement et radicalement, il risque d’y laisser sa peau ou se heurter à une machine politique mise en place par Kabila.
Les chantiers sont immenses, un seul mandat ne lui suffira pas. Et, on le sait, Kabila ne cache pas son intention de vouloir revenir au sommet de l’État
Quels sont les principaux chantiers qui attendent le successeur de Kabila ?
S ‘il est confirmé président, Félix Tshisekedi doit engager des réformes politiques nécessaires, notamment en ce qui concerne la loi électorale et le seuil de représentativité, le retour au second tour pour le scrutin présidentiel, le secteur judiciaire… Il doit aussi mettre fin aux tracasseries, au clientélisme. Il est également attendu sur l’harmonisation des relations avec les partenaires internationaux de la RDC, notamment avec l’Union européenne, mais aussi sur le mandat de la Monusco. D’ailleurs, dans les conditions de son élection, il ne doit pas solliciter un départ précipité des troupes onusiennes voulues par le régime de Kabila, sa victoire risquant de constituer un élément susceptible de porter atteinte à la stabilité.
Comment s’y prendra-t-il pour rassurer les exilés politiques ou pour gracier les prisonniers politiques et d’opinion, notamment Me Firmin Yangambi ? Le peuple l’attend également sur le terrain des réformes sociales pour que les salaires soient améliorés. Les chantiers sont immenses, un seul mandat ne lui suffira pas. Et, on le sait, Kabila ne cache pas son intention de vouloir revenir au sommet de l’État.
Le fait qu’un opposant accède au pouvoir constitue-t-il un espoir pour le respect des libertés publiques et des droits fondamentaux ?
Non ! Ce n’est pas une garantie. Quand les opposants ne sont pas au pouvoir, ils s’approprient certes les revendications de la société civile, mais une fois aux affaires, ils se retrouvent face à d’autres contraintes et oublient l’essentiel. Mais si jamais Félix Tshisekedi parvenait à rester accessible à nos doléances, ce serait déjà une bonne chose. Pour l’instant, nos inquiétudes demeurent et ce sont des actions concrètes en faveur de la protection et de la promotion des droits de l’homme qu’il aura posées qui vont nous convaincre du contraire.
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