Le prix de la tragédie

Huit mois après le naufrage du les familles des victimes se battent pied à pied pour être décemment indemnisées.

Publié le 26 mai 2003 Lecture : 4 minutes.

Le gouvernement sénégalais va devoir s’expliquer sur sa gestion de la tragédie du Joola, le ferry dont le naufrage fit 1 864 morts dans la nuit du 26 septembre 2002. Sensibilisés par le Collectif des familles des victimes, plusieurs députés d’opposition envisagent de l’interpeller au Parlement. Huit mois après les faits, des questions essentielles restent en effet sans réponse : où en sont le renflouement de l’épave, l’indemnisation des victimes, l’achat d’un nouveau bateau pour assurer la desserte Dakar-Ziguinchor et l’identification des responsables ?
Le 16 mai, Serigne Diop, le ministre de la Justice, et l’Association nationale des familles de victimes ont pris acte de leur désaccord sur le montant de l’indemnisation : le représentant de l’État offrait 4 millions de F CFA par victime, et ses interlocuteurs en réclamaient 50 millions. Au cours de la même semaine, des plongeurs dirigés par Ely Haïdar, le commandant Cousteau local, ont rendu public le résultat de leurs recherches. Cassé en deux, le navire repose par 18 m de fond. Il est complètement ensablé et recouvert de coraux. Peu de corps sont visibles. Dans ces conditions, Haïdar et son équipe ne sont pas favorables au renflouement, que de nombreuses familles continuent de réclamer pour offrir aux leurs des sépultures dignes.
Le dossier du Joola n’a pas fini d’empoisonner la vie du gouvernement. Si le président Wade avait cru pouvoir s’en débarrasser en remplaçant Mame Madior Boye par Idrissa Seck au poste de Premier ministre, il s’est manifestement trompé.
Les autorités n’ont jamais caché qu’elles ne souhaitent pas que les familles des victimes engagent une procédure judiciaire. Après avoir, dès le lendemain du drame, reconnu la responsabilité civile de l’État par la voix du président Wade, elles privilégient la conciliation. Malheureusement, la sortie du ministre de la Justice selon laquelle « la voie du contentieux judiciaire peut durer plusieurs années » a été perçue comme une menace. Il y a pourtant un précédent : ce n’est que dix ans après les faits que la procédure judiciaire engagée après le crash d’un avion d’Air Sénégal, en 1992, a abouti. Le Sénégal n’a d’ailleurs pas ratifié la Convention de Londres, qui sert de base légale à tout jugement dans une affaire d’accident de transport maritime international. Mais peut-on seulement parler de transport international dans le cas du Joola ? Le ferry reliait en effet un port sénégalais à un autre, même si, pour cela, il devait traverser les eaux territoriales de la Gambie.
Le gouvernement se retrouve donc avec sur les bras un dossier complexe, qui, à certains égards, n’est pas sans rappeler celui du conflit casamançais, qui dure depuis deux décennies : multiplication des interlocuteurs, intervention d’intermédiaires aux motivations obscures, suspicion…
Sur le plan financier, la facture risque d’être salée pour le budget de l’État. Sur la base d’une indemnité de 50 millions de F CFA par victime, chiffre avancé par le bureau de l’Association, on atteint le total respectable de 60 milliards de F CFA. Or aucune ligne budgétaire n’a été prévue à cet effet dans la loi de finances 2002-2003. Pour l’instant, le gouvernement s’est contenté d’accorder aux enfants des victimes le statut de pupille de la nation et de verser à chaque famille 100 000 F CFA et 200 kg de riz.
La dernière rencontre avec le Collectif national des familles des victimes remonte au 14 décembre. Depuis, toutes les demandes d’audience sont restées sans réponse. Des députés d’Aj-Pads, un parti membre de la coalition gouvernementale, s’efforcent de rétablir le contact. Le Collectif, que dirige Idrissa Diallo (père de trois victimes), y est tout disposé, même s’il a constitué un avocat. « Pour le moment, nous n’envisageons pas d’ouvrir la voie à un contentieux judiciaire, même si nous ne l’excluons pas. Nous nous sommes bornés à porter plainte contre X après l’interpellation de plusieurs de nos dirigeants. »
En fait, les familles veulent essentiellement trois choses. 1. Que toute la lumière soit faite sur les circonstances du drame. 2. Que les responsables soient sanctionnés. 3. Que les ayants droit soient convenablement indemnisés. Hélas ! la seule identification de ces derniers pose de délicats problèmes.
Reste que la situation de nombre de ces familles est catastrophique. Le salaire du chef de famille décédé ayant cessé d’être versé dès la fin du mois de septembre 2002, les veuves et les orphelins se retrouvent sans aucune ressource. Et la direction du Collectif soupçonne l’État de faire délibérément traîner les choses pour inciter les familles à accepter un arrangement individuel en échange d’une renonciation à toute poursuite judiciaire. D’où l’insistance du Collectif sur l’indispensable solidarité. « Les parents de victimes se rapprochent naturellement des enfants qui ont perdu leurs parents en cette nuit fatidique. Pour nous, c’est un moyen de se battre contre l’oubli et la douleur », explique l’un de ses responsables.

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