À la rencontre d’un « écrivain occasionnel »

Publié le 26 mai 2003 Lecture : 4 minutes.

A 75 ans, Cheikh Hamidou Kane se partage entre ses prières, ses lectures, la lutte contre la pauvreté, le militantisme pour le rayonnement de la langue et de la culture peules dans l’association Tabital Pulagu, ou pour la protection des enfants… Grand, le teint noir, portant bien son âge, Samba Diallo, comme certains aiment à appeler l’auteur de L’Aventure ambiguë (du nom du héros de ce roman), vit au quartier Point E de Dakar. Un gardien sonne, une domestique ouvre. Le maître des lieux reçoit au salon, sous un portrait de La Grande Royale, autre personnage de son roman. Le tableau est signé de Papa Ibra Tall, un des peintres préférés de l’ancien président Léopold Sédar Senghor, et date d’août 1961. La villa est calme, rien à voir avec l’ambiance habituellement grouillante des maisonnées sénégalaises. Kane s’y est établi, après avoir déménagé d’une belle villa d’un blanc immaculé, sur la Corniche.
Ancien fonctionnaire international, ayant dirigé le bureau de l’Unesco pour l’Afrique occidentale et centrale, vice-président du Centre de recherches pour le développement international (CRDI) à Ottawa, au Canada, plusieurs fois ministre, sous Senghor et Abdou Diouf, Kane a vu L’Aventure ambiguë faire ombre à toutes ses autres activités.
Au lendemain de la parution de cette première oeuvre, en 1960, l’« écrivain occasionnel », comme il se définit, devait signer Les Gardiens du Temple en… 1994. En fait, dès 1970, dans un café parisien, Aimé Césaire avait convaincu son ami de retarder la parution de son deuxième roman : « Je sais combien le conflit entre Mamadou Dia [ancien président du Conseil sénégalais] et Senghor te peine, lui avait dit le poète martiniquais de la négritude. Tous les deux, nous travaillons à obtenir que Senghor tourne la page et libère Dia. Si tu publies ton roman, Senghor va se reconnaître à travers l’un des personnages, et cela va le raidir encore plus. Par ailleurs, en le lisant, des militaires africains peuvent y trouver prétexte à légitimer une incursion dans la vie politique. »
Kane a écouté Césaire et différé la publication de l’ouvrage. Il n’y mettra la dernière main qu’en quittant son poste de ministre du Plan et de la Coopération, en 1988. Depuis, activité puis pause-réflexion rythment la vie de celui qui compte, parmi ses voisins de quartier, Abdoulaye Wade et Amadou Mahtar Mbow, l’ancien directeur général de l’Unesco. Ce dernier, son aîné, a grandi dans une maison mitoyenne de celle de ses parents, à Louga (200 km de Dakar). Tous deux se retrouvent dans la même mosquée, tous les jours, pour la première prière du matin.
Aujourd’hui, il s’investit davantage dans ses fonctions de président du conseil d’administration d’Enda-Tiers Monde. Une ONG qu’il définit comme « une multinationale du social », installée au Sénégal, avec des représentations en France, au Brésil, en Colombie, en Belgique, en Inde… Depuis avril 2002, au lendemain de la mort de Jacques Bugnicourt, le fondateur et secrétaire exécutif de l’organisation humanitaire, Kane s’est retrouvé plus impliqué dans la lutte contre la pauvreté, pour la protection de l’environnement, l’encadrement du secteur informel, la santé reproductive…
À Enda, on voit ainsi trois fois par semaine la longue silhouette de l’ancien ministre qui consacre aussi une partie de son temps à l’association Les Enfants d’abord, créée à la demande de l’Unicef et dont il est le président. Il y fait la promotion des cartes de voeux vendues au bénéfice des enfants.
Hormis pour ces activités, Samba Diallo ne s’aventure pas longtemps dehors. Retour à la maison dès 18 heures. Coucher à 23 heures. Réveil à 5 heures du matin. Week-end consacrés aux petits enfants, lui le père de six enfants. Pratique du vélo fixe et marche, avant d’aller au lit. Mais il trouve le temps pour ses amis de la Sorbonne où il a étudié la philo avec le Pr Memel Foteh, le mentor du Front populaire ivoirien (FPI, du président Gbagbo) qui a donné le nom de Kane à une rue de son village. Il entretient également de bonnes relations avec l’ancien président Diouf, dont il a été un des invités à la cérémonie de voeux que celui-ci avait organisée le 15 janvier à Paris, au lendemain de sa nomination à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie. Et connaît Wade depuis le lycée Van Vollenhoven de Dakar.
Outre sa pension de retraite, Kane perçoit les royalties que lui rapporte L’Aventure ambiguë : dans le premier contrat, il percevait 12 % du prix de chaque livre vendu. Avec le second, il a droit à 15 %.
L’écrivain est aussi un grand lecteur. Il ne tarit pas d’éloges pour le livre dont il venait de tourner la dernière page : Oscar et la dame rose du Français Éric-Emmanuel Schmitt (Albin Michel). C’est l’histoire d’un enfant de 10 ans, atteint d’un cancer en phase terminale, qui adresse des lettres à Dieu. Le prochain qu’il attend « impatiemment » est le dernier d’Erik Orsena, Madame Ba, que lui a promis l’auteur. Avant d’entreprendre la rédaction de son troisième ouvrage et de se retirer de toute activité publique dans deux ou trois ans.

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