Tunisie – Hakim Ben Hammouda : « Les grèves générales sont un acte politique majeur »
Après la grève générale de la fonction publique et des entreprises étatiques qui a paralysé la Tunisie jeudi 17 janvier, l’économiste et ex-ministre des Finances Hakim Ben Hammouda analyse pour Jeune Afrique les enjeux de cette importante mobilisation.
Transports publics suspendus, écoles fermées, service minimum dans les hôpitaux… Une grève générale a paralysé la Tunisie le 17 janvier. Un fait rare que le pays n’a pas vécu depuis 2011. En cause : l’échec des négociations entre la centrale syndicale et le gouvernement.
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Dans les manifestations, l’atmosphère était aussi électrique et les esprits chauffés à blanc. Le pays a crié son mécontentement et son désarroi face à une vie devenue trop chère, un dinar qui a perdu 50 % de sa valeur et un chômage endémique, mais qui dit aussi sa colère contre des gouvernements qu’ils considèrent sourds à leurs attentes et accusent de ne pas avoir tenu leurs promesses. Décryptage avec l’ex-ministre de l’Économie et des finances (2014-2015) Hakim Ben Hammouda.
Jeune Afrique : Depuis le jeudi noir du 26 janvier 1978, l’actualité sociale en Tunisie s’emballe au cours du mois de janvier. Quatre décennies et une révolution plus tard, que représente cette grève générale ?
Hakim Ben Hammouda : Elle est d’abord un événement politique et le signe de l’échec d’une négociation de la part du gouvernement. Les grèves générales en Tunisie ne sont pas anodines, mais constituent un acte politique majeur. À ce propos, Habib Achour, parmi les fondateurs et figure dirigeante de l’UGTT, assurait qu’ « une grève générale en Tunisie faisait tomber un gouvernement ». Cela en dit long sur ce qui se passe aujourd’hui. La crise sociale actuelle est profonde, aussi bien en terme de pouvoir d’achat, de marginalisation et d’exclusion.
Quel est l’impact d’une grève générale ?
Elle représente un coût important pour l’économie nationale et tire la sonnette d’alarme, d’autant que l’UGTT envisage de passer à d’autres étapes. En matière sociale, la grève générale entretient l’idée d’une instabilité et des risques de dérive. Le signal n’est pas positif pour les investisseurs et le développement.
Les revendications soutenues par l’UGTT – des augmentations de salaires plus importantes que les 130 à 180 dinars (40 à 55 euros) étalés sur deux ans proposés par le gouvernement – sont-elles réalistes ?
Encore une fois, c’est une négociation, avec en filigrane l’antécédent de ce qui a été accordé aux entreprises publiques en novembre. Logiquement, l’UGTT ne pouvait pas demander moins que de répercuter cet acquis aux fonctionnaires.
Le gouvernement a-t-il les moyens d’y répondre ?
La situation est très compliquée. Le problème est que l’exécutif s’est enfermé dans une logique de maîtrise des grands équilibres macro-économiques pour évaluer la marge des augmentations de salaires, mais pêche par manque de communication. Hier devait passer à l’Assemblée une loi qui accorde une couverture médicale universelle à tous les citoyens. Personne du gouvernement n’en a parlé, alors que cette loi est importante et contribue au progrès social.
Ce qui est choquant est l’impréparation du gouvernement face aux négociations, et le côté approximatif des chiffres qu’il présente
Mais ce qui est d’abord frappant et choquant est l’impréparation du gouvernement face aux négociations, et le côté approximatif voire contradictoire des chiffres qu’il présente au syndicat, notamment pour ce qui est du nombre de fonctionnaires, de retraités et des coûts des différents scénarios. Or, le premier niveau des négociations, c’est d’abord de présenter des chiffres cohérents. Il manque une cheville ouvrière pour coordonner ces dossiers. Cette crise est une occasion pour ajuster tout cela en vue de plus de cohésion.
Cela confirme le sentiment d’impuissance des interlocuteurs du gouvernement. Avec les différents accords passés avec l’UGTT, le gouvernement s’est lié et beaucoup engagé. Il est allé trop vite et trop loin, si bien que reculer était quasi impossible. En prenant des engagements contradictoires avec l’UGTT et le Fonds monétaire international [gel des salaires et des recrutements de l’État, ndlr], difficile pour le gouvernement de s’en sortir. À cela, il faut ajouter une vision étriquée de la question sociale, qui s’est limitée à l’augmentation des salaires.
Dans la conjoncture actuelle, un contrat social pérenne est-il possible ?
C’est ce qui manque, mais reconstruire un contrat social est un travail de longue haleine. Le gouvernement devrait s’inscrire dans cette logique pour ne pas être dans la rupture. Le premier contrat social, base de la construction de la Tunisie moderne, se fondait sur un système politique et un État fort, capables d’assurer l’accès aux droits de base comme le développement, l’emploi, l’éducation, la santé, la solidarité et la promotion sociale.
Aujourd’hui, la démocratie et la diversité sont les nouveaux contours d’un espace politique qui ne répond pas aux nouveaux besoins sociaux. Un nouveau contrat social nécessite au préalable une réelle lutte contre la corruption, de l’audace dans la vision et dans les projets d’ensemble, ainsi que la mise en place d’une nouvelle culture qui cible l’exécution et les résultats. Pour réaliser ce contrat social, il faut stabiliser les grands équilibres macroéconomiques, relancer l’investissement et la croissance et élaborer un programme d’inclusion sociale qui fait de l’égalité sa principale priorité.
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