[Décryptage] Pourquoi la situation s’est détériorée en Libye
Alors que le processus politique semblait relancé, les tensions au sein du Conseil présidentiel et la reprise des combats entre milices à Tripoli remettent en cause les progrès de ces derniers mois.
Cela devient une habitude libyenne. Chaque fois que des échéances sont fixées, les divisions resurgissent, plongent le pays dans de nouvelles incertitudes et font dérailler le processus politique. Après la conférence de Palerme à la mi-novembre, une grande conférence nationale de réconciliation devait avoir lieu fin janvier, avant des élections générales prévues au printemps. Un calendrier qui semble déjà compromis tant la situation s’est à nouveau détériorée depuis le début de l’année 2019.
Alors que sa légitimité est régulièrement contestée par les autorités de l’Est, le Conseil présidentiel du gouvernement d’union nationale libyen affiche désormais ses divisions au grand jour. Dimanche, dans une déclaration commune, trois des quatre vice-Premiers ministres, Ahmed Mittig, Fathi Al-Mijibri, et Abdelsalam Kajman, pointaient l’exercice solitaire du pouvoir de Fayez al-Sarraj. Le président du Conseil, reconnu par la communauté internationale mais sans réels appuis en Libye, privilégierait ses intérêts personnels au détriment de ceux du pays d’après les trois ministres.
Répercussions négatives
« Nous tenons Sarraj responsable de l’effondrement imminent du pays et de ses institutions » a précisé le trio. « L’approche individualiste que vous adoptez pour des décisions vitales est en rupture avec l’idée d’union. Votre choix d’ignorer les parties en conflit, dont des membres du Conseil présidentiel, a fait de ce dernier un « parti du conflit », plutôt qu’un corps porteur de solutions au conflit », ont-ils estimé.
Fayez al-Sarraj n’a pas manqué lundi de répondre à ces critiques, dénonçant notamment la volonté de certaines parties de continuer à tirer profit du statut quo en Libye. Avant d’appeler au calme : « Je demande aux membres [du Conseil présidentiel, ndlr] d’être rationnels et sages dans leur approche des problématiques nationales. »
Pourquoi ces divisions, qui couvaient depuis longtemps, éclatent-elles aujourd’hui au grand jour ? Le chercheur libyen Emad Badi (Middle East Institute) y voit notamment un effet des négociations sur le budget 2019. « Les tensions au niveau du Conseil présidentiel ne sont pas nouvelles. Kajman, Majbri et Miitig veulent faire pression sur Sarraj pour qu’il y ait plus de coordination entre eux. Mais ces divisions affichées au grand jour auront des répercussions négatives sur le processus politique des prochains mois », note Emad Badi. Pour autant, le chercheur estime que Sarraj, bien qu’isolé, continuera à être le visage de la Libye à l’international, faute d’alternative à court terme.
Nouvelles violences
Également remis en cause, l’arrangement sécuritaire conclu à Tripoli en septembre 2018 sous l’égide de l’ONU après plusieurs semaines de combat. Ce dernier avait mis aux prises des milices de Tripoli et la 7e Brigade, originaire de la ville de Tarhouna mais encore présente dans la capitale. Outre un cessez-le-feu entre milices, l’arrangement sécuritaire prévoyait la mise sur pied de forces régulières, en remplacement de la coalition des milices tripolitaines, rassemblées en décembre sous la bannière de la Force de protection de Tripoli (FPT).
« Le nouveau ministre de l’Intérieur Fathi Bashagha souhaite remplacer ces forces, mais ça ne se fera pas sans de nouvelles violences », explique Emad Badi. D’autant que les combats ont repris mercredi entre le FPT et la 7e Brigade dans le Sud de Tripoli. « L’attaque de la 7e Brigade coïncide avec des tensions grandissantes entre Bashagha et les forces de Tripoli, ce qui lui permet de pointer les deux groupes – mais surtout le FPT – comme les principaux obstacles à la mise en place des nouveaux arrangements sécuritaires », poursuit le chercheur libyen.
Statu quo au bénéfice des milices
Le FPT cherche maintenant à exploiter les divisions du Conseil présidentiel pour conserver ses positions. Jeudi, le groupe a publié un communiqué indiquant qu’il rejetait l’autorité du Conseil présidentiel tant que les décisions de ce dernier n’étaient pas soutenues par l’intégralité de ses neuf membres.
La brusque détérioration politique et sécuritaire de la situation, après plusieurs mois de calme relatif et la relance du processus à Palerme, suscite des doutes quant à la stabilisation du pays à moyen terme. Emad Badi renverse la perspective : « La conférence nationale interlibyenne peut-être interprétée comme une volonté d’exclure certains acteurs, ce qui pourrait les encourager à la saboter ». En résumé : c’est l’avancée même du processus politique qui fait courir le risque permanent d’une reprise des troubles, le statu quo profitant aux milices et à certain nombre d’acteurs politiques.
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