Hugo Chávez joue la montre

Le président semble plus occupé à désorganiser ses adversaires qu’à appliquer l’accord conclu sous l’égide de la communauté internationale.

Publié le 26 mai 2003 Lecture : 6 minutes.

Renverser le plus vite possible le « dictateur élu » ! Voilà, en quelques mots, ce qui a tenu lieu de programme politique à la Coordination démocratique, ce vaste front derrière lequel se sont rangés, de la gauche à la droite, tous les opposants au président vénézuélien Hugo Chávez.
Si le programme est un peu court, la liste est longue, en revanche, des moyens qu’elle a mis en oeuvre au cours des vingt derniers mois pour réaliser son rêve : appels répétés à la désobéissance civile et à l’insurrection militaire, tentative de coup d’État le 11 avril 2002, manifestations en tout genre, grèves à répétition…
La dernière en date, la grève générale « illimitée » pour contraindre Chávez à la démission, n’a pas non plus atteint son objectif. Commencée le 2 décembre 2002, elle s’est achevée sans gloire, le 3 février dernier, laissant une économie asphyxiée par deux mois de paralysie de l’activité pétrolière, la fermeture de nombreuses entreprises privées et une chute de près de 8 % du Produit intérieur brut (PIB). Sans parler de l’augmentation du chômage et d’une perte prévisible du pouvoir d’achat de l’ordre de 30 % en 2003.
Aujourd’hui, le Venezuela est à genoux. Mais Chávez, lui, est toujours debout. Après avoir fait licencier douze mille grévistes de l’entreprise pétrolière nationale PDVSA, il a ordonné l’arrestation, dans la nuit du 19 au 20 février, de Carlos Fernandez, le patron des patrons, qu’il considère comme l’un des principaux responsables du mouvement. Laissé en liberté provisoire, Fernandez s’est par la suite réfugié à Miami. Son complice ouvrier, Carlos Ortega, qui dirige la Centrale des travailleurs du Venezuela (CTV), est également poursuivi pour « rébellion, trahison à la patrie, incitation à la délinquance, association de malfaiteurs et vandalisme ». Mais il a préféré, après une courte période de clandestinité, gagner le Costa Rica.
Le plus surprenant est que l’arrestation de Carlos Fernandez soit intervenue moins de vingt-quatre heures après la signature, sous l’égide de l’Organisation des États américains (OEA), d’un accord de « réconciliation », le premier depuis le début de la crise, par les représentant du gouvernement et ceux de l’opposition. Alors que cet accord était destiné à mettre fin aux violences et à « toute rhétorique stimulant la confrontation » – il est vrai qu’en la matière, d’un côté comme de l’autre, on s’était un peu laissé aller -, Chávez a vite fait savoir que, pour lui, « réconciliation » ne signifiait nullement « impunité ».
Pourtant, de l’avis général, la situation est plus que jamais favorable au dialogue. D’abord parce que les deux camps sont sortis très affaiblis de ce long bras de fer – la cote de popularité de Chávez a beaucoup baissé et l’opposition est aujourd’hui très divisée -, ensuite parce que la communauté internationale semble enfin déterminée à imposer une sortie de crise négociée. Mais ce retour en grâce de la diplomatie est aussi l’oeuvre de Lula, le nouveau président brésilien. C’est lui, en effet, qui est à l’origine de la création, le 15 janvier à Quito (Équateur), du Groupe d’amis du Venezuela. Composé de six pays (États-Unis, Espagne, Brésil, Mexique, Portugal, Chili), ce groupe a pour mission de relancer les négociations et d’épauler dans sa difficile médiation le secrétaire général de l’OEA, Cesar Gaviria. Chávez pouvait difficilement s’opposer à l’initiative d’un président de gauche dont il venait de saluer l’élection avec enthousiasme. C’est cette initiative, en tout cas, qui a permis de sortir de l’impasse la Table de négociations et d’accords mise en place par l’OEA en novembre 2002. Cela n’a d’ailleurs pas empêché Chávez de faire immédiatement pression sur son homologue brésilien pour qu’il raye de la liste les États-Unis et l’Espagne – « Ce ne sont pas des amis », lui a-t-il expliqué – et y inclue la Russie, la France, Trinité et Tobago, Cuba et la Chine, qui l’ont aidé pendant la grève. Il aura fallu toute l’habileté de Lula pour faire admettre à l’ex-colonel parachutiste que, par définition, « on négocie avec ceux qui sont en désaccord, pas avec ceux qui pensent la même chose ».
Le 11 avril, date anniversaire du coup d’État qui écartait Chávez du pouvoir pendant quarante-huit heures, un pas important vers une issue politique semblait avoir été franchi avec la rédaction, par les négociateurs des deux camps, d’un Accord préalable en vingt-deux points. Dans ce document, l’organisation d’un référendum à caractère révocatoire est enfin présentée comme la seule solution « possible » et « définitive » à la grave crise que traverse le pays. La Constitution bolivarienne, adoptée par le pays en 1999, est en effet l’une des rares au monde qui offre la possibilité de révoquer, à compter de la moitié de son mandat, toute personne élue, président de la République compris. Par un curieux paradoxe, tous les espoirs de l’opposition reposent donc maintenant sur sa capacité à faire appliquer l’article 72 d’une Constitution que par ailleurs elle rejette. Pourtant, même dans ce cadre légal, elle n’est pas au bout de ses peines.
Profitant de l’échec de la grève générale, Chávez semble plus occupé à désorganiser la Coordination démocratique qu’à apposer sa signature au bas d’un accord qu’il ne cesse de critiquer, sans toutefois le rejeter complètement. Aux journalistes qui l’interrogent sur ses intentions, il répond invariablement qu’il doit d’abord consulter l’ensemble de ses alliés politiques. À l’évidence, Chávez joue la montre. Du coup, les États-Unis, qui étaient restés plutôt discrets depuis que la presse américaine avait révélé l’existence de liens étroits entre les putschistes d’avril 2002 et certains hauts fonctionnaires du département d’État, donnent à nouveau de la voix. Par l’entremise, une fois encore, du très anticastriste Otto Reich. Le sous-secrétaire d’État pour les Affaires latino-américaines, qui fut aussi le propagandiste zélé de Ronald Reagan pendant les sales guerres en Amérique centrale, vient d’inviter fermement le président Chávez à « respecter les règles qu’il a lui-même écrites ». À commencer par l’Accord préalable, dont il attend toujours, a-t-il déclaré, que « le gouvernement le signe et le mette en oeuvre ».
Mais Chávez n’a pas que des mesures dilatoires à opposer à cette stratégie de réconciliation sous surveillance internationale. D’ores et déjà, il est passé à la contre-offensive en remettant en question la présence de la Coordination démocratique à la Table de négociations. « Elle y est représentée par des putschistes, a-t-il déclaré, alors que le Venezuela a besoin d’authentiques dirigeants politiques. Pas de quatre fous qui se sont mis dans la tête de mettre Chávez dehors. »
Son objectif est maintenant d’en finir une fois pour toutes avec ce front de circonstance qu’il juge totalement disqualifié par ses tentatives de coup d’État. Et il pense y parvenir en déplaçant le débat politique de la Table de négociations à l’Assemblée nationale. Par la voix de son ministre de l’Éducation Aristobulo Isturiz, il a clairement fait savoir qu’après la signature d’un accord Cesar Gaviria et l’OEA n’auront plus qu’à rentrer chez eux, à Washington.
« La Table de négociations, a-t-il expliqué, ne peut se substituer indéfiniment aux partis politiques et aux élus de la nation. Nous allons tous nous engager à respecter les décisions du Tribunal suprême de justice [TSJ] et du Conseil national électoral [CNE], et appliquer les lois adoptées par le Parlement. Cela ne peut se faire avec un arbitre extérieur. » Pour étayer son argumentation, le ministre a souligné qu’aucun des principaux partis politiques de l’opposition présents au Parlement, à commencer par Action démocratique (sociaux-démocrates), Copei (chrétiens démocrates) et Proyecto Venezuela, n’est représenté à la table ronde. « En revanche, nous y discutons avec des responsables de la Fedecamaras [patronat] et de la CTV, dont les présidents sont en fuite pour échapper à une décision de justice. »
Mais cette stratégie de sortie de crise sans médiateur extérieur a peu de chance de recevoir l’assentiment de la Commission tripartite internationale – composée de l’OEA, du Centre Carter et du Pnud – ou celui du Groupe d’amis du Venezuela. Tous ces organismes, qui se sont engagés à ne pas quitter le pays avant qu’une solution négociée soit trouvée, n’ont qu’une confiance limitée dans la volonté du gouvernement d’aller jusqu’au bout du processus référendaire. Or chacun sait que si la trêve actuelle s’enlise dans une interminable bataille de procédures, les rues de Caracas pourraient bien s’embraser de nouveau.

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