Doublé chérifien

Deux films marocains et une coproduction d’Afrique centrale étaient sélectionnés au Festival de Cannes. Des talents prometteurs.

Publié le 27 mai 2003 Lecture : 3 minutes.

Pour les cinémas africains, chaque initiative de soutien économique peut s’avérer payante. Rien ne le démontre mieux que le cas du Maroc, premier pays du continent à avoir décidé de financer l’audiovisuel en réaffectant un pourcentage des recettes publicitaires de la télévision nationale au fonds de financement du cinéma. Bien que ce pourcentage soit modeste (5 % des recettes), il a suffi à multiplier par trois le nombre de films marocains produits chaque année. Le résultat, visible à Cannes, est particulièrement flatteur pour le Maroc : alors qu’il était absent du Festival depuis vingt-deux ans (le dernier film sélectionné : Poupées de roseau, de Jilali Fermati, date de 1981), il est cette fois le seul pays de tout le monde arabe à être sélectionné. Avec deux longs-métrages. Un beau doublé qui met à l’honneur deux « premières oeuvres », de styles totalement différents. Ce qui est plutôt prometteur pour l’avenir de la cinématographie marocaine.
Dans la sélection officielle « Un certain regard », Mille mois, de Fawzi Bensaïdi décrit la vie quotidienne, au début des années quatre-vingt, d’un petit village de l’Atlas où est venue se réfugier Amina, femme d’un syndicaliste emprisonné pour ses idées. Son beau-père, qui l’héberge avec son fils Mehdi, a vu ses terres confisquées et doit vendre ses meubles un à un. Cette chronique sociale, politique et humaniste frappe par sa justesse de ton, sa sobriété et sa délicatesse. Évitant tout pathos pour reconstituer les « années de plomb » vécues par le pays, le film déroule une description pudique à travers des plans élégants et élaborés. Ce récit, plus touchant que bouleversant, éveille en permanence notre compassion pour des personnages soumis à la fatalité.
Le second film marocain de Cannes, Les Yeux secs, de la jeune réalisatrice Narjiss Nejjar (voir J.A.I n° 2210), présenté par la « Quinzaine des réalisateurs », est servi par un style aux antipodes de celui de Mille mois : celui d’un esthétisme qui délaisse le simple réalisme et choisit, à travers des images aux couleurs chatoyantes, un ton hiératique à la limite de la tragédie antique. Au terme de trente ans d’enfermement dans une prison de Casablanca, Mina, ancienne prostituée, retourne dans son village natal accompagnée d’un chauffeur de bus qui l’a prise en sympathie. Ledit village a la particularité de n’être habité que par des prostituées, recevant par tradition séculaire les hommes du village voisin à chaque pleine lune. Le village est dirigé par Hela, une jeune femme farouche et revêche qui essaie de briser le cycle infernal de la tradition. Mina va tenter d’apprendre aux jeunes femmes le tissage de tapis, qui leur permettra de s’affranchir. Inspiré d’une histoire vraie, le film réussit, grâce à ses acteurs et à la poésie de ses dialogues, à créer une tension dramatique sans artificialité ni féminisme didactique.
Quant à l’Afrique subsaharienne, elle n’était présente qu’avec un film à Cannes : le tout premier long-métrage d’Afrique centrale. Coproduit par trois pays africains (Centrafrique, Cameroun et Gabon) avec des aides européennes et francophones, Le Silence de la forêt, réalisé par le Centrafricain Didier Ouenangaré et le Camerounais Bassek Ba Kobhio, marque un retour du cinéma « engagé ». Revenu de France où il a fait toutes ses études, Gonaba, nommé inspecteur des écoles à Bangui, décide de tout abandonner pour aller vivre au coeur de la forêt équatoriale, domaine des pygmées Babingas. Son projet : les aider à s’émanciper des « hommes grands » dont le racisme, quarante ans après l’indépendance du pays, est intolérable. À plus d’un titre, le sujet de ce film, qui dénonce la corruption et l’incompétence de certains dirigeants africains, retrouve une des veines maîtresses des pionniers africains du septième art, avec le risque de didactisme inhérent au genre : celle d’un cinéma politique au service d’une cause, voie souvent délaissée au profit de « films d’auteur », plus prisés par les festivals…

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires