Bush en force ?

Après sa victoire militaire en Irak, le président américain pourrait, du 1 er au 3 juin, à Évian, dicter sa loi à une Europe fra gilisée.

Publié le 26 mai 2003 Lecture : 6 minutes.

Du 1er au 3 juin, des milliers de policiers et militaires français et suisses isoleront la station thermale d’Évian (France). Les huit dirigeants des pays les plus riches s’y réuniront, comme chaque année dans le cadre du G8. Au coeur des débats, les problèmes de la planète et notamment ses soucis économiques, puisque la machine tarde à repartir malgré la fin des hostilités en Irak.
Ce déploiement de forces et cet isolement sont imposés par la présence annoncée de centaines de milliers de manifestants antimondialisation qui ont pris l’habitude, depuis la réunion de Seattle en 1999, d’exprimer dans la rue leur hostilité à ceux qu’ils appellent par dérision les « saigneurs du monde ». Pour éviter que les discussions de messieurs Berlusconi (Italie), Blair (Grande-Bretagne), Bush (États-Unis), Chirac (France), Chrétien (Canada), Koïzumi (Japon), Poutine (Russie) et Schröder (Allemgane) ne soient polluées par une atmosphère insurrectionnelle, le gouvernement français a choisi d’éloigner le contre-sommet « pour un autre monde ». Il sera organisé, du 29 au 31 mai, par le monde associatif à Annemasse, à plusieurs dizaines de kilomètres d’Évian.
Mais qu’est-ce que ce fameux G8 qui suscite tant de passions et exige de telles précautions ? C’est Valéry Giscard d’Estaing, alors président de la République française, qui en a l’idée en 1975 et qui l’organise, le 25 novembre à Rambouillet, dans la région parisienne : il veut que ses pairs discutent de façon informelle des dossiers économiques de l’heure, et notamment du premier choc pétrolier qui a mis le monde sens dessus dessous. Ce regroupement de chefs d’État et de gouvernement est alors baptisé G6 et composé de l’Allemagne, des États-Unis, de la France, de l’Italie, du Japon et du Royaume-Uni. Un an plus tard, le Canada les rejoint, donnant naissance au G7. Il faudra attendre 1998 et l’arrivée de la Russie ralliée à l’économie de marché pour parler de G8. Le passage à un G9 avec le renfort de la Chine n’est pas encore d’actualité, en raison du déficit démocratique de ce pays.
Le G8 n’est pas une organisation internationale ; il n’a ni personnalité juridique ni secrétariat permanent. Il s’agit d’un club de dirigeants qui se sont engagés, depuis la déclaration publiée à l’issue du sommet de Rambouillet en 1975, à « développer les efforts en vue d’une coopération internationale accrue et d’un dialogue constructif entre tous les pays » et à freiner « les tendances au retour au protectionnisme ». La présidence change chaque année, et c’est le pays qui l’assure qui organise le sommet et en propose l’ordre du jour et le lieu.
Plusieurs critiques ont été adressées au G8. La première est qu’il n’est pas représentatif de la planète et qu’il est un club de « maîtres du monde », comme l’ont longtemps affirmé les Chinois… avant de demander à en faire partie. Jacques Chirac le répète à l’envi : « Le G8 n’est pas le directoire du monde. C’est un lieu d’impulsion qui doit inscrire son action dans le cadre des institutions internationales et d’un dialogue élargi. » Pour ne plus donner prise à cette critique, le G8 a pris l’habitude d’accueillir, en ouverture de rideau, des dirigeants de pays émergents, par exemple ceux du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad) à Gênes. Cette année, la France a invité vingt-cinq chefs d’État ou de gouvernement. Les plus notables sont Hu Jintao (Chine), dont ce sera la première visite à l’étranger, Vicente Fox (Mexique), « Lula » da Silva (Brésil), Atal Bihari Vajpayee (Inde), Mahathir Ben Mohamad (Malaisie) en tant que président du Mouvement des non-alignés, et Mohammed VI (Maroc), comme président du Groupe des 77. Pour le Nepad seront présents Abdoulaye Wade (Sénégal), Olusegun Obasanjo (Nigeria), Thabo Mbeki (Afrique du Sud) et Abdelaziz Bouteflika (Algérie). Le président français a pris la peine d’organiser des réunions préparatoires avec une foule d’ONG, d’associations et d’organisations syndicales, afin qu’on ne dise plus que les grands de ce monde ignorent les revendications de leurs peuples.
Deuxième critique : le G8 ne sert pas à grand-chose. Effectivement, la lecture de ses déclarations finales donne l’impression d’être un empilement de bons sentiments et de mots creux. Jacques Attali, qui a été l’organisateur de plusieurs sommets sous François Mitterrand, affirme que ces textes sont écrits de façon à être « incompréhensibles, donc acceptables pour tous ». D’autres soulignent que son bilan n’est pas si médiocre : l’initiative sur la dette des pays les plus pauvres, la création du Fonds mondial pour la lutte contre le sida ou le plan d’action en faveur de l’Afrique sont nés au G8. Même si l’absence d’organes permanents oblige celui-ci à en confier la réalisation à des institutions comme l’ONU ou aux États.
Il y a trente ans, les sommets se consacraient à des sujets économiques, comme les cours du pétrole ou les crises monétaires. Au fil des années, leur agenda s’est enrichi, au point d’apparaître comme un fourre-tout impossible à traiter sérieusement en trois jours par des dirigeants maîtrisant mal des dossiers de plus en plus techniques. Évian ne dérogera pas à cette évolution puisqu’il y sera notamment question de relancer l’économie mondiale, de diminuer les droits de douane qui frappent les exportations des pays pauvres vers les pays riches, de la dette irakienne, d’aider le Nepad, de diviser par deux le nombre de personnes en manque d’eau, de lutter contre le terrorisme, les armes de destruction massive, le sida, la pneumonie atypique, et de promouvoir le développement durable et la démocratie. Sans oublier les marottes et les préoccupations domestiques de tel ou tel chef d’État. « Aucun sujet ne sera tabou », a promis Maurice Gourdault-Montagne, le chef de la cellule diplomatique de l’Élysée.
Rituellement, les sommets en tout genre donnent lieu à un affrontement poli entre les États-Unis et les autres. En ce qui concerne la croissance, George W. Bush devrait à nouveau reprocher au Japon et aux Européens de ne pas prendre les mesures qui s’imposent (baisse des taux d’intérêt pour ceux-ci, réformes bancaires pour celui-là, libéralisation pour tous) afin de faire repartir une économie mondiale languissante. Il dira que les États-Unis ont fait le maximum avec leur programme de réduction d’impôts de 550 milliards de dollars et qu’ils ne peuvent continuer à assumer seuls le rôle de locomotive mondiale. Les Européens répondront que Washington a décidé de laisser chuter en catimini le cours du dollar pour rendre ses produits plus compétitifs à l’exportation. Mais aussi que ce n’est pas avec ce handicap supplémentaire que l’Allemagne et les Pays-Bas – notamment – pourront se tirer de la récession. Ils rappelleront que les déficits américains colossaux et la faillite d’Enron contribuent lourdement à la défiance générale. On voit mal l’issue de ce dialogue de sourds.
D’autre part, le président français Jacques Chirac avait annoncé, lors du sommet franco-africain de février dernier, qu’il prônerait la suspension des subventions des pays développés à leurs exportations agricoles pendant les négociations du cycle de Doha, à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Tiendra-t-il parole ? Sera-t-il entendu par ses pairs ?
Enfin, Évian sera l’occasion de mesurer les dégâts psychologiques et diplomatiques causés par la guerre en Irak. Bush viendra dans cette France qui lui a mis bien des bâtons dans les roues. Fort de sa victoire et de la puissance du dollar, il pourrait dicter sa loi et ses préférences à une Europe très fragile puisqu’en construction. S’il était désireux de réduire la fracture au sein du G8 (Allemagne, Canada, France et Russie contre États-Unis, Italie, Japon et Royaume-Uni), il aurait la possibilité d’insuffler un esprit d’équipe, autrement dit de revenir à un certain multilatéralisme, par exemple pour accélérer le développement des pays les moins avancés, dont l’Afrique compte un bon nombre.
En tout cas, George W. Bush ne pouvait pas snober le sommet d’Évian, comme certains l’ont redouté. Il se serait fait grand tort dans un proche avenir : en 2004, année de l’élection présidentielle américaine, c’est lui qui présidera le G8 et qui fixera l’ordre du jour du « Club ».

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