Aux grands maux les grands remèdes

La cure d’assainissement à laquelle ont été soumis les établissements bancaires africains commence à porter ses fruits. Mais les opérateurs privés ont encore du mal à accepter les « risques du métier ».

Publié le 26 mai 2003 Lecture : 7 minutes.

Dans son spacieux bureau du World Trade Center, au Caire, Mahmood Ayub laisse vagabonder ses pensées. Le directeur des opérations de la Banque mondiale en Égypte cède quelques instants à une douce somnolence… et se prend à rêver de la privatisation des banques égyptiennes. Mais la réalité est tout autre. Les établissements de la place, en majorité publics, sont un peu comme des dinosaures affichant des bilans fort peu conformes aux normes imposées par les institutions financières internationales dans les années quatre-vingt-dix aux économies du continent. Malgré les demandes pressantes de Bretton Woods, nombre d’établissements financiers égyptiens restent handicapés par des montagnes de créances douteuses.
Ailleurs sur le continent, les systèmes bancaires ont fait l’objet d’une sérieuse cure d’assainissement. On n’en est plus aux années de plomb des banques de développement qui, sur ordre du régime, prêtaient à tout-va aux entreprises publiques, accumulant des arriérés de remboursement que les États étaient bien en peine de recouvrer. La crise explosa dans la plupart des pays africains pratiquement au même moment, entre 1990 et 1995, quand il n’y eut plus d’argent à prêter. Dans certains endroits, les déposants firent même défaut, comme en Algérie, où beaucoup d’épargnants préférèrent leur bas de laine, ou comme au Cameroun, où les tontines (caisses de crédit mutuel) se multiplièrent.
De véritables sinistres se déclarèrent alors, avec dépôts de bilan en chaîne et licenciements en masse. La baisse des recettes fiscales empêcha les gouvernants d’atténuer les répercussions sociales de la crise. Les boys du Fonds monétaire internationale (FMI) d’abord et ceux de la Banque mondiale ensuite n’eurent plus qu’à faire signer aux gouvernants des contrats d’ajustement structurel truffés de « conditionnalités ». La réforme des systèmes bancaires figura en tête desdites conditions, juste derrière le dégraissage de la fonction publique et la rigueur budgétaire. En résumé, les pays signataires s’engagèrent à épurer les actifs douteux de leurs établissements financiers, quitte à déposer le bilan, à libéraliser le crédit tout en instaurant des règles draconiennes d’exercice du métier de banquier pour, in fine, privatiser leurs banques.
Tous les États concernés se prêtèrent au jeu, au moins pour l’assainissement des banques étatiques, exception faite de l’Égypte, qui ne changea rien à ses mauvaises habitudes. Nombre de barons du régime profitèrent de crédits non remboursables, et le pays reçut des aides financières américaines qui lui permirent de parer au plus pressé. Pourquoi se gêner ? L’Algérie, pour sa part, traîna des créances irrécouvrables jusqu’à ces toutes dernières années. Si bien que la libéralisation progressa moins vite au nord qu’au sud du Sahara. Ouvertures de marché au compte-gouttes, privatisations reportées, le marché algérien résume toutes les réticences rencontrées au Maghreb. En revanche, la réforme a été couronnée de succès en Côte d’Ivoire et au Ghana, par exemple, avec l’instauration de systèmes bancaires performants, dotés de la plupart des instruments modernes tels que les cartes de crédit ou la télétransmission de données.
L’instauration de règles dites « prudentielles » strictes fut adoptée partout, toujours à l’exception de l’Égypte. Ces ratios, dont le respect est contrôlé par la Banque centrale, garantissent, en principe, la solvabilité des établissements financiers. La Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a ainsi renforcé en janvier 2000 le dispositif prudentiel des banques qui lui sont assujetties. Le règlement prévoit notamment que :
– en application de l’article 23 de la loi bancaire, le montant du capital social minimum des banques est fixé à 1 milliard de F CFA dans tous les États de l’Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest (Uemoa) ;
– les banques et établissements financiers doivent justifier, à tout moment, de fonds propres effectifs au moins égaux au capital minimum déterminé en application de l’article 23 ;
– la loi bancaire impose aux banques et aux établissements financiers de constituer une réserve spéciale alimentée par un prélèvement sur les bénéfices. Le taux est fixé à 15 %.
On remarquera que les règles de la zone franc sont plus sévères sur de nombreux points que celles qui prévalent en France puisque, par exemple, le taux des réserves imposées par la Banque de France n’est que de 8 %. De même les limitations de crédit sont plus rigoureuses en Afrique, où les banquiers ne doivent pas détenir de créances sur un même débiteur représentant plus de 10 % du volume total de leurs encours. Autre exemple : les crédits aux particuliers y sont assortis de sûretés dont on ne trouvera pas l’équivalent en France et qui rendent quasiment impossible la délivrance de certains prêts comme le crédit immobilier.
La thérapie a été radicale. En quelques années, les banques africaines sont devenues des établissements sains, gagnant plus d’argent qu’ils n’en dépensent et attirant, de ce fait, les investisseurs occidentaux : les Français sont revenus, y compris à Alger, tandis que les opérateurs anglo-saxons envahissaient l’Afrique francophone, notamment la Citibank et la Standard Chartered Bank. Les banques de l’Uemoa enregistrèrent ainsi une rentabilité moyenne proche de 12 % en 1999, rentabilité qui a, certes, décru par la suite du fait notamment des troubles politiques en Côte d’Ivoire, mais qui se maintient tout de même autour de 5 %.
Face à ce nouveau paysage bancaire, un bémol s’impose : « Les banques africaines ne prêtent plus ! » leur est-il souvent reproché. Avec de singulières comparaisons que n’hésitent pas à faire certains directeurs de réseaux européens : « Le chiffre d’affaires d’une petite agence de banlieue parisienne est plus important que celui de notre filiale au Sénégal. » Il est vrai que les banques occidentales implantées en Afrique s’apparentent plus à des coffres-forts qu’à des établissements de crédit. Elles placent leurs fonds auprès des États fiables (en bons du Trésor) ainsi qu’auprès de leurs consoeurs (en bons de caisse), qui prennent des risques à leur place.
La nature ayant horreur du vide, l’absence de crédit en Afrique a « boosté » deux types de financiers : les usuriers et les banques régionales. Les usuriers animent les circuits de la microfinance, pratiquant des taux exorbitants (25 % minimum). Les États ont dû légiférer pour tenter de civiliser quelque peu le marché de l’argent dans lequel se sont perdues même des ONG à but philanthropique. Les réformes sont en bonne voie, notamment en Afrique du Sud et au Cameroun, pays test pour l’ensemble de la zone franc. Quant aux banques panafricaines, leur essor est remarquable depuis quelques années : Ecobank, Bank of Africa, CCEI Bank (devenue Afriland First Bank), BGFI Bank, Cofipa, pour ne citer que les plus connues d’Afrique francophone. Elles connaissent le terrain et ses acteurs, et osent prêter, car elles savent se faire rembourser. Ainsi ces banques financent-elles des campagnes agricoles ou prennent-elles des participations dans des entreprises du secteur informel. Leur savoir-faire a été reconnu très officiellement quand le groupe français des Banques populaires a décidé, en 2002, de confier ses intérêts africains, y compris au Maghreb, au promoteur du réseau Bank of Africa, le Français Paul Derreumaux.
Certains chefs d’agence expatriés tentent bien d’imiter ces précurseurs. Mais ils souffrent d’un handicap a priori insurmontable : ils ne restent pas assez longtemps en poste pour percer véritablement sur des marchés où l’information circule très rapidement. Ainsi un cadre français de la Société générale a-t-il tenté de concurrencer la CCEI Bank à Malabo, en Guinée équatoriale. Au moment où il commençait à obtenir des résultats, sa direction parisienne le changea d’affectation. La Société générale de Malabo continue d’enregistrer les plus gros dépôts locaux, mais ne peut que laisser la CCEI Bank engranger les bénéfices plus confortables des crédits à l’économie…
Ces « gardiens » bénéficient aujourd’hui des comptes courants non rémunérés sur lesquels sont conservés les fonds déposés. Mais l’offre de produits financiers reste indigente en Afrique, tous pays confondus et exception faite de l’Afrique du Sud, où les fonds de pension prolifèrent. Hormis la Bourse de Johannesburg, il n’existe pas de véritable marché des actions et des obligations d’entreprises industrielles et commerciales. La Bourse régionale des valeurs mobilières d’Abidjan est embryonnaire, tout comme celle de Casablanca. Et les autres – Le Caire, Alger, Douala – ne sont encore qu’en gestation. Existeraient-elles réellement qu’elles auraient de graves problèmes avec les entreprises cotées, les dirigeants locaux ayant tout à apprendre en matière de transparence et d’information aux actionnaires.
Restent donc, en matière d’offre de placements, quelques produits antédiluviens tels les bons de caisse ou les bons du Trésor, dont les taux sont très inférieurs à ceux fixés par les banquiers lorsqu’ils prêtent de l’argent. Rien d’étonnant, alors, à ce que les Africains investissent en masse en Europe ou aux États-Unis, bravant les interdictions de transferts en numéraire et poussant les Banques centrales, telles la BCEAO et la BEAC (Banque des États de l’Afrique centrale), à ne plus honorer leur signature dès lors qu’il s’agit de racheter à l’étranger les billets desdits « nationaux ». Il est d’ailleurs symptomatique que, lorsque les pays africains multiplient les programmes immobiliers à l’intention de leurs expatriés, les cadres restés au pays ne songent qu’à acheter un appartement à Paris, à Londres ou à Rome. Bref, la modernisation des banques africaines n’est pas achevée.

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