Arafat joue avec le feu

Publié le 26 mai 2003 Lecture : 3 minutes.

Malgré tous ses défauts, la « feuille de route » représente pour les Palestiniens le plus grand – et peut-être le dernier – espoir d’obtenir enfin leur autodétermination nationale, donc cet État pour lequel ils ont lutté et souffert depuis plus d’un demi-siècle.
Cette feuille de route, en effet, n’est pas seulement la dernière d’une série d’initiatives de paix – depuis les accords d’Oslo jusqu’aux propositions de la commission Mitchell et celles de George Tenet qui ont toutes échoué. Bien qu’elle traite surtout du processus de paix et n’offre pas de réponses précises aux problèmes du statut définitif (comme ceux de Jérusalem, des réfugiés, des frontières ou des arrangements de sécurité), elle contient des nouveautés cruciales qui manquaient aux précédents efforts de paix.
Pour la première fois, les États-Unis se sont engagés à permettre la création d’un État palestinien souverain et viable : cela, dans un document officiel qui porte l’imprimatur du président George W. Bush et témoigne de son engagement personnel. La feuille de route appelle à la fin de l’occupation israélienne en Cisjordanie et à Gaza, une situation que Bush, lors d’un discours antérieur, avait considérée comme une « menace pour l’identité d’Israël et la démocratie ». De même, Bush a fait sienne l’exigence formulée par la feuille de route d’un démantèlement de « tous les avant-postes » installés depuis 2001 et d’un gel de toute activité de colonisation, y compris celle qu’on qualifie de « croissance naturelle ».
Il est difficile de savoir si l’acceptation par Ariel Sharon de la « vision » bushienne de deux États et sa disposition proclamée à faire, pour la paix, des « compromis douloureux » sont vraiment sincères ou ne constituent que des camouflages rhétoriques pour dissimuler ses manoeuvres dilatoires jusqu’à l’enterrement de la feuille de route. Son insistance à répéter qu’Israël n’appliquera pas la feuille de route tant que les Palestiniens n’auront pas renoncé au « droit au retour » des réfugiés semble suggérer qu’il n’a pas changé d’objectifs. Tandis que cette exigence, en elle-même, est pleinement justifiable, Sharon sait fort bien qu’en faire une condition préalable au lieu d’en discuter dans le contexte des pourparlers sur le statut définitif, dans la troisième phase de la feuille de route, équivaut, sans le moindre doute, à bloquer toute négociation.
Quelles que soient les intentions de Sharon, une chose est claire : si la feuille de route échoue du fait de ses manoeuvres d’obstruction, la création d’un État palestinien sera ajournée, mais non définitivement empêchée. En revanche, si elle échoue du fait des Palestiniens, alors les États-Unis en concluront que les faucons israéliens avaient raison de clamer qu’on ne pouvait faire confiance à la volonté de paix des Palestiniens.
Cette dure réalité caractérise le défi auquel font face maintenant la direction palestinienne formée par le Premier ministre Mahmoud Abbas et le peuple palestinien tout entier. Yasser Arafat est le symbole par excellence de la lutte nationale des Palestiniens. Mais ce symbole risque aujourd’hui de devenir l’ennemi mortel de la cause même qu’il symbolise.
Les efforts que déploie Arafat pour garder le contrôle de la plupart des forces de sécurité de l’Autorité palestinienne et empêcher leur consolidation, comme le demande la feuille de route, fait le jeu des ennemis de la cause palestinienne. Si Sharon est sérieux dans sa volonté de mettre fin au conflit, l’obstructionnisme d’Arafat est impardonnable. Et si Sharon continue, à son habitude, de paralyser le processus de paix, Arafat ne lui aura pas seulement sauvé la mise, il aura rejeté tout le blâme pour l’échec de la feuille de route non sur le gouvernement du Likoud, mais sur les Palestiniens.
Il n’y a aucune garantie que même la plus scrupuleuse complaisance des Palestiniens permettra à la feuille de route de réaliser son objectif d’une création, dans trois ans, d’un État palestinien viable et souverain. La vision optimiste d’une conversion de Sharon à la paix par le moyen de négociations plutôt que par la pulvérisation du peuple palestinien et de ses institutions peut bien se révéler comme une erreur américaine. Dans ce cas, toute la responsabilité de l’échec retombera sur lui, et l’engagement américain en faveur d’un État palestinien survivra, même s’il faut abandonner le cadre de la feuille de route. En revanche, si la nouvelle direction de Mahmoud Abbas et le peuple palestinien ne rejettent pas les manipulations d’Arafat, alors ils n’auront qu’à s’en prendre à eux-mêmes pour l’irréparable dommage infligé par Arafat à leur rêve.

© The New York Times et J.A./l’intelligent 2003. Tous droits réservés.

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