Tanger vaut bien une cinémathèque

Comme l’explique Yto Barrada, initiatrice du projet, le nouvel espace dédié au septième art vient réanimer la vie culturelle de la cité marocaine.

Publié le 26 mars 2007 Lecture : 3 minutes.

Après « vingt-sept fax au conseil régional, neuf à la mairie, vingt-quatre visites à la banque, onze rendez-vous à la douane, quatre-vingt-sept lettres aux partenaires financiers, trois mois de travaux prévus qui se sont transformés en seize », la cinémathèque de Tanger a fini par ouvrir ses portes. Elle a été officiellement inaugurée le 24 février dernier. À cette occasion, son initiatrice et directrice, la photographe franco-marocaine Yto Barrada, dont les images thématisant la tentation de l’eldorado européen font le tour des galeries aux quatre coins de la planète, revient sur les motivations et les ambitions qui sous-tendent ce projet audacieux et nécessaire.

Jeune Afrique : Comment est née l’idée de la cinémathèque de Tanger ?
Yto Barrada : Tanger a la réputation d’une ville où l’on s’encanaille alors que l’on s’y ennuie terriblement. Sa légende de cité des arts est un paradoxe, voire une imposture : il n’y a aucun espace culturel vivant et intéressant. Quelques expériences privées et commerciales sont menées ici et là : deux ou trois galeries ont ouvert, les deux musées ronronnent mais ne font jamais d’exposition temporaire. Bref, tout le monde s’accorde à dire que la vie culturelle est plutôt moribonde.
Le cinéma Rif a été construit en 1948 en plein cur de la ville. En 2001, il était sur le point de fermer, un de plus sur la longue liste des cinémas de Tanger morts et enterrés depuis un quart de siècle : le Capitole, le Vox, l’Americano, l’Alcazar, le Cervantès, le Goya, le Lux, le Maghreb Le reprendre et le rénover était l’occasion rêvée de lancer enfin un projet culturel ambitieux pour que Tanger ne soit pas seulement une ville de zone franche et de villégiature.
Dès le départ, nous avons tenu à ce que la cinémathèque soit un pôle culturel où chacun puisse trouver son compte et sa langue. Une cinémathèque, donc, mais aussi un cinéma de quartier avec des films récents, des rétrospectives, des ateliers de réalisation documentaire, un ciné-club pour enfants et un café accueillant

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L’État marocain s’est-il impliqué dans la création de ce lieu ?
Oui, nous avons reçu le soutien de l’Agence de développement du Nord, du ministère de la Communication et naturellement du Centre cinématographique marocain qui ont tout de suite vu dans notre projet la continuité de leurs activités propres. Le soutien de ces institutions est très encourageant, mais, pour que notre projet perdure et ne soit pas fragilisé par des recherches permanentes de financements, il faut que la ville et les autorités locales nous rejoignent et nous accompagnent par une subvention permanente, comme Paris ou Bologne pour leurs cinémathèques.

Le projet a mis cinq ans à voir le jour. Est-ce la collecte des fonds qui a retardé son aboutissement ? Vous êtes-vous heurtés à des difficultés autres que financières ?
Lorsque l’on s’embarque dans une telle aventure, les embûches sont inimaginables et heureusement ! Nos péripéties ont été à la fois cocasses et édifiantes. Afin de ne pas décourager d’autres porteurs de projets culturels, il serait souhaitable que le gouvernement crée un guichet unique, comme celui qui existe pour les investisseurs étrangers du BTP et du tourisme à Tanger, et qui est particulièrement efficace.

Combien d’argent a-t-il fallu pour donner vie à ce projet ? De quel budget a besoin la cinémathèque pour fonctionner ?
La rénovation du bâtiment nécessitait l’équipement complet, aux normes de confort et de sécurité internationales, de deux salles de projection, d’annexes culturelles, d’une bibliothèque et d’une salle de consultation. Pour l’ensemble, il a fallu réunir environ 9 millions de dirhams (810 000 euros environ). Pour payer nos dettes et faire vivre ce projet – qui consiste à proposer des films de tous les pays, des rencontres avec des réalisateurs et des rétrospectives -, il nous faudra 3 millions de dirhams (270 000 euros) par an.

À l’heure où l’on déplore la fermeture de salles désertées, comment comptez-vous attirer le public ?
En proposant du gingembre aux ânes, comme dit le proverbe marocain. Notre politique tarifaire parle d’elle-même : nous avons les plus beaux écrans de la ville et sommes les moins chers dans cette catégorie. Nous proposons autre chose que de consommer du cinéma passivement. Les spectateurs n’ont pas besoin de nous pour cela, les DVD se trouvent à tous les coins de rue. Ce que nous proposons et qui reste inédit, c’est un choix de films de tout genre (court-métrage, documentaire, fiction et animation) sur grand écran, des débats, des ateliers et des cours, un lieu convivial dans un site unique du Tanger historique.

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Pour toute information, www.cinemathequedetanger.com

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