Soro et ses aînés

L’accord de sortie de crise entre le chef de l’État et le leader de l’ex-rébellion va-t-il marginaliser les houphouétistes. Bédié et Ouattara n’entendent pas se laisser faire.

Publié le 26 mars 2007 Lecture : 6 minutes.

L’accord signé le 4 mars à Ouagadougou, entériné le 16 par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), puis par l’Union africaine (UA), n’a encore pas été endossé par les Nations unies qu’il soulève déjà des inquiétudes. Notamment chez les houphouétistes qui n’ont cessé de s’activer avant, pendant et après sa signature. L’ancien président Henri Konan Bédié, chef de file du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), et l’ex-Premier ministre, Alassane Ouattara, patron du Rassemblement des républicains (RDR), émettent des réserves quant aux réelles intentions du chef de l’État. À leurs yeux, le dessein de Laurent Gbagbo est d’isoler puis d’affaiblir le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) suivant un scénario bien pensé : nommer le leader des Forces nouvelles (FN, ex-rébellion), Guillaume Soro, à la primature ; l’écarter du G7 (le groupe formé par les plus importants partis d’opposition avec les insurgés) pour en briser l’unité ; annihiler toute influence française ou onusienne sur la crise ; discréditer le chef de file des FN ou se donner les moyens de s’entendre avec lui ; se présenter aux élections dans une posture favorable
Mais les houphouétistes n’ont pas attendu la signature de l’accord de Ouaga pour tâcher d’enrayer cette mécanique. Avant que les délégations des FN et du gouvernement n’entament le « dialogue direct » dans la capitale burkinabè, Bédié et Ouattara se sont enfermés avec Soro pendant deux heures à la « Maison du PDCI », à Cocody, un quartier résidentiel d’Abidjan. Les deux hommes lui auraient confié : « L’objectif véritable de Gbagbo est d’écarter la résolution 1721, pour contourner l’obligation de procéder à une véritable identification et à l’organisation d’élections équitables. Les FN ne doivent négocier que les modalités de mise en uvre du texte onusien. »
Pendant le « dialogue direct », fin février, Ouattara et Alphonse Djédjé Mady, secrétaire général du PDCI, se rendent à Ouaga pour faire part de leurs préoccupations. Au cours de son séjour, le président du RDR, qui entretient d’excellents rapports avec le président burkinabè Blaise Compaoré, prend langue avec lui. De cet entretien naît l’idée d’une structure de supervision de l’application de l’accord de Ouagadougou, composée des leaders de l’opposition signataires des précédents accords. Une façon pour Bédié et Ouattara, notamment, de rester dans le jeu, en dépit de la volonté affichée de Gbagbo de les en écarter.
Les négociations bouclées, Guillaume Soro se rend à Abidjan pour en informer ses partenaires. En attendant de signer l’accord, le leader des FN en profite pour s’entretenir longuement avec Bédié, au domicile de celui-ci, à Cocody-les-Ambassades. « Gbagbo insiste pour que j’accepte le poste de Premier ministre », confie-t-il au patron du PDCI qui se dit peu enthousiasmé par l’idée. Et l’ex-rebelle de rassurer son interlocuteur qu’il ne franchira pas le Rubicon sans en référer à leur alliance commune, le G7.
Mais une fois l’accord signé, Soro se laisse peu à peu tenter par la primature, encouragé notamment par le « facilitateur », Blaise Compaoré. Alors qu’il tergiverse et fait le tour des capitales africaines (Libreville, Dakar, Accra, etc.) pour solliciter des avis, la forteresse RHDP commence à se fendre. Si Bédié et Ouattara observent une réserve prudente au lendemain de la signature de l’accord, Albert Mabri Toikeusse de l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI) et Innocent Anaky Kobéna du Mouvement des forces d’avenir (MFA), leurs alliés dans le cadre du RHDP, se montrent, quant à eux, enthousiastes. « Le tandem Gbagbo-Soro est le bienvenu. Il faut y croire », déclare Kobéna. C’en est assez pour Bédié. « Le PDCI s’interroge sur l’opportunité d’un nouveau gouvernement de transition dont la mise en place risque d’entraîner un prolongement supplémentaire des délais », écrit-il dans un communiqué.
L’ancien chef de l’État ne s’en cache pas : il est opposé au départ de Charles Konan Banny de la primature. Les rapports entre les deux hommes étaient pourtant exécrables il y a encore quelques mois. Bédié en voulait au Premier ministre de s’être trop rapproché de Gbagbo dans les mois qui ont précédé sa nomination, et d’avoir, au lendemain de son arrivée à la primature, débauché des cadres du PDCI pour étoffer son club de soutien.
Cette rivalité à peine feutrée pour le contrôle de l’ancien parti unique est aujourd’hui mise en sourdine. Acculé par les attaques du camp Gbagbo, le « petit frère » est allé se réfugier sous l’aile protectrice de son « aîné ». À trois reprises en décembre 2006, et par deux fois au mois de janvier 2007, Konan Banny s’est rendu au domicile de Bédié. Avant que Jean, le grand frère du Premier ministre, n’y conduise, fin février, une délégation de la famille Banny. Dans la plus pure tradition baoulée, les différends ont été mis à plat Bédié n’entend ainsi plus se priver de l’apport de son cadet devenu aujourd’hui un allié.
Au lendemain de l’accord de Ouaga, Bédié contacte son ami John Kufuor, chef de l’État ghanéen et président en exercice de l’Union africaine (UA). Ce dernier, qui reçoit Konan Banny, le 16 mars à Accra, se fait le relais des préoccupations du Premier ministre ivoirien auprès de Blaise Compaoré. Lequel accueillera à son tour le chef du gouvernement. Face au « facilitateur », Konan Banny insiste pour que le second volet des discussions de Ouaga, engagé le 19 mars, précise les dispositions de l’accord du 4 mars et le rende plus conforme à la résolution 1721. Il obtient des engagements dans ce sens, épaulé par les leaders houphouétistes qui ne restent pas inactifs.
Pour faire triompher sa position, Bédié reprend contact avec Kufuor et s’entretient au téléphone avec les présidents sénégalais Abdoulaye Wade et nigérien Mamadou Tandja Ainsi qu’avec le chef de l’État gabonais Omar Bongo Ondimba, dont il s’est rapproché ces derniers mois, par, dit-on, l’entremise de Ouattara. Bongo Ondimba expose sa proposition : suspension de la Constitution, cohabitation de deux ans avec Gbagbo comme chef de l’État, Ouattara comme vice-président, Bédié président d’une Assemblée constituante chargée d’édicter une nouvelle Constitution, et Soro, Premier ministre. L’idée n’est pas nouvelle mais a le mérite de ramener dans le jeu ses « protégés » à Abidjan. Le chef de file des FN, lui, se dit convaincu le 7 mars, à Libreville.
Les jeunes du RHDP ne sont pas en reste. Au cours du week-end des 17 et 18 mars, Kouadio Konan Bertin (KKB), président de la Jeunesse du PDCI, et Jean Blé Guirao, son alter ego de l’UDPCI, se rendent à Bouaké et rencontrent Soro, qu’ils connaissent depuis de nombreuses années. Lorsque Blé Guirao dirigeait la Fesci, le syndicat étudiant ivoirien, en 1994, Soro était son adjoint. Celui-ci a également partagé avec KKB pendant plusieurs années le même pavillon, à la résidence universitaire de Port-Bouët. Entre jeunes de la même génération, le débat est franc. Si les protagonistes ne souhaitent rien dévoiler de leur entretien, KKB confie tout de même à ses proches : « Il ne faut pas créer des histoires là où il n’y en a pas. J’ai discuté avec mon frère. Il n’y a pas le feu à la maison. » Dont acte.
Au-delà des alliances d’appareils, les houphouétistes fixent une ligne rouge : ils dénonceront l’accord de Ouaga s’il y a le moindre doute sur la fiabilité des futures listes électorales. En attendant, ils s’activent pour empêcher la force française Licorne et les Casques bleus de quitter le pays avant la tenue des élections. L’opposition reste convaincue que Gbagbo souhaite le départ de ces forces impartiales pour contrôler militairement le pays. Et avoir la mainmise sur le processus électoral. Une crainte dont a fait part Bédié au président français Jacques Chirac, son ami de longue date. Ce qui expliquerait alors la position adoptée, le 15 mars dernier, par le Premier ministre français, Dominique de Villepin, devant le Conseil de sécurité des Nations unies. « Il est hors de question de prendre le risque d’alléger la force Licorne, même symboliquement, avant l’élection présidentielle. Toutes les options doivent rester ouvertes en fonction du degré d’application de l’accord », a-t-il confié à Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU. Lequel a déclaré à l’issue de son tête-à-tête avec Dominique de Villepin : « Bien que nous soyons encouragés par le récent accord de paix, il y a toujours des questions à clarifier. » Pour ce faire, « il faut tenir compte des remarques du PDCI », conseille, de son côté, Alphonse Djédjé Mady. Le message est clair : Bédié et ses amis houphouétistes ne se laisseront pas faire.

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