Quelques fragments d’un Maroc disparu

Dans ce recueil, Maati Kabbal raconte le pays de son enfance. Mais aussi celui d’aujourd’hui, qu’il ne reconnaît plus.

Publié le 26 mars 2007 Lecture : 2 minutes.

L’écrivain entre deux rives, que Maati Kabbal personnifie parfaitement, est en butte à une interrogation : il sait d’où il vient, il sait à peu près où il est, mais il se demande si ce déplacement, cette errance, cet exil étaient vraiment nécessaires. D’où la nostalgie qui s’empare de lui, par intermittences : « Revenir pour sa mère, sentir à nouveau le brûlé tropical, le mélange de plomb et de poussière [] l’embrun d’un phosphate sournois » Mais bientôt ce retour se change en regret. C’est que les choses ont changé, ce pays de notre enfance prend un visage inconnu, inattendu – ce qui nous vaut, sous la plume de Kabbal, des échappées sur un présent lourd de menaces : émigration clandestine, prédicateurs invoquant le feu de l’enfer, chauffeur de taxi qui a tôt fait de classer le jeune homme parmi les impies – ce passé somme toute débonnaire est vraiment passé
Il y a donc des retours, des allers-retours plutôt, dans ce recueil de nouvelles (on devrait plutôt dire : de « choses vues ») où le talent de miniaturiste de Kabbal se donne libre cours, parfois de façon poignante – on trouve des têtes d’homme dans les décharges publiques, on porte sa mère en soi, sa « mère de douleurs » – parfois drôle – on pense à ce personnage qui s’identifie tellement à ses idoles sportives qu’il finit régulièrement à l’hôpital, après avoir assisté à leurs exploits, épuisé par leurs efforts
Parfois, c’est dans un passé qu’il n’a pas connu que se plonge l’auteur, faisant sienne la mémoire des autres, la mémoire des siens, et c’est alors la cruelle mésaventure de l’ancien combattant qui a donné sa jambe dans la lointaine Indochine, pour la France d’alors, mais que la France d’aujourd’hui prend pour un clandestin. La nostalgie infuse cette plongée dans l’Histoire et parfois résonne, incongru, le Chant des tabors pour nous rappeler un pan de notre histoire qu’il nous faut, malgré tout, assumer.
Les nouvelles de Maati Kabbal peuvent parfois déconcerter tant elles épousent au plus près tout l’absurde de la vie – après tout, nos péripéties quotidiennes ne font pas toujours sens non plus. C’est pourquoi on rencontre au fil des pages des hommes aux métiers improbables, qui font commerce de téléphones cassés ou de valises éventrées. C’est pourquoi plus d’une histoire – Viva Ferrara, entre autres – se clôt sèchement sur une fin aussi cruelle qu’énigmatique qui vient nous rappeler le caractère éphémère du bonheur. La folie rôde, accompagnée par le son d’une ritournelle jouée sur un violon « fabriqué avec un bidon Mobil Oil ». C’est peut-être la musique d’un film aussi mal fichu que la vie, et on ne s’étonne pas de croiser Jennifer Lopez ou Claude Chabrol en tournant une page, en sautant d’un récit à l’autre. Rêve ou réalité ? Qu’importe, finalement. La vie est un songe, souvent triste, parfois gai. Ces éclats de vie signés Kabbal l’illustrent de façon très humaine, très fraternelle.

Maroc, éclats instantanés, de Maati Kabbal, éditions Le Grand Souffle, Paris (2007).

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