Leur vie après le pouvoir

Après l’élection du nouveau chef de l’État, que vont faire les membres du Conseil militaire pour la justice et le développement (CMJD) ?

Publié le 26 mars 2007 Lecture : 5 minutes.

C’est une question que les candidats à la présidentielle ont généralement abordée du bout des lèvres, un tabou qu’ils n’ont pas osé briser. Aujourd’hui, c’est un dossier délicat sur le bureau du chef de l’État élu le 25 mars (après le « bouclage » de ce numéro) : que vont devenir les membres du Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD) ?
L’ordonnance constitutionnelle est sans ambiguïté : les organes de la transition démocratique engagée en Mauritanie au lendemain du putsch du 3 août 2005 disparaissent ipso facto après l’investiture du nouveau chef de l’État. Or celle-ci doit avoir lieu entre le 15 et le 20 avril. Théoriquement, les dix-sept militaires qui ont dirigé la Mauritanie pendant les dix-neuf derniers mois vont donc retrouver leurs fonctions antérieures, qui dans une caserne de l’intérieur du pays, qui dans une région militaire, qui à la tête d’un corps d’armée. Une sortie sans tambour ni trompette.
Le scénario est idéal, mais, dans ce pays où pouvoirs militaire et civil ont eu tendance à se confondre pendant près de trente ans, il est à bien des égards irréaliste. « Ils ne seront jamais loin », avertit le directeur de la communication d’un candidat recalé au premier tour. « Au sein du CMJD, certains ont rompu leur serment de neutralité en faisant campagne pour un candidat », renchérit un adversaire.
L’avenir d’Ely Ould Mohamed Vall est beaucoup plus clair. Dans son désormais célèbre discours du Palais des congrès, le 27 janvier, il fait savoir aux candidats, à mots à peine couverts, que le sort des militaires n’était pas leur affaire. Trois jours plus tard, il a confié à la presse qu’il prendrait sa retraite à l’issue de la transition. « Il ne peut en être autrement, commente un journaliste. Toute autre solution serait inconvenante. » Rien n’interdit toutefois à l’ancien directeur de la Sûreté de Maaouiya Ould Taya d’être candidat à la présidentielle de 2012. Il suivrait ainsi l’exemple du Malien Amadou Toumani Touré, qui, après avoir renversé Moussa Traoré, en 1991, et instauré une transition démocratique, s’était retiré de la vie politique, avant d’y faire un retour triomphal, en 2002, en se faisant élire à la présidence.
En attendant une hypothétique heure de gloire, le colonel Vall pourrait être solennellement remercié pour service rendu à la nation. Par exemple, en accédant au grade de général, honneur dont seul le colonel Ould Boukhreiss, chef d’état-major de l’armée sous Maaouiya Ould Taya, a jusqu’ici bénéficié, à l’occasion de son départ à la retraite. Plusieurs observateurs l’imaginent en « ambassadeur de la démocratie » – pourquoi pas dans le monde arabe ? « Ely pourrait jouer les pacificateurs, ici ; les médiateurs, là. Sa reconversion n’est pas un problème », estime un intellectuel.
Ce qui n’est pas forcément le cas de celle des autres membres du CMJD. Commandant du Bataillon de la sécurité présidentielle (Basep), le colonel Mohamed Ould Abdel Aziz fut, avec l’ancien directeur de la Sûreté, la cheville ouvrière du coup d’État avant de devenir le numéro deux du CMJD. Se contentera-t-il du Basep ? Le poste est loin d’être négligeable – craignant en permanence pour sa sécurité, Ould Taya avait en effet suréquipé cette unité d’élite -, mais le rôle moins prestigieux que celui qui fut le sien pendant la transition. « Il a toujours été aux côtés du président. Comment pourrait-il, du jour au lendemain, accepter de retourner à la caserne ? » s’interroge un journaliste. Dans la fleur de l’âge (il a moins de 50 ans), le colonel passe pour ambitieux. Désireux de tirer les ficelles en coulisse, il serait, dit-on, à l’origine de la candidature de Sidi Ould Cheikh Abdallahi. En tout cas, les partisans d’Ahmed Ould Daddah s’inquiètent ouvertement de sa possible immixtion dans les affaires civiles.
Celle du colonel Ould Ghazouani, chef du renseignement militaire directement associé au complot du 3 août 2005 (il a ensuite remplacé Vall à la direction de la Sûreté), est également redoutée, mais dans une moindre mesure. « Ni l’un ni l’autre n’accepteront d’être placés sous les ordres de supérieurs plus âgés », estime un intellectuel. Jugés plus légalistes, les chefs de corps (état-major, gendarmerie, Garde nationale) et de régions militaires inspirent, en revanche, moins d’inquiétude. En toute occurrence, le nouveau chef de l’État n’aura d’autre choix que de les ménager.
Sachant que le coup d’État a longtemps été, en Mauritanie, le mode habituel, sinon normal, de transmission du pouvoir (une dizaine, réussis ou déjoués, ont eu lieu depuis trente ans), les candidats à la présidentielle ont soigneusement évité de froisser les militaires en s’interrogeant publiquement sur leur avenir. « Leur retour dans les casernes ne sera pas une rétrogradation, mais un retour à la mission noble et hautement stratégique de l’armée », commentait-on prudemment dans l’entourage de Cheikh Abdallahi, à la veille du second tour. Trois jours avant le scrutin, sur Radio France Internationale, ce dernier n’a pas exclu de leur témoigner sa reconnaissance. Plus audacieux, Ould Daddah avait, dans une interview à Jeune Afrique (n° 2406, 18-24 février 2007), évoqué plusieurs hypothèses, notamment la création d’un « Conseil national de sécurité auprès du chef de l’État » ou « des fonctions dans le gouvernement, la diplomatie, la haute administration territoriale ou à la tête de sociétés d’État ». Ces déclarations avaient été perçues par ses adversaires comme une manuvre pour s’attirer la bienveillance du CMJD…
« Pendant la transition, on n’a pas discuté de leur avenir avec les militaires, regrette un spécialiste. Et cela arrange bien ceux qui sont tentés de s’accrocher au pouvoir. » En revanche, personne ne conteste que l’armée doit être placée « dans les meilleures conditions » pour exercer sa mission. S’ils ont bénéficié, comme l’ensemble des fonctionnaires, d’un doublement de leur salaire pendant la transition, les militaires restent, de l’aveu général, mal payés. Un relèvement de leurs soldes serait de nature à atténuer les frustrations – et à prévenir les tentations.
Pour certains, le problème de la reconversion des principaux membres du CMJD se résoudra de lui-même, avec le temps. « Si les institutions démocratiques fonctionnent, ils seront de facto mis hors jeu », se rassure un optimiste. « Il reste des chances pour que la Mauritanie devienne un pays normal ! » ironise un autre, bien conscient que « l’avenir a la forme d’un point d’interrogation ».

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