Le nerf de la paix

Si l’aide internationale ne reprend pas rapidement, l’alliance Fatah-Hamas pourrait voler en éclats et la violence se déchaîner à nouveau

Publié le 26 mars 2007 Lecture : 6 minutes.

A peine formé et encore fragile, le gouvernement d’union nationale palestinien est en grand danger. Il a été ici et là salué par des sourires et des poignées de main, des contacts ont été pris avec plusieurs pays, mais il manque l’essentiel : l’argent. Si l’aide internationale ne reprend pas rapidement pour permettre au nouveau gouvernement de fonctionner, l’alliance Fatah-Hamas risque de voler en éclats et la violence de se déchaîner derechef sur les territoires palestiniens. Beaucoup de sang a coulé entre les deux organisations palestiniennes rivales, et leurs divergences idéologiques restent profondes. Si l’on ne donne pas sa chance à leur gouvernement commun, les contradictions internes pourraient le jeter à bas. Mais les donateurs internationaux hésitent. Ils veulent voir comment le gouvernement va se comporter avant de s’engager dans un nouveau financement. C’est la situation de l’uf et de la poule.
La dure réalité est que sans une rentrée d’argent, le gouvernement palestinien sera dans l’impossibilité de payer les salaires et les retraites de ses fonctionnaires. C’est une facture de 115 millions de dollars par mois qui fait vivre l’économie. Les personnels de santé ont fait grève la semaine dernière parce qu’ils n’avaient pas été payés. Le secteur privé est en ruine et beaucoup d’entreprises se sont expatriées.
Israël espère que ce nouveau gouvernement va s’effondrer. L’État hébreu refuse catégoriquement de négocier avec lui et a demandé à la communauté internationale de poursuivre le boycottage. Il veut que ce gouvernement ne soit pas reconnu et disparaisse. Les États-Unis, cependant, hésitent. Fait sans précédent, la secrétaire d’État Condoleezza Rice ne s’est pas alignée sur la position israélienne. Elle est retournée au Moyen-Orient le week-end dernier après s’être déclarée prête à rencontrer des ministres qui ne sont pas membres du Hamas. Sur ses instructions, le consul américain à Jérusalem, Jacob Walles, s’est rendu à Ramallah la semaine dernière pour rencontrer le ministre palestinien des Finances, Salam Fayyad. Le gouvernement israélien est resté muet comme une tombe.
À Washington, le faucon Elliott Abrams, qui est membre du Conseil de sécurité nationale et défenseur inconditionnel d’Israël, est opposé à ce qu’on fasse la moindre concession au gouvernement palestinien. Il espère encore que le Hamas pourra en être exclu, peut-être par de nouvelles élections, et que le Fatah, plus accommodant, se retrouvera au pouvoir. Il semble que l’accord signé à La Mecque, le mois dernier, entre le Hamas et le Fatah, sous les auspices de l’Arabie saoudite, ait pris de court les États-Unis et Israël et qu’ils ne savent pas trop comment réagir. Ils cherchent à gagner du temps, sans doute dans l’espoir que le gouvernement d’union ne tiendra pas.
La nouvelle équipe aura certainement beaucoup de mal à gouverner si Israël continue de bloquer les quelque 50 millions de dollars d’impôts mensuels palestiniens qu’il garde en toute illégalité, et si les États-Unis continuent de menacer les banques arabes de sanctions au cas où elles transféreraient de l’argent dans les territoires palestiniens. Une épreuve de force est ainsi en cours entre ceux qui, aux États-Unis et en Israël, souhaitent faire échouer la nouvelle expérience, et les Arabes et les Européens, qui considèrent que le gouvernement d’union est la meilleure chance de sortir de la crise.
Les Européens sont, comme toujours, divisés. Certains membres de l’Union européenne (UE), dont la France, l’Espagne et la Belgique, sont prêts à parler avec les membres indépendants du nouveau gouvernement, tels que le ministre des Affaires étrangères Ziyad Abou Amr et Salam Fayyad. Mais avoir des contacts avec le gouvernement d’union nationale sans reprendre l’aide, c’est faire le jeu de ceux qui veulent son échec. La discrimination entre les membres du gouvernement palestinien n’est pas une bonne politique. Elle l’affaiblira et encouragera les antagonismes.
L’énergie dont fait preuve la diplomatie saoudienne sur la question palestinienne est l’un des éléments les plus prometteurs. La semaine dernière, le roi Abdallah Ibn Abdelaziz a reçu Khaled Mechaal, le chef du bureau politique du Hamas, qui vit à Damas. On a bon espoir que le sommet arabe de Riyad, à la fin du mois, relance l’Initiative de paix arabe de 2002, qui propose à Israël la paix et des relations normales avec les vingt-deux membres de la Ligue arabe s’il se retire sur les frontières de 1967.
Selon des sources londoniennes, le Premier ministre britannique Tony Blair envisagerait de parler avec le Hamas. Ce serait un important changement de la politique britannique et cela encouragerait d’autres pays européens à mettre fin au boycottage. Mais Blair ne s’est pas encore désolidarisé publiquement de la position américaine et israélienne.
Démarche exceptionnelle, cependant, il a écrit, le 12 mars, au roi Mohammed VI du Maroc, président du Comité Al-Qods, pour indiquer clairement que la Grande-Bretagne ne reconnaît aucune souveraineté sur aucune partie de Jérusalem. « Le statut de Jérusalem, écrit-il, reste à déterminer, et le problème doit être réglé dans le cadre de l’accord sur le statut final. En attendant cet accord, nous considérons que Jérusalem-Est est un territoire occupé. Nous ne reconnaissons aucune revendication de souveraineté sur la ville. Nous ne soutenons aucune action qui préjuge des négociations sur le futur statut final de Jérusalem. »
Bien que ce soit depuis longtemps la position officielle de la Grande-Bretagne, les observateurs londoniens soulignent que c’est la première fois que Blair s’exprime de manière aussi tranchée sur le sujet, et se démarque autant de la position américaine et israélienne. Sa lettre trahit peut-être son irritation personnelle devant l’intransigeance d’Israël et son désir de faire clairement connaître son point de vue avant de quitter les affaires dans les prochains mois.
Défenseur convaincu de la cause de la paix israélo-palestinienne, la Norvège est jusqu’ici le seul pays européen à déclarer qu’il établit de pleines relations politiques et économiques avec le nouveau gouvernement palestinien. Comme elle n’est pas membre de l’UE, elle n’a pas les mains liées par les conditions du Quartet pour traiter avec le Hamas – conditions, en fait, dictées par les États-Unis.
L’aide aux Palestiniens est devenue un problème controversé. Malgré le boycottage imposé par les États-Unis, l’UE et Israël à la suite de la victoire du Hamas aux élections de janvier 2006, les Palestiniens ont reçu effectivement des montants d’aide occidentale considérables l’an passé. Mais au lieu d’être versé au gouvernement, l’argent est allé à des agences de l’ONU et à des ONG sous forme d’aide humanitaire pour venir au secours d’une population gravement touchée par les mesures punitives israéliennes. À Gaza, par exemple, 49 % de la population est dans l’impossibilité de subvenir elle-même à ses besoins. Le paradoxe est qu’en contournant le gouvernement démocratiquement élu, les donateurs internationaux ont contribué au manque de transparence dans le versement des fonds – le contraire de ce qu’ils souhaitaient. L’argent de l’aide a été mal comptabilisé et les responsables politiques palestiniens n’en ont pas profité.
Comme le dit Alvaro de Soto, l’envoyé spécial des Nations unies au Moyen-Orient, dans une déclaration citée par l’International Herald Tribune du 21 mars : « On craint vraiment que les institutions palestiniennes que la communauté des donateurs internationaux a eu tant de mal à mettre sur pied et à conforter au long des années ne périclitent peu à peu. Les conséquences politiques peuvent être graves, puisque ces institutions sont destinées à être le fondement du futur État palestinien. »
Il semble actuellement qu’une lente érosion du boycottage soit en cours, mais la communauté internationale attend de voir comment se comportera le gouvernement palestinien. Si malgré les graves difficultés auxquelles il se heurte, il se montre raisonnablement compétent, l’aide finira par arriver. Mais peut-il survivre d’ici là ? Si la communauté internationale n’agit pas, les conséquences inévitables seront la violence et le chaos. Comme toujours, Israël est le principal obstacle à la stabilité dans les territoires occupés et au progrès sur le front de la paix. Le Premier ministre Ehoud Olmert ne survivra peut-être pas à la publication du rapport Winograd sur la manière dont a été conduite la guerre du Liban l’été dernier. Le parti Kadima est déchiré par les querelles internes, la ministre des Affaires étrangères Tzini Livni espérant bien devenir Premier ministre si Olmert perd sa place.
Les derniers sondages indiquent que plus de 50 % des Israéliens seraient favorables à un dialogue avec le nouveau gouvernement palestinien, mais le cabinet Olmert n’a ni la volonté ni le courage de relever le défi. Il est probable que seule une forte pression des Européens et des Arabes, appuyée même à contrecur par les États-Unis, peut amener Israël à la table de négociation.

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