RD Congo : y a-t-il un pilote à la Gécamines ?
Scandale de surfacturation, ingérence de l’État, explosion des coûts… Rien ne va plus à la Gécamines, la grande entreprise minière publique du Katanga, qui attend la nomination d’un nouveau dirigeant.
Plus d’un mois après l’éviction d’Ahmed Kalej Nkand de la Gécamines, le 26 juillet 2014, c’est toujours le flou artistique qui règne au sein de la société, propriété de l’État congolais. Cause du limogeage – par décret présidentiel – de l’administrateur délégué général : une affaire de surfacturation de matériel minier d’environ 13,5 millions de dollars (10 millions d’euros), sur un contrat total de 20 millions auquel il aurait donné son aval, avec la participation de certains cadres des services achats. La Gécamines aurait fait à des prix indus l’acquisition de 73 machines d’occasion, pour certaines obsolètes.
À Lubumbashi, où la société est basée, et à Kinshasa, l’incompréhension domine. « Pourquoi le rapport d’audit sur la surfacturation n’a-t-il pas été rendu public ? Et si les faits sont avérés, pourquoi n’y a-t-il pas encore de plainte déposée contre Ahmed Nkand ? » s’interroge un avocat kinois qui connaît bien la Gécamines.
D’autres s’étonnent qu’Albert Yuma Mulimbi, le président du conseil d’administration, arrivé aux commandes fin 2010, en même temps que l’administrateur limogé, ait conservé son poste. « N’a-t-il pas failli à sa mission de contrôle ? » se demande un avocat européen habitué de Kinshasa. Pour beaucoup, Nkand paie sans doute sa mésentente personnelle avec Yuma.
Même si elle a changé de statut, devenant société par actions en 2010, la Gécamines fonctionne encore comme si elle était l’apanage de l’État. « On a mis en place un conseil d’administration censé orienter la stratégie et contrôler la bonne marche de la société, et une direction générale centrée sur les questions opérationnelles. Mais la présidence de la République, le ministère des Mines et les responsables provinciaux continuent d’intervenir dans les affaires de la société, notamment en matière fiscale », remarque l’avocat kinois.
Reprise en main
Contacté à plusieurs reprises par Jeune Afrique le mois dernier, Albert Yuma affirmait le 25 août se trouver « à l’étranger, en train de préparer une nouvelle stratégie pour l’entreprise ». Mais il n’a pas souhaité donner son sentiment sur l’affaire de surfacturation ni son opinion sur la situation de la Gécamines.
Début 2011, le président du conseil d’administration avait pourtant fait souffler un vent d’optimisme sur l’héritière des sociétés créées au Katanga par les colons belges et des entrepreneurs sud-africains à la fin du XIXe siècle. Dans un discours bien huilé, ce proche du président Joseph Kabila et président de la Fédération des entreprises du Congo (FEC) annonçait un plan d’investissement de 962 millions de dollars.
4,3 % : C’est la part de la société publique dans la production nationale du cuivre
Cela devait permettre une reprise en main opérationnelle des activités d’exploration et de production, ainsi qu’une restructuration pour remettre à flot la compétitivité de la société. Ces nouvelles orientations prenaient le contre-pied du désengagement de la compagnie observé les années précédentes : la Gécamines avait pris l’habitude de confier l’exploitation de ses gisements à des partenaires internationaux comme le suisse Glencore, l’américain Freeport-McMoRan ou le britannique ENRC, aujourd’hui très actifs au Katanga.
Compétitivité
C’est un fait, la production de la Gécamines a progressé depuis l’arrivée du tandem Yuma-Nkand : de 13 367 tonnes de cuivre produites en 2009, la société a atteint quelque 40 000 tonnes en 2013. Mais cela reste 20 % en dessous de l’objectif de 50 000 tonnes qu’elle s’était assigné. En 2013, la Gécamines ne représentait plus que 4,3 % de la production totale nationale (contre 5,9 % un an plus tôt), du fait de la montée en puissance des sociétés internationales. Le mégacomplexe minier de Tenke-Fungurume, mené par le groupe américain Freeport-McMoRan, pourrait produire à lui seul quelque 200 000 tonnes de cuivre par an dès 2016…
Depuis l’éviction d’Ahmed Kalej Nkand, un flou artistique règne au sein de la société
Le chantier de la restructuration des coûts s’est aussi enlisé. La vétusté du matériel grève la compétitivité. « Les installations industrielles de la Gécamines consomment trois fois plus d’énergie que celles des grands groupes internationaux au Katanga », note un haut fonctionnaire congolais impliqué dans les dossiers miniers. « Il y a eu des investissements pour améliorer la performance des concentrateurs de minerais, mais c’est insuffisant. L’affaire de surfacturation le montre : on a voulu renouveler le matériel, mais on l’a parfois terriblement mal fait », note l’avocat kinois.
Réduction des effectifs
Autre dossier qui fait du surplace, celui de la réduction des effectifs, jugés « pléthoriques » par plusieurs observateurs. En 2011, Albert Yuma évoquait une mise à la retraite de 5 000 des 11 000 salariés de la Gécamines, alors que la moyenne d’âge des employés était de 56 ans. Enfin, la gestion des nombreux partenariats de la société (au nombre de 36) laisse également à désirer. Albert Yuma avait promis de « faire le ménage » pour reprendre les licences aux groupes miniers n’ayant pas fait leur travail d’exploration. Cela a été le cas pour plusieurs contrats, notamment ceux d’African Rainbow Minerals (du Sud-Africain Patrice Motsepe) et de Vale dans le projet de Kasonta-Lupoto.
Mais la revente par la Gécamines de licences minières à des acteurs controversés a continué de faire polémique, en témoigne la tentative de revente en octobre 2013 des 20 % de la Gécamines dans le projet de Kamoto à Dan Gertler, un homme d’affaires israélien proche du président Kabila. Une opération qui a suscité l’ire de la primature à Kinshasa, tout comme celle du Fonds monétaire international, qui souhaitent des appels d’offres transparents et ouverts pour les cessions d’actifs.
En attendant la nomination par Joseph Kabila du remplaçant d’Ahmed Kalej Nkand, cette période transitoire floue se prolonge à la tête de la Gécamines.
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