En avant la musique

Le plus grand complexe de production et d’animation culturelle du pays ouvrira ses portes en 2009 à Tunis.

Publié le 26 mars 2007 Lecture : 5 minutes.

« Vaisseau amiral », « fleuron », « projet pharaonique » « Beaubourg de Tunis » Au sein même du ministère tunisien de la Culture, les superlatifs ne manquent pas pour qualifier la future Cité, dont la construction a repris au cur de la capitale. Une chose est sûre, ce mégaprojet, dont les travaux s’achèveront en 2009, sera le plus grand espace de production et d’animation culturelle du pays. En outre, il comptera comme le troisième lieu culturel d’envergure dans le monde arabe, après l’Opéra du Caire et celui de Damas. « Et tout cela sans pétrole ! » fait remarquer avec fierté l’un des responsables du projet.
L’idée d’un complexe culturel à Tunis remonte aux années 1980. Il s’agissait alors de combler une lacune : le dernier vrai théâtre du pays avait été conçu en 1902, par l’État colonial. Le projet est réactivé en 1994, quand les autorités décident de doter la capitale d’une infrastructure d’éducation et d’animation. La première réalisation sera la Cité de la science, inaugurée en 2002. Commencés il y a quatre ans, les travaux de la Cité de la culture ont dû être interrompus faute de moyens financiers. Aujourd’hui, l’ouvrage est relancé pour de bon et plusieurs équipes y travaillent d’arrache-pied, entre conseillers, chargés de mission et comités de réflexion. Instruits par l’expérience de la Cité de la science, qui avait connu un démarrage difficile, les responsables du ministère de la Culture ont anticipé en créant une « direction culturelle » chargée du contenu.
La Cité dispose de 9 hectares au cur de la capitale, le long de l’avenue Mohammed-V – la plus chère de Tunis – et fait face au quartier des banques et des assurances. Le bâtiment, dont le chantier est confié au ministère de l’Équipement, est piloté par l’architecte Riyadh Bahri. Il s’étalera sur 50 000 m2 et sera doté d’une tour de 60 mètres. Il abritera un opéra de 1 800 sièges, une scène de 800 places, un théâtre expérimental pour 300 spectateurs, deux salles de cinéma, une galerie d’art moderne, une médiathèque, un complexe commercial librairie-vidéothèque, des espaces de vie, de loisir et de restauration. Un Palais des congrès, des salles pour séminaires et colloques seront aménagés à l’intention des collectivités et des associations. Cette première tranche sera terminée en 2009. La seconde concernera le « grand musée des Civilisations », un espace de 20 000 m2 supplémentaires réservé aux pièces du patrimoine national ainsi qu’aux grandes expositions archéologiques venues d’ailleurs.
Tous ces atouts rendent confiant le ministre de la Culture, Mohamed el-Aziz Ben Achour, pour qui ce projet est : « La mise en uvre d’une culture pour tous encourageant la création et accompagnant la mondialisation. » « Avec ce nouvel espace, la culture en Tunisie va bondir vers d’autres horizons. Et passer au stade supérieur du professionnalisme », renchérit le directeur de la programmation, Raja Farhat. Intellectuel brillant et communicateur hors pair, l’homme n’est jamais à court d’idées. Mais il joue gros. Il lui faut avant tout relever les défis matériels. Et ils ne sont pas minces. Se pose d’abord le problème de la formation des cadres. Cinquante métiers figureront dans l’organigramme de la cité – du responsable de gestion à l’animateur en passant par le technicien -, qu’il faudra former à l’intérieur et à l’extérieur de la Tunisie. De l’aveu même du ministre, il s’agit là de « la bataille la plus importante. Car si nous avons un outil de grande technologie, nous n’avons pas de cadres outillés. » Deuxième défi : le financement. Au budget de 100 millions de DT (60 millions d’euros) destiné à livrer l’espace clés en main, il faudra ajouter les sommes nécessaires au fonctionnement, plus précisément la masse salariale, les frais d’entretien, de climatisation et d’éclairage, les coûts de formation et de production.
Pour Raja Farhat, la règle d’or sera « l’austérité » : contrôle et réduction des coûts et des charges, diminution de la facture énergétique grâce, notamment, au recours à l’énergie solaire, et rentabilisation des espaces par une bonne gestion de leur location. Cette option d’autofinancement a induit le choix du statut d’Établissement public à caractère non administratif (Epna), ce qui permet à la Cité de s’affranchir de l’État pour solliciter le partenariat d’entreprises privées. Enfin, les responsables tablent sur un espace commercial locatif de 40 000 m2 et sur l’aide d’états amis qui pourraient financer certaines créations.
Lorsqu’on demande à Raja Farhat – qui prépare déjà le programme 2009 – s’il ne craint pas que la Cité devienne « un ministère dans le ministère », il répond : « Non, ce sera l’outil premier du ministère de la Culture pour réaliser un bond qualitatif. » Et lorsqu’on exprime la crainte de voir le nouvel espace étouffer la création indépendante, il réplique : « Il n’est pas question d’organiser une structure semblable à la maison de culture communiste des années 1930. Nous allons dans le sens libéral, le plus ouvert possible, et entreprendrons des partenariats avec tous les acteurs culturels, qu’il s’agisse d’individus ou de sociétés. » « Ce sera la cité des gens de culture, clame de son côté le ministre Ben Achour. Son objectif est d’assurer l’épanouissement de la création tunisienne. » En projetant d’accueillir toutes les manifestations nationales ou de servir d’adresse pour le festival de Carthage ou les JCC [Journées cinématographiques de Carthage] », la Cité compte « servir, grâce à un système de location et de cahier de charges, d’infrastructure destinée aux artistes qui ne disposent pas d’espaces propres », assure Farhat. Autre écueil à éviter, celui de la centralisation. Mais, là encore, les responsables affirment que la Cité profitera « à la Tunisie entière et pas seulement à Tunis ». Une Cité « virtuelle » sera pilotée sur Internet par une rédaction indépendante qui gérera le flux interactif et assurera la retransmission des manifestations.
Reste la grande inconnue : le public. Comment faire de la Cité un pôle attractif qui recevrait autant, si ce n’est plus, de visiteurs que les supermarchés de la capitale ? Et comment attirer un public arabophone à un concert de Mozart ? « Il suffit de suivre l’exemple de l’opéra de Damas, lance Farhat. Un million de spectateurs viennent chaque année écouter tous les styles de musiques. » Sauf qu’en dehors de la dernière génération francophone, les amateurs d’art lyrique en Tunisie ne se recrutent pas aussi facilement que cela. « Il faut renouveler le public, miser sur d’autres générations, réplique le directeur de la programmation. En Tunisie, nous ne sommes pas seulement unilingues et tournés vers un Orient mystique, comme le pensent les pessimistes. Les acteurs de la vie culturelle prépareront le jeune public à accueillir de nouvelles musiques. La génération des SMS et du MP3 peut tout à fait s’intéresser à de nouvelles expressions artistiques. » Vu pieux, enthousiasme débordant ou autosuggestion ? Toujours est-il que la ferveur et les moyens actuellement mis en uvre pour créer la Cité de la culture, ainsi que l’obsession de ses responsables à voir les choses en grand – parfois contre toute logique administrative -, prouvent que le pouvoir local a pris conscience de l’enjeu culturel. Et semble bien déterminé à faire de la culture une option politique contre l’intégrisme. « La Cité sera un avant-poste contre l’obscurantisme et la décadence », déclare sans détour le ministre.

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