Transition, suite et fin

Le 3 août 2005, le Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD) prend le pouvoir et promet d’organiser des élections. Dix-neuf mois plus tard, le processus arrive à son terme, avec la présidentielle du 11 mars.

Publié le 27 février 2007 Lecture : 4 minutes.

Jamais, en l’espace d’une année, les Mauritaniens ne se sont autant rendus aux urnes. Référendum constitutionnel en juin (qui a notamment entériné la réduction de la durée du mandat du chef de l’État à cinq ans et la limitation de son renouvellement à une seule fois), municipales et législatives en novembre-décembre, sénatoriales en janvier, et, ultime étape, présidentielle le 11 mars. À l’issue d’un processus démocratique inédit dans une histoire nationale ponctuée de putschs et de mascarades électorales, un million de Mauritaniens sont attendus aux urnes, dans deux semaines, pour choisir le futur chef de l’État parmi dix-neuf candidats. Ils diront par la même occasion adieu à une transition de dix-neuf mois, initiée au lendemain du coup d’État du 3 août. Le « changement », comme l’opinion l’a pudiquement baptisé, a sonné le glas du régime de Maaouiya Ould Taya et permis l’arrivée au pouvoir du Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD), présidé par le colonel Ely Ould Mohamed Vall.
Dans le soulagement – mâtiné d’euphorie – qui suit le 3 août, les promesses des nouveaux hommes forts de Nouakchott s’enchaînent : exécution d’un calendrier électoral, promotion des libertés fondamentales, transparence dans la gestion des affaires publiques. Incrédules tout en voulant y croire, les Mauritaniens comme la communauté internationale écoutent le catalogue des bonnes intentions. Par un communiqué officiel, le CMJD va jusqu’à s’engager « devant le peuple mauritanien à créer les conditions favorables d’un jeu démocratique ouvert et transparent sur lequel la société civile et les acteurs politiques auront à se prononcer librement ». Le tout dans un « délai raisonnable » qui, dix-neuf mois plus tard, arrive à son terme. L’heure du bilan a sonné.
Incontestablement, le pays a retrouvé le goût de la liberté. Lors du référendum constitutionnel du 25 juin 2006, l’article 104, arsenal répressif ajouté à la Constitution de 1991, est abrogé. Le texte prévoyait notamment le maintien de lois datant des années 1960 et 1970 qui restreignaient les conditions d’association, de réunions publiques et d’expression. Auparavant, plus d’une centaine d’opposants politiques, dont les auteurs du coup d’État manqué de juin 2003, les Cavaliers du changement, sont graciés. Des opposants en exil rentrent au pays. Les entraves aux médias sont, en grande partie, levées (voir page 75). « Il se passe des choses qu’on n’aurait jamais imaginées, on parle de bonne gouvernance, de liberté d’expression, les hommes politiques rendent des comptes », s’étonnait, au milieu de la transition, un homme d’affaires préférant toutefois garder l’anonymat. Son enthousiasme est partagé par la communauté internationale, qui, après quelques semaines de méfiance, choisit de faire confiance aux militaires (voir encadré).
Priorité affichée par le CMJD : la restauration de la crédibilité et de l’autorité de l’État. Vaste programme, qui a donné lieu à l’ouverture, en juillet, du chantier de la réforme du statut de la magistrature. Objectif : assurer la neutralité des juges, notamment par l’introduction d’un code d’éthique et la révision du système de notation et d’avancement. Une Inspection générale de l’État (IGE), sorte de gendarme anticorruption, a été mise en place en septembre. Une réforme des marchés publics, en cours, promet de clarifier les appels d’offres, propices au clientélisme et aux dessous-de-table. Ce qui n’a pas empêché certains de dénoncer, en juillet, l’opacité de l’opération attribuant la troisième licence GSM à Chinguitel SA, l’opérateur mauritano-soudanais.
Le dossier des finances publiques, dopées par l’or noir, fait davantage l’unanimité au sein des institutions financières internationales, très attentives à la question. En dépit des intentions supposées d’une partie du CMJD de reporter le scrutin présidentiel, le calendrier électoral, élaboré après les journées de concertation (25-29 octobre 2005), aura été respecté. Le fait est assez rare sur le continent pour être souligné. Mais à mesure que l’échéance de la présidentielle approche, le principe de la neutralité du CMJD et du gouvernement, scellé dans le marbre d’une ordonnance constitutionnelle, a suscité de vifs débats, plusieurs candidats indépendants, tant aux législatives et aux municipales qu’à la présidentielle, étant suspectés de représenter certains membres du Conseil. C’est pourquoi, début février, le chef de l’État a réitéré devant la presse son attachement à la neutralité du CMJD. Et pour clore définitivement le chapitre, Vall a réuni l’ensemble des officiers de l’armée le 13 février pour leur rappeler leurs devoirs, tandis qu’une circulaire était adressée aux ministres, membres du CMJD, préfets et walis pour leur rappeler leur obligation de respecter une stricte neutralité.
En cette période de campagne, les rumeurs vont bon train et la belle unanimité qui a suivi les journées de concertation connaît quelques accrocs. Ressurgissent de vieux réflexes, le tribalisme et le clanisme, dont dix-neuf mois de transition n’ont pas eu raison. Comme ils l’avaient annoncé, les hommes du CMJD se sont employés à la création d’un cadre légal plus qu’à l’éradication des malaises profonds de la société, notamment l’esclavage et le « passif humanitaire » (expression désignant l’exil forcé de milliers de Mauritaniens noirs au Sénégal mais aussi les purges dans l’armée et la répression des opposants par le régime Ould Taya). Une « journée de réflexion sur l’élimination des séquelles de l’esclavage » a été organisée le 24 mars, une Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) a été créée.
Sur ces questions comme sur les autres, des bases, des structures, des cadres, certains de pure forme, d’autres fragiles et d’autres, plus solides, ont été dessinés. Leur avenir et, surtout, celui de la Mauritanie, se jouera lors du passage de témoin.

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