« Sexe et amour au Maghreb » : les dessous du tournage du documentaire de M6
Un documentaire sur la sexualité au Maghreb est programmé dimanche 27 janvier sur la chaîne française M6. Le sujet évoque principalement les contraintes sociales qui pèsent sur la jeunesse, au Maroc comme en Tunisie. Entretien avec la réalisatrice, Michaëlle Gagnet.
Le documentaire « Sexe et amour au Maghreb » sera diffusé ce dimanche 27 janvier sur la chaîne française M6, dans l’émission « Enquête exclusive », présentée par Bernard de La Villardière. Réalisé par Michaëlle Gagnet, ex-correspondante en Tunisie, le reportage montre « ce que tout le monde sait mais que la société cache » : le poids des normes et leurs conséquences, mais aussi les voies de contournement. La réalisatrice raconte à Jeune Afrique les coulisses du tournage.
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Jeune Afrique : Face caméra, il est généralement difficile d’obtenir des témoignages sur ces sujets sensibles. Qu’est-ce qui a motivé vos interlocuteurs à s’exprimer ?
Michaëlle Gagnet : Je sens depuis longtemps au Maghreb que la jeunesse a envie de parler. La sexualité n’est certes plus aussi taboue qu’avant, car les médias marocains ou tunisiens en parlent. On peut même assister à des débats dans les universités. Mais obtenir des autorisations officielles de tournage en Tunisie n’a pas été aisé ; au Maroc nous ne les avons jamais reçues mais nous avons été tolérés ; en Algérie, même le visa touristique nous a été refusé, donc nous n’avons pu évoquer ce pays.
Pour convaincre les protagonistes, le fait d’avoir vécu trois ans en Tunisie a été d’une aide précieuse. J’ai pu nouer des contacts personnels, leur expliquer le projet, discuter des dizaines de fois avec eux avant de filmer.
Parmi les contraintes qui s’exercent sur la sexualité dans ces pays, il y a la sacralisation de la virginité féminine. Vous avez choisi de montrer une scène éprouvante d’hyménoplastie (une opération qui vise à la reconstitution de l’hymen déchiré). Pourquoi ce choix ?
Je pense qu’il faut montrer les choses et que la force des images est de prouver que ça existe. En plus des tabous entourant la sexualité féminine, comme partout ailleurs, il y a toujours un décalage dans l’éducation sexuelle. Le plus compliqué a été de trouver un gynécologue qui accepte d’évoquer l’hyménoplastie, car même les militants avaient peur d’en parler. C’est encore un tabou, qui révèle une grande hypocrisie sociale. Le seul médecin qui ait accepté d’en parler n’est pas fier de la pratiquer, mais il pense aider ainsi à éviter de briser des vies, tout en espérant que ce phénomène cesse.
En montrant cette scène, avec l’accord de la jeune femme opérée et de sa cousine, dont on a préservé l’anonymat, il me semblait important de montrer que l’hyménoplastie n’est pas quelque chose d’abstrait. Car au Maghreb, sur cette question, c’est un peu le championnat du déni. Or ces opérations sont en recrudescence. Comme le formule ladite cousine, « c’est comme d’aller chez le dentiste ».
Dans cette même scène, la cousine de la jeune femme qui se fait « recoudre » insinue qu’elle a « fauté ». Dans une autre, vous montrez une mère honteuse d’avoir divorcé, qui tente de « laver son honneur » à travers sa fille. Les femmes ne sont-elles pas les premières garantes de la tradition et les premières à transmettre les injonctions qui leur sont faites ?
Dans des sociétés très patriarcales, je pense que le problème vient des hommes. La pression familiale sur le corps des femmes est énorme. Même chose dans l’espace public. Le harcèlement est un énorme fléau au Maroc. En Tunisie, selon une étude du Credif [Centre de recherches, d’études, de documentation et d’information sur la femme, ndlr], trois femmes sur quatre disent avoir subi des violences sexuelles. La majorité ne porte pas plainte.
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Mais il y a effectivement une norme machiste très intégrée par certaines femmes, notamment les mères, qui font peser sur leurs garçons le culte de la virilité et sur leurs filles, l’image de la fille vierge qui doit obéir à son mari et accepter la tradition. Nombre de femmes ont intégré cette norme, sans parfois s’en rendre compte.
Autre sujet évoqué dans votre documentaire : les mères célibataires au Maroc. Vous soulignez que 24 nourrissons y sont abandonnés chaque jour et que les enfants nés hors mariage sont stigmatisés à vie. Est-ce spécifique à ce pays ?
Oui. En Tunisie, on ne risque pas la prison pour des relations sexuelles hors mariage, qui concernent 50 % des femmes et 80 % des hommes, d’après l’Observatoire national des couples et de la famille [toutefois, des textes comme les articles 226 et 226 bis du Code pénal sur l’atteinte à la pudeur, permettent d’envoyer des couples en prison, ndlr].
Au Maroc, les femmes qui tombent enceinte hors mariage ont, comme choix, de se suicider, d’avorter, d’être rejetées ou bien d’abandonner l’enfant
En revanche, au Maroc on encourt jusqu’à un an de prison. Dans le reportage, nous montrons une Marocaine qui demande à son compagnon de reconnaître l’enfant, et écope finalement de trois mois de prison et lui de deux mois. Les femmes qui tombent enceinte hors mariage ont, comme choix, de se suicider, d’avorter dans des conditions monstrueuses, de garder leur enfant en étant rejetées, ou bien de l’abandonner. Cinquante mille enfants naissent tous les ans hors mariage au Maroc, où les orphelinats sont saturés.
Vous posez une question : « Peut-on s’aimer librement au Maghreb ? » Après avoir rencontré ceux qui font face à des pressions sociales pour parfois les contourner, quelles conclusions en tirez-vous ?
Non, on ne peut pas s’aimer librement, en 2019, au Maghreb. Il y a beaucoup de contraintes dues à des lois liberticides et aux contraintes sociales – au regard de la famille et de la religion –, mais il y a aussi beaucoup d’espoirs. Toute une jeunesse et une société civile veulent que ça évolue. Cela prendra probablement plus de temps au Maroc, mais je pense que ça peut avancer rapidement en Tunisie, et que ce pays peut devenir, en la matière, le modèle du monde arabe.
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