Polémique sur fond de déchets

Critiqué pour avoir réglé, à l’insu du gouvernement, le scandale du Probo Koala, le chef de l’État doit trouver les moyens d’apaiser la colère de la population.

Publié le 27 février 2007 Lecture : 5 minutes.

C’est un arrangement qui dérange. Pourtant, l’accord signé le 13 février par l’État ivoirien et Trafigura, l’affréteur de droit néerlandais du Probo Koala, qui a déversé, les 19 et 20 août, 528 m3 de déchets toxiques à Abidjan, devait contenter tout le monde. D’un côté, la Côte d’Ivoire renonce à toute poursuite à l’encontre de Trafigura et libère ses trois cadres détenus à la maison d’arrêt centrale d’Abidjan (Maca) depuis septembre. De l’autre, la société s’engage à achever la dépollution de la capitale économique et à verser 100 milliards de francs CFA (152 millions d’euros) à l’État. Près des trois quarts (73 milliards) seront affectés à la réparation des préjudices subis par l’État ainsi qu’à l’indemnisation des victimes, mentionne le texte, sans donner plus de détails quant à la répartition.
Mais l’opportunité de l’accord « donnant-donnant » n’a finalement convaincu que ses signataires. « Accord de la honte ! » s’exclame la presse ivoirienne. « Pacte avec le diable », renchérit l’association de défense de l’environnement Greenpeace. Rapidement, l’opposition politique emboîte le pas à la société civile. Pour le Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Ouattara, l’État commet un « acte de mépris pour les victimes ». Le PDCI RDA d’Henri Konan Bédié dénonce une mise en cause de « l’indépendance de la justice et du principe de séparation des pouvoirs ». Pour l’opinion publique en général, le règlement du scandale est par trop expéditif : il a coûté la mort à 15 personnes, en maintient 69 autres à l’hôpital et a entraîné plus de 100 000 consultations médicales qui n’ont pas encore permis de déterminer la nature du mal
De l’avis des juristes, le document signé par Désiré Tagro, conseiller spécial chargé des affaires juridiques de Laurent Gbagbo et lui-même juriste, ainsi que par Eric de Turckheim, cofondateur et administrateur de Trafigura, comporte de nombreuses aberrations. « L’État de Côte d’Ivoire s’engage à garantir [] Trafigura qu’il fera son affaire de toute réclamation au titre des événements », stipule le texte. Que signifie l’étrange expression « faire son affaire » ? D’après l’ex-Premier ministre Alassane Ouattara, la valeur du texte est douteuse : il n’est pas signé du ministre des Finances (en l’occurrence, le Premier ministre Charles Konan Banny, qui détient ce portefeuille ainsi que celui de la Communication), il n’a fait l’objet d’aucune communication en Conseil des ministres, ni au Conseil du gouvernement. Le protocole n’est en rien une « quelconque reconnaissance de responsabilité », est-il précisé. Alors, pourquoi Trafigura débourse-t-elle 100 milliards de F CFA (qui, certes, ne représentent que 0,45 % de son chiffre d’affaires) ? Le prix à payer pour la libération des trois cadres, dont le directeur, Claude Dauphin ? « Nous prenons très au sérieux notre rôle de citoyen global », justifie, non sans outrecuidance, la société. Difficile, également, de comprendre comment les parties se sont accordées sur les 100 milliards quand le Premier ministre espérait cinq fois plus. La mention des victimes, rapide et vague, ne comporte aucun chiffrage des préjudices, pourtant variés, allant du décès à la simple toux. De source proche du dossier, les négociations, qui ont commencé début janvier et se tenaient en partie à Ouagadougou, au Burkina, tournaient, début février, aux alentours de 60 milliards de F CFA. Deux semaines plus tard, la somme de 100 milliards apparaît. Bien avant la signature, les dispositions avaient été prises avec la Banque internationale pour le commerce et l’industrie en Côte d’Ivoire (Bicici).
Mais plus que le contenu de l’accord, c’est surtout la méthode qui entretient le doute sur les intentions des signataires. Elle sonne le glas d’une procédure régulière qui promettait une issue équitable, un cas exceptionnel dans une Côte d’Ivoire coupée en deux depuis quatre années et demi. Démission du Premier ministre et dissolution du gouvernement ; ministres de l’Environnement et des Transports limogés ; Marcel Gossio, Gnamien Konan et Pierre Amondji, respectivement directeur du port, patron des Douanes et gouverneur du district d’Abidjan, suspendus, le tout dans la journée du 6 septembre : dès l’éclatement du scandale, des têtes tombent. Émue par l’iniquité de ce commerce Nord-Sud (des ordures contre quelques dollars), la communauté internationale se montre solidaire : la France envoie experts et médicaments, le Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue) met des fonds à disposition, des experts d’ONG étrangères se rendent sur place. Ils sont intégrés à la Commission d’enquête internationale que le Premier ministre, Charles Konan Banny, met en place en septembre, parallèlement à une autre, nationale. L’État entame une action en dommages et intérêts auprès du tribunal de première instance d’Abidjan-Plateau et, dans le même temps, se constitue partie civile dans les actions intentées contre Trafigura. Au lieu d’être enterrée comme elle aurait pu l’être dans nombre de pays du continent, l’affaire, emblématique de la mauvaise gouvernance, est entre les mains de la justice. La détermination que le gouvernement met à la résoudre apparaît comme une volonté d’assainissement.
Mais si les antagonismes politiques ont, au début de l’affaire, décuplé l’acharnement du Premier ministre à clarifier le scandale, ils ont finalement parasité le processus de sortie de crise. Sans prévenir officiellement Charles Konan Banny, Laurent Gbagbo s’empare du dossier. Le 26 novembre, les fonctionnaires suspendus réintègrent leurs fonctions à la suite d’un décret présidentiel. Quatre jours plus tôt, la Commission nationale d’enquête publie pourtant son rapport : tour à tour, la « bienveillante protection » des autorités portuaires, les négligences des douanes et du District d’Abidjan sont épinglées. Pour la forme, mais pour la forme seulement, Banny proteste. À l’heure du « dialogue direct » engagé entre Laurent Gbagbo et l’ex-rébellion le 5 février à Ouagadougou, c’est très indirectement que les parties prenantes découvrent l’accord du 13 février : les associations de défense de l’environnement Robin des Bois et Greenpeace, membres de la Commission internationale d’enquête, en sont informées par la presse et par des indiscrétions. La Commission nationale et le Premier ministre déplorent de n’avoir pas été associés. Plutôt qu’un règlement à la sauvette, ce dernier, qui a fait part de son irritation par courrier à Laurent Gbagbo, envisageait la construction d’un hôpital dédié au traitement des maladies toxiques
Mais l’histoire des déchets ne s’est pas arrêtée le 13 février 2007. La Haute Cour de Londres, où Trafigura possède une filiale, a estimé, le 2 février, qu’une action collective était recevable. Défendues par le cabinet d’avocats britannique Leigh Dan & Co, les victimes doivent constituer leur dossier avant le 29 juin. D’après le calendrier établi par la Cour, leur cas devrait être jugé début 2008. Des Pays-Bas, une procédure pénale est en cours (les déchets y ont été rechargés), la Côte d’Ivoire peut espérer une réparation financière, estime un proche du dossier. De l’Estonie, où le Probo Koala, un habitué du port de Tallinn, a fait escale avant de s’arrêter à Amsterdam, l’État ivoirien peut également attendre un geste, une procédure pénale étant en cours. Le rapport de la Commission internationale d’enquête, remis le 19 février au Premier ministre, devrait donner plus de précisions quant aux responsabilités avant l’arrivée des déchets à Abidjan. La Commission européenne, qui a reconnu certains flottements dans les textes encadrant le transfert des déchets toxiques, pourrait aussi mettre la main au porte-monnaie. Tout dépendra de la persévérance de la Côte d’Ivoire.

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