Mort de Diallo Telli
C’est il y a juste trente ans, le 1er mars 1977 au matin, que meurt le premier secrétaire général de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) Diallo Telli, dans la cellule 52 du camp Boiro, à Conakry. Il y a été transféré deux semaines auparavant, et la lettre D tracée sur la porte métallique hermétiquement close de sa cellule indique « Diète noire », c’est-à-dire ni nourriture ni eau, cependant que l’air, la lumière et les rumeurs du camp pénètrent parcimonieusement par la mince évasure au bas du vantail. Plusieurs autres détenus du « complot peul » de l’année précédente (ils le sont presque tous), traités comme lui, meurent dans les mêmes conditions. Après quelques prélèvements symboliques qui serviront à des séances rituelles, leurs corps seront ensevelis sans cérémonie religieuse au cimetière de Caporo, et leurs effets personnels brûlés.
Telli avait été arrêté sept mois auparavant, dans la nuit du 18 au 19 juillet 1976, à son domicile, qui, ironie du sort, se trouvait juste au-delà du mur du camp Boiro. Le 9 août sont diffusées en public ses premières « confessions » sur un complot dont il serait l’inspirateur, mais elles apparaissent insuffisantes à Sékou Touré, qui demande que cet « ingrat » qui lui doit tout soit « réinterrogé ». Le comité révolutionnaire, dirigé par Ismaël Touré, sait employer les méthodes qu’il faut : le 22 août, de nouveaux aveux encore plus invraisemblables que les premiers sont diffusés. Il reconnaît notamment avoir été recruté pour la CIA par Henry Kissinger lui-même, et devoir prendre la tête d’un gouvernement favorable aux intérêts occidentaux, après avoir éliminé Sékou Touré et mis fin à la Révolution.
Le silence ensuite retombe. Diallo Telli a « avoué » ce que l’on attendait de lui. Au camp, il fait preuve d’un grand courage et témoigne de sa foi religieuse. En décembre et janvier, il échange quelques lettres étonnantes avec Sékou, qui l’accuse une fois encore d’avoir trahi la révolution guinéenne et de représenter la « classe antipeuple », alors que lui-même, s’adressant encore à son « cher président », le félicite du « virage politique tant souhaité par notre peuple » et qui commence à se manifester tant en politique extérieure que sur le plan interne. Pour le reste il s’en remet à Allah.
Un mois plus tard, c’en sera fini de Telli, qui, né à Porédaka, au Fouta Djalon, en 1925, fut un excellent élève à Mamou, puis à Conakry et, enfin, à l’École normale William-Ponty à Dakar, un brillant diplômé de l’École nationale de la France d’outre-mer à Paris, un jeune magistrat au Sénégal, puis le secrétaire général du Grand Conseil de l’Afrique-Occidentale française (c’est là qu’il rencontrera Sékou en 1957), à Dakar.
Après le référendum de 1958, il fait le choix de venir se mettre au service de son pays. Conscient de son potentiel, Sékou le charge de faire admettre la Guinée à l’ONU. Telli y parvient en quelques semaines, malgré les manuvres dilatoires de Paris. Ambassadeur à Washington et représentant permanent auprès des Nations unies, Telli s’affirme vite au sein du groupe afro-asiatique. Son nom s’impose lorsqu’en 1963 est créée l’OUA. Il en sera le secrétaire général pendant deux mandats, jusqu’en 1972, où il n’est pas réélu, en grande partie à cause des réticences de Sékou Touré, devant qui il lui a fallu à plusieurs reprises justifier de sa fidélité.
En dépit de nombreux conseils, en particulier ceux de son épouse Kadidiatou, il retourne avec sa famille à Conakry, où il devient ministre de la Justice. Son expérience et son tempérament le poussent souvent à trop de franchise et, donc, à des imprudences. Il est arrêté alors que son nom circule pour une candidature africaine au poste de secrétaire général de l’ONU. Sa mort restera longtemps ignorée.
Sept ans après lui, en mars 1984, c’est la mort de Sékou Touré, dont il fut la plus illustre victime. La IIe République qui s’installe réhabilite les disparus, donne à un boulevard le nom de Diallo Telli, des livres sont écrits sur sa vie et sur sa mort, un club de réflexion prend son nom en 1996, une Fondation Diallo-Telli est créée en 1998, un prix Diallo-Telli est décerné (le prochain le sera à l’Unesco au mois de mai). Mais, collectivement, l’Afrique n’a pas jugé bon de commémorer jusqu’ici celui qui fut le premier et très brillant secrétaire général de l’OUA.
* André Lewin est ancien ambassadeur de France en Guinée.
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