Guinée : la prorogation du mandat des députés fait débat
Siéger ou pas ? Le débat émerge sur les bancs de l’opposition à l’Assemblée nationale, dont le mandat a été prorogé par décret présidentiel. Une session extraordinaire, dont la date n’a pas encore été fixée, devrait se tenir dans les prochaines semaines.
Après la prorogation de leur mandat par un décret du président Alpha Condé, le 12 janvier, les députés guinéens devraient a priori être appelés à siéger de nouveau très bientôt. Une session ordinaire est certes prévue en avril prochain, mais plusieurs dossiers en souffrance doivent être débattus en urgence par les parlementaires.
Vers un réexamen du Code civil ?
La prochaine session extraordinaire « consacrera notamment son ordre du jour à l’examen de plusieurs conventions, notamment celle portant sur les prêts accordés par le Qatar dans le cadre de son appui budgétaire, ce sont des sujets sur lesquels nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre », affirme à Jeune Afrique Amadou Damoro Camara, président du groupe parlementaire RPG Arc-en-ciel (majorité présidentielle). « Par ailleurs, nous avons également, en accord avec l’opposition, la volonté d’apporter des amendements au Code électoral », renchérit-il.
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« Nous n’avons pas encore l’ordre du jour en entier, je ne pourrai apporter davantage de précisions. Mais si on peut en outre discuter du Code civil, alors tant mieux », ajoute Amadou Damoro Samara, évoquant ce texte dont la mise en œuvre a été bloquée par le président guinéen qui s’oppose à la légalisation de la polygamie qu’il instaure.
Convoquée par un décret présidentiel fixant également l’ordre du jour, cette future session extraordinaire, dont la date n’est pas encore connue, ne pourra se tenir qu’à partir du 31 janvier prochain, la Constitution fixant un délai minimal d’un mois entre deux sessions, et la précédente s’étant terminée le 30 décembre 2018.
Siéger ou pas ? L’opposition partagée
Depuis cette date, un débat agite une partie de l’opposition : faut-il ou non siéger ? Ousmane Kaba, député et chef de file du Parti des démocrates pour l’espoir (PADES), a tranché : il ne siègera pas. « Notre mandat est arrivé à échéance le 13 janvier. Nous rendons au peuple de Guinée ce qu’il nous a confiés afin qu’il élise d’autres personnes. Nous devons nous assurer que l’alternance soit effective au Parlement », expose-t-il à Jeune Afrique.
« C’est malsain pour la démocratie de siéger au Parlement sur la base d’un décret présidentiel, parce qu’on est élu par le peuple, au même titre que le président de la République », argumente encore le député démissionnaire, qui espère convaincre ses pairs de le suivre dans sa démarche. L’objectif ? « Créer un vide institutionnel pour obliger le gouvernement et la Ceni à organiser de nouvelles élections. »
« De toute façon, Ousmane Kaba ne siégeait pas du tout. On ne se rendra pas compte de cette absence ! », balaie ironiquement Amadou Damaro Camara. Le patron du groupe RPG-Arc-en-ciel au Parlement rappelle également que cette prorogation n’est pas une première en Guinée. « Nous avons connu deux cas par le passé en Guinée : la législature du doyen Biro [El Hadj Boubacar Biro Diallo , président de l’Assemblée nationale de 1995 à 2002, ndlr] et celle de Somparé [Aboubacar Somparé, 2002-2008] », souligne Amadou Damaro Camara, qui cite également le cas des parlements maliens et tchadiens, dont le mandat a été prorogé.
« Ce n’est pas inédit. Nous avons une disposition dans le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale qui prévoit que celle-ci continue ses activités jusqu’à l’installation de la nouvelle. Si on peut discuter de sa légitimité, on ne peut pas discuter de sa légalité », martèle le député.
Si nous laissons le Parlement au parti au pouvoir, il pourrait en profiter pour faire passer des lois sans aucun contrôle
De leur côté, les deux grands groupes parlementaires de l’opposition – l’Alliance des Républicains de Sidya Touré et les Libéraux démocrates de Cellou Dalein Diallo – projettent de se retrouver le 16 février prochain à Kindia pour « harmoniser les positions ».
« On décidera alors si on siège ou si l’on part », assure Fodé Maréga, député de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), qui ne cache pas ses inquiétudes quant aux conséquences d’une éventuelle stratégie de la chaise vide. « Si on boude l’Assemblée, cela n’empêchera pas les autres de continuer », lâche le député. « Les absents ont toujours tort. Si nous laissons le Parlement au parti au pouvoir, il pourrait en profiter pour faire passer des lois sans aucun contrôle de notre part. Nous avons pu empêcher beaucoup de choses en étant présents à l’Assemblée, il ne faut rien négliger. »
Les discussions au sein de l’opposition seront en tout cas scrutées avec attention. Là où une partie de la société civile espère beaucoup d’une convocation prochaine du Parlement sur l’épineux dossier de la légalisation de la polygamie, d’autres plaident au contraire pour l’organisation la plus rapide possible des législatives. « Nous l’avons signifié aux chancelleries occidentales : pour notre part, nous remettrons en cause tous les actes que le Parlement pourrait poser lors des prochaines sessions. Les députés ne bénéficient plus de leur légitimité et nous leur retirons notre confiance », martèle le coordinateur national du Balai citoyen guinéen, Sékou Koundouno.
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