Les malheurs de Condi

Publié le 27 février 2007 Lecture : 7 minutes.

La secrétaire d’État américaine Condoleezza Rice semble être une femme intelligente, pleine de bonnes intentions, qui, comme un certain nombre de ses prédécesseurs, aimerait bien apporter une contribution personnelle à la cause de la paix israélo-arabe. Mais, après pas moins de huit tournées dans la région, elle n’a toujours pas réussi à faire avancer le processus de paix d’un millimètre. Pourquoi ? Les raisons sont multiples et complexes, la plus évidente étant le coup de poignard dans le dos que lui a porté le faucon pro-israélien Elliott Abrams, le principal conseiller de la Maison Blanche sur les affaires du Moyen-Orient, mais il y a aussi le fait que le président George W. Bush lui-même ne l’a pas soutenue au moment décisif.
En prenant, le 17 février, la route de Jérusalem, de Ramallah et d’Amman, Rice a indiqué qu’elle tenterait de négocier sur les frontières d’un futur État palestinien et qu’elle proposerait aux Palestiniens un « horizon politique ». Beaucoup en ont conclu que les États-Unis avaient pris bonne note de l’accord de La Mecque, signé au début de février entre le Fatah et le Hamas sous les auspices saoudiens, et qu’ils étaient prêts à donner une chance au gouvernement d’unité nationale palestinien envisagé.

À La Mecque, le mouvement islamiste Hamas s’était engagé à « respecter » les accords passés entre l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et Israël, reconnaissance implicite de l’État hébreu et donc grand pas en avant vers l’acceptation des conditions imposées par le Quartet (États-Unis, Russie, Union européenne et Nations unies) pour une reprise de la coopération et du financement du gouvernement palestinien. Il semblait que la médiation de l’Arabie saoudite avait réussi non seulement à éviter une guerre civile ouverte entre Palestiniens, mais aussi à mettre fin au douloureux boycottage international du gouvernement du Hamas, qui avait plongé, l’an dernier, les Palestiniens dans une terrible misère.
On espérait que le sommet du 19 février entre le Premier ministre israélien Ehoud Olmert et le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, que devait présider Rice, donnerait le coup d’envoi à des entretiens sur des problèmes de fond, tels que les frontières, les réfugiés et Jérusalem. Finalement, il n’en a rien été. La rencontre n’a été qu’un vif échange de propos acrimonieux. Olmert a accusé Abbas de l’avoir « trahi » en passant un accord avec le Hamas, un mouvement qu’Israël veut éliminer, et non point reconnaître. Abbas a répliqué du tac au tac qu’il ne lui avait jamais fait une telle promesse, et que son premier souci était de mettre fin à une guerre intrapalestinienne.
Le résultat était en fait acquis avant même que Rice ne mette le pied en Israël. Olmert avait téléphoné à Bush le 16 février et obtenu de lui l’assurance que l’accord de La Mecque ne changerait rien et que les États-Unis continueraient, comme Israël, à refuser tout contact avec le Hamas. Le point de vue israélien est que La Mecque a en réalité fait reculer la cause de la paix en légitimant le Hamas ! Olmert a pu ainsi affirmer que les positions israélienne et américaine étaient identiques. Son porte-parole, Miri Eisin, a exclu tout entretien sur un accord de paix final avec Abbas si ce dernier donnait suite au projet de constitution d’un nouveau gouvernement incluant le Hamas. « Il n’est pas question de négociations sur les problèmes de l’accord final », a-t-il déclaré.
La pauvre Condoleezza Rice n’a évidemment aucune autorité pour traiter du Moyen-Orient. Elle ne devrait pas perdre son temps et susciter de faux espoirs en allant là-bas, puisque son patron a adopté la position israélienne, à savoir que le gouvernement du Hamas démocratiquement élu est une « organisation terroriste » acoquinée avec l’Iran et la Syrie – pas très différente, en fait, d’al-Qaïda – et qui doit être éliminée dans les plus brefs délais. Israël continue de mener l’Amérique par le bout du nez.
Bien que des tentatives aient été faites en Europe et ailleurs pour relancer le processus de paix, Israël n’a pas la moindre intention de conclure avec les Palestiniens un accord qui impliquerait un retrait aux alentours des frontières de 1967. Il ne reculera devant rien pour empêcher l’ouverture de vraies négociations. Ainsi que le souligne, dans son dernier rapport sur la colonisation israélienne dans les Territoires occupés, Geoffrey Aronson, de la Foundation for Middle East Peace basée à Washington, « comme Ben Gourion, Olmert est un homme de terrain. Sans tambour ni trompette, sous son égide, le nombre de colons de Cisjordanie (à l’exception de Jérusalem-Est) s’est accru de 6 % en 2006 ». À la fin de l’année, on comptait 268 379 Israéliens installés en Cisjordanie, et aucun avant-poste illégal n’avait été supprimé.

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Il faudrait à un président américain un courage et un engagement personnel exceptionnels pour arrêter l’annexion sournoise par Israël de territoires palestiniens, en raison du soutien écrasant qu’accordent à l’État hébreu le Congrès, les médias américains et les nombreux think-tanks de droite. En raison aussi des dons très importants que font les juifs américains aux démocrates comme aux républicains pour leurs campagnes électorales. En raison enfin de la grande influence qu’exercent les pro-Israéliens en poste dans l’administration américaine. Bush, pendant ce temps, est totalement absorbé par la calamiteuse guerre en Irak, par le retour en force des talibans en Afghanistan et par le jeu dangereux auquel il se livre avec l’Iran. C’est là que se décideront l’héritage de sa présidence ainsi que l’avenir de l’hégémonie américaine sur le Golfe et son pétrole. Comme l’a montré le peu d’intérêt qu’il a porté depuis six ans au conflit israélo-arabe, il ne considère pas que le non-règlement de ce conflit soit une menace pour les intérêts américains. À ses yeux, on peut laisser Israël le résoudre comme il l’entendra lorsqu’il le voudra.

Et les Européens ? Y a-t-il un espoir que l’Union européenne puisse combler le vide créé par l’entêtement israélien et l’indifférence américaine ? La Norvège est le seul pays européen à estimer que l’accord de La Mecque répond aux trois conditions mises par le Quartet à la levée du boycottage d’un gouvernement d’unité nationale palestinien, à savoir la reconnaissance d’Israël, la renonciation à la violence et l’acceptation des traités signés entre l’OLP et Israël. Plusieurs autres pays européens partagent ce point de vue en privé, mais sont trop prudents pour le dire publiquement. Le Premier ministre britannique Tony Blair est resté silencieux, bien qu’il ait précédemment claironné sa détermination de consacrer ses derniers mois au pouvoir au conflit israélo-arabe. Avec le financement du gouvernement norvégien, une délégation composée de représentants d’importantes ONG, telles que l’International Crisis Group et le Search for Common Ground, et de militants de la paix prévoit une tournée au Moyen-Orient du 8 au 12 mars. Mais sans un fort soutien américain et une pression concertée des Arabes sur les États-Unis, ces efforts bien intentionnés ne feront pas bouger d’un pouce les faucons israéliens.
L’Union européenne, en fait, a échoué aussi spectaculairement que Condoleezza Rice. Elle a commis la grave erreur d’emboîter le pas à Israël et aux États-Unis, d’isoler le gouvernement du Hamas et de lui retirer son soutien financier. Mais de peur d’une catastrophe humanitaire, elle a créé un « mécanisme temporaire international » pour faire parvenir des fonds aux cliniques et aux hôpitaux palestiniens, assurer un approvisionnement en énergie et un accès à l’eau potable, et accorder une assistance sociale aux Palestiniens les plus pauvres. Loin de promouvoir la paix entre les Palestiniens – et encore moins des négociations israélo-palestiniennes -, cette politique européenne a encouragé le Fatah à reprendre le pouvoir sur le Hamas par la force et a, du coup, poussé le Hamas dans les bras de l’Iran et de la Syrie.
L’Union européenne devrait suivre l’exemple de la Norvège, admettre que l’accord de La Mecque répond aux trois conditions du Quartet et jeter tout son poids dans la balance pour faire venir Israël à la table des négociations. Selon un rapport publié ce mois-ci par l’Institute of Peace américain, la plupart des Israéliens sont prêts à accepter une évacuation de la plus grande partie de la Cisjordanie qui déboucherait sur la création d’un État palestinien. Mais Olmert et ses amis de la droite ne lèveront pas le petit doigt tant qu’ils n’y seront pas contraints par une véritable pression internationale.
Israël a qualifié les éventuels militants palestiniens de « bombes à retardement » et n’hésite pas à les abattre. De fait, l’assassinat des suspects de terrorisme est la politique israélienne officielle. Les Israéliens devraient peut-être se dire que la plus grande « bombe à retardement » qui risque un jour de leur exploser à la figure est la colère que soulève chez les Arabes et les musulmans la manière dont ils traitent les Palestiniens occupés.

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