« Je n’ai ni à m’excuser ni à me justifier »

Affaire du Beach, fonds vautours, argent du pétrole, bonne gouvernance Le président congolais s’explique avec vivacité, ironie et une pointe de provocation.

Publié le 27 février 2007 Lecture : 22 minutes.

Retour sur terre pour DSN. Après une année passée sur le toit de l’Afrique, qui ne fut pas toujours faste tant la présidence en exercice de l’UA s’apparente à un travail de Sisyphe, le président a retrouvé son pays, ses compatriotes turbulents et la cohorte des soucis domestiques. Quatre millions de Congolais et autant de problèmes, serait-on tenté de dire : ici, tout ou presque est prétexte à contestations, râleries et railleries de la part d’une population très politisée, volontiers frondeuse et qui, par nostalgie peut-être des sociétés acéphales d’antan, se verrait bien en état d’autogestion permanente. Alors, forcément, l’atterrissage est rude. Surtout lorsque se profilent à l’horizon (les 24 juin et 22 juillet) des élections législatives qui ne sont pas gagnées d’avance pour le pouvoir et que la vie quotidienne semble s’ingénier à susciter sans cesse des motifs de grogne. Les Congolais passent, avec une facilité déconcertante, de la déprime résignée à la nervosité extrême, et il faut bien reconnaître qu’ils ont pour cela quelques circonstances exténuantes : comment leur expliquer ainsi qu’avec quatorze millions de tonnes de pétrole par an, ce pays dont les habitants sont en majorité urbains vit toujours en 2007 à l’heure des coupures d’électricité, des pénuries d’essence et des dépôts d’ordures en plein quartier ?
Ces questions récurrentes, qui semblent parfois le lasser, Denis Sassou Nguesso, 63 ans dont vingt-trois passées – en deux séquences distinctes – à la tête de l’État, les connaît par cur. Il y répond ici avec application, tout comme il s’explique, à propos de quelques dossiers à forte connotation toxique (fonds vautours, disparus du Beach) avec une vivacité non dénuée d’ironie et, parfois, d’une pointe de provocation. En vieux routier de la politique, un brin désabusé, Sassou sait fort bien qu’avec son taux de croissance du PIB annuel de 8 % et ses perspectives pétrolières en hausse après la découverte de nouveaux gisements, le Congo, quoi qu’on en dise, n’a pas fini d’être courtisé. Il sait aussi que dans le paysage politique congolais actuel, passablement émietté, et en panne sèche de politiciens d’envergure, il n’a pas d’adversaire à sa taille – juste des nuisances, le plus souvent solubles dans les pétro-CFA. De quoi relativiser, on le voit, les secousses du « kiss landing » sur la piste de Maya-Maya (un aéroport qui, soit dit en passant, aurait bien besoin d’un lifting approfondi). Dix ans après son retour triomphal au pouvoir et à deux ans d’une élection présidentielle à laquelle il sera évidemment candidat, DSN s’apprête à nouveau à retrousser les manches

Jeune Afrique : Votre mandat à la tête de l’Union africaine est achevé. Vu le nombre de crises que vous avez eu à gérer, ça n’a pas dû être de tout repos
Denis Sassou Nguesso : Effectivement. Mais je m’y attendais. Mon arrivée à la tête de l’UA, lors du sommet de Khartoum, s’est effectuée dans les conditions que vous connaissez : plutôt heurtées. Puis sont venues les crises, récurrentes ou nouvelles. Darfour, Côte d’Ivoire, Somalie, Tchad, Centrafrique, élections en RD Congo, cycle de Doha, sida, etc. Certaines sont toujours pendantes, d’autres ont été résolues. Je savais que le chemin ne serait pas facile et j’avais prévenu : je n’ai pas de baguette magique et on ne peut pas tout régler en une année.

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Soulagé de passer la main, donc
Je n’ai fait que mon devoir, pourquoi voudriez-vous que j’éprouve soulagement ou regret ? Le président Kufuor me succède en 2007, tout comme le président Kaunda m’avait succédé en 1987. Le mandat est d’un an, ni plus ni moins.

Avez-vous été tenté de rempiler ?
À titre personnel, non. Ni à Khartoum en 2006 ni à Addis-Abeba cette année je n’ai d’ailleurs été demandeur de ce poste. Je sais que la rumeur en a couru. Pure spéculation. Vous savez, c’est une mission, pas un plaisir. C’est même plutôt épuisant.

Comment vous portez-vous ?
Bien. Ou plutôt mieux. J’ai eu un petit accident de santé il y a quelques mois, totalement résorbé depuis.

N’avez-vous pas l’impression d’avoir négligé le Congo et les Congolais pendant que vous étiez par monts et par vaux ?
Il est vrai que lorsque j’étais en Russie, en Chine, à Cuba ou aux États-Unis, je n’étais pas à Brazzaville. Les journées n’ont malheureusement que vingt-quatre heures. Mais l’éloignement ne m’a jamais empêché de prendre des décisions et de donner des instructions. Le Congo, que je sache, n’est pas tombé en panne.

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Sans doute. Mais en guise de cadeau de bienvenue pour votre retour au pays est survenue une nouvelle dont vous vous seriez bien passé : le choléra sévit, de Pointe-Noire à Brazzaville. Il y a eu des dizaines de morts. Inquiétant, non ?
Nous avons ici, comme dans beaucoup de villes africaines, de sérieux problèmes d’assainissement et de distribution d’eau. Avec les bailleurs, notamment avec la BAD [Banque africaine de développement, NDLR], mais aussi sur fonds propres, j’ai décidé de prendre ce problème à bras-le-corps. Effectivement, il y a urgence. Le choléra est toujours un signe d’urgence.

Autre priorité : l’électricité. Comment expliquer aux Congolais que, dix ans après votre retour au pouvoir, la capitale vive encore à l’heure des coupures régulières et des délestages interminables ? Sans parler de l’intérieur
L’électricité ne tombe pas du ciel. Brazzaville a deux sources d’approvisionnement : le barrage d’Inga en RDC, qui fournit l’essentiel, et celui du Djoué, à titre d’appoint. Or Inga connaît de sérieux problèmes techniques qui font qu’à Kinshasa même la distribution est souvent perturbée. A fortiori donc, à Brazzaville. En attendant que le barrage d’Imboulou sur lequel s’activent les Chinois et ses 120 mégawatts entre en fonction en 2009, un plan de mise à niveau transitoire est en cours d’exécution. D’ici au mois de mai, la centrale thermique de Brazza sera opérationnelle. Jointe au barrage du Djoué, sa production devrait suffire. Même schéma à Pointe-Noire où une autre centrale thermique va prendre le relais du barrage de Moukoukoulou, actuellement en révision. À terme, les accords que nous avons conclus avec des firmes chinoises et sud-africaines visent à établir un véritable boulevard énergétique Sud-Nord.

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Continuons avec les urgences. À chaque saison des pluies, des quartiers entiers de Brazzaville sont transformés en cloaques et l’état de la voirie est souvent lamentable. À quand un mini-« plan Marshall » pour la capitale ?
Soyons francs : en ce qui concerne ce dossier, comme à propos de la flambée de choléra que nous venons d’évoquer, se pose un vrai problème de civisme de la part des populations urbaines. Quand nous traçons une avenue moderne, telle l’avenue Marien-Ngouabi, bordée de profonds caniveaux pour évacuer les eaux, et que les riverains y jettent leurs ordures, que se passe-t-il ? À chaque pluie, l’eau déborde des canaux bouchés et se répand sur la chaussée. Le revêtement se fissure, les nids-de-poule deviennent des cratères. Et l’on revient à la case départ. D’où notre décision de ne pas laisser la gestion de ces problèmes aux seules municipalités de Brazzaville et de Pointe-Noire. Le gouvernement va prendre le taureau par les cornes. Désormais, le ramassage des ordures, qui est largement déficient, et le nettoyage de nos deux plus grandes villes seront du ressort de sociétés privées ou de sociétés mixtes. Et j’ai rendez-vous fin mars avec Donald Kaberuka, le président de la BAD, pour mettre en place le financement global de l’assainissement de la capitale. Mais tout cela, il faut le savoir, coûte très cher. Et sans civisme, c’est un travail de Sisyphe.

Autre casse-tête : les pénuries de carburant, difficilement compréhensibles dans un pays producteur de pétrole.
Le carburant, tout comme le ciment, arrive irrégulièrement à Brazzaville pour une raison très simple : le chemin de fer Congo-Océan fonctionne mal. C’est triste à dire, mais c’est ainsi. Les motifs n’ont plus rien à voir avec la sécurité le long du trajet, mais avec des problèmes purement techniques. La voie, entre Loudima et la capitale, date des années 1930, et on y enregistre deux ou trois déraillements par mois. Réhabiliter tout cela n’est pas une mince affaire. Nous nous y employons, tout comme nous envisageons la construction d’une route.
Enfin, une route Brazza/Pointe-Noire ?
Nous avons conclu un accord sérieux avec les Chinois. Le chantier sera lancé d’ici à la fin de mon mandat en 2009.
Vous avez effectué l’an dernier une visite surprise au CHU de Brazzaville, à l’issue de laquelle vous avez promis de débloquer 1 milliard et demi de F CFA pour sa réhabilitation. Pourtant, faute d’ascenseur, les malades doivent toujours payer 1 000 F CFA aux brancardiers pour se faire transporter d’un étage à l’autre. Et tant pis pour les indigents
Ce n’est pas avec 1 milliard et demi que l’on va refaire cet hôpital ! Il en faut beaucoup plus. C’est un dossier très lourd. Il y a une vingtaine d’années, nous l’avions déjà entièrement réhabilité grâce à l’aide de la France et du président Mitterrand. La facture, à l’époque, était de 50 milliards, alors vous pensez
Que s’est-il passé depuis pour que le CHU se retrouve dans cet état ?
L’incivisme. Incivisme des malades, de leurs familles, des visiteurs, des accompagnateurs, des employés eux-mêmes Là aussi, nous sommes revenus à la case départ. Je ne dis pas que le CHU n’a pas pris de l’âge, mais avec un peu plus de civisme on aurait pu éviter bien des dérives.

À quoi a servi votre milliard et demi ?
À colmater quelques brèches urgentes. Un scanner en panne, une bombe au cobalt inopérante. Pour le reste, nous allons une nouvelle fois réhabiliter le CHU en procédant par tranches successives.

Quel délai ?
Difficile d’être précis. Mais la volonté est là.

La prison centrale de Brazzaville ne se porte guère mieux. Édifiée en 1938 pour abriter cent détenus, elle en héberge cinq fois plus, dans des conditions déplorables. Fin janvier, deux cents prisonniers s’en sont évadés après avoir brisé les grilles. Encore une urgence ?
Écoutez. Si l’État mettait des milliards pour construire des prisons neuves, alors que se posent les problèmes de santé, d’assainissement, d’éducation que nous venons d’évoquer, que diriez-vous dans les médias ? Vous écririez que le président préfère les prisons aux hôpitaux et qu’il juge plus utile d’enfermer que de soigner.

Tout est prioritaire.
Peut-être. Mais certaines priorités sont plus prioritaires que d’autres. Puisque nos moyens ne sont pas illimités et puisqu’il faut faire des choix urgents, je n’ai pas choisi de construire des prisons.

Il y a tout de même des bonnes nouvelles
Heureux de vous l’entendre dire.

Par exemple, l’augmentation du smic, qui passe de 40 000 F CFA à 50 000 F CFA par mois. Celle des pensions aussi. Ainsi que, paradoxalement, l’élévation de l’âge de la retraite, de 55 à 60 ans.
Tout à fait. C’est une bonne chose pour les fonctionnaires, qui prolongent d’autant leurs annuités de salaires.

Il y a environ 75 000 fonctionnaires au Congo. Est-ce encore trop ?
Oui et non. On peut toujours réviser ce nombre à la baisse en utilisant des techniques de gestion moderne. Mais il faut tenir compte des besoins, particulièrement à l’intérieur du pays. Beaucoup d’écoles et de centres de soins manquent de personnel, surtout qualifié.
Le moins que l’on puisse dire est que les fameux fonds vautours, qui possèdent une partie de la dette du Congo et entendent se la faire rembourser, ne vous lâchent pas
Effectivement. Leur volonté de nuire est sans limite. Mais je ne crois pas que des créanciers qui ont racheté une dette pour 1,8 million de dollars et qui exigent de se la faire payer 120 000 millions aient la moindre leçon de morale et de bonne gouvernance à nous donner. Malheureusement, ces gangsters de la finance ont trouvé en certaines ONG comme Global Witness des alliés de circonstance.

Pour obtenir la saisie des comptes et cargaisons de la Société nationale des pétroles du Congo [SNPC] à l’étranger, les fonds vautours insistent sur le fait que cette dernière serait une émanation de l’État. Qu’en pensez-vous ?
La SNPC est une société qui a ses biens et ses intérêts propres, différents de ceux de l’État dont elle commercialise le pétrole dans le cadre d’une convention précise et officielle. Il n’y a aucune confusion.

Ils vous traquent partout. Ils sont allés jusqu’à se procurer, à deux reprises en 2006, vos notes d’hôtel du Waldorf Astoria de New York, lesquelles ont été publiées dans la presse britannique sous des titres ravageurs
Cela ne me fait ni chaud ni froid, même s’il s’agit là d’une atteinte à ma personnalité. Je ne me suis rendu à New York que dans le cadre de missions officielles de l’État congolais, pour assister à l’Assemblée générale des Nations unies. Nous ne volons rien à personne. Ma délégation et moi logeons dans un hôtel dont nous réglons l’intégralité des prestations. Si nous mangeons du caviar et que nous buvons du champagne, où est leur problème ? En quoi est-ce que cela les regarde ? Quelle est leur légitimité pour nous le reprocher ? À la limite, seuls les Congolais pourraient nous en faire la remarque, mais ils ne le font pas. Depuis que les fonds vautours mènent cette campagne de diffamation, je descends exprès au Waldorf Astoria en sachant très bien qu’ils viendront après notre départ ramasser nos factures dans les poubelles. J’y retournerai d’ailleurs bientôt, je le leur dis afin qu’ils se préparent. Comme les présidents Bush, Kabila et bien d’autres chefs d’État, le président du Congo, président en exercice de l’UA, a fréquenté en 2006 le Waldorf Astoria. Cela les gêne qu’un Africain y descende ? Ils préféreraient que j’aille dans un hôtel de quartier à Harlem ou dans le Bronx ? Je me passerai de la permission de Kensington, de Walker et des autres vautours pour choisir mon hôtel. Et je n’ai pas à m’excuser d’aller au Crillon, au Meurice, au Bristol, au Plazza Athénée ou au George V quand je vais à Paris. Ce serait un comble.

Y a-t-il, selon vous, des motivations d’ordre politique derrière cette campagne ?
Les fonds vautours agissent en fonction de critères purement mercantiles. L’argent est leur unique motivation. Mais des ONG très politiques et, je n’hésite pas à le dire, des opposants congolais à l’étranger ont passé avec eux une alliance contre-nature, dans le but de déstabiliser le Congo et d’accéder au pouvoir.

À quels opposants faites-vous allusion ?
Un personnage comme Benoît Koukebene, l’ancien ministre du pétrole de Pascal Lissouba, condamné au Congo pour avoir bradé à 2 dollars le baril un pétrole qui en valait six fois plus, joue un rôle assurément néfaste. Il roule carrosse entre l’Europe et les États-Unis, il écrit à la Banque mondiale et à la BAD en prétendant qu’il a été le meilleur gestionnaire que ce pays ait jamais connu, Global Witness l’encense, alors que lui et ses amis ont mis ce pays sens dessus dessous.

Même si elle n’est pas appliquée, la peine de mort existe toujours au Congo. Pourquoi ne pas l’abolir ?
C’est une idée. Laissons la suivre son chemin.

À titre personnel, êtes-vous pour ou contre la peine capitale ?
À titre personnel, je suis contre.

Votre parti, le Parti congolais du travail, a connu fin décembre 2006 un congrès extraordinaire plutôt agité. Au final : une sorte de match nul entre les refondateurs et les conservateurs. Pourquoi s’être donné tant de mal pour un tel résultat ?
Ce que vous appelez match nul est en réalité un consensus. Et ce que vous qualifiez d’agitation relève en fait du débat démocratique. Tout cela est très sain. Et tout cela est très utile. Les congressistes ont posé le problème de l’avenir du PCT, que je pense lié à son ouverture en direction d’autres forces politiques. Pour le reste, il ne faudrait pas réduire la direction du parti à son seul secrétaire général, Ambroise Noumazalaye. De nombreux jeunes cadres ont rejoint le comité central à cette occasion, et le bureau politique a été renouvelé.

Vous-même souteniez la refondation du PCT et son changement d’appellation, deux projets qui n’ont pas abouti. Vous avez donc échoué
Au premier degré, oui. Sans doute. Mais pour le fond, je crois que la longue marche pour la rénovation du PCT et sa transformation en un grand parti d’union continue. Nous avons fait le premier pas. Ce n’est donc pas un échec.

On a vu les congressistes chanter en levant le poing, arborer foulards et écharpes rouges. Tout cela avait un côté un peu archaïque et surréaliste, ne trouvez-vous pas ?
Il est permis à tout le monde de porter un foulard.

Le PCT n’est plus depuis longtemps un parti marxiste-léniniste. Pourquoi ce folklore ?
L’affaire de quelques nostalgiques, peut-être. Histoire de se donner une contenance. N’y accordez pas de signification particulière.

Le chef de file des conservateurs, l’ancien ministre Justin Lekoundzou qui fut l’un de vos plus proches compagnons, vit en France depuis plusieurs mois. On le dit amer vis-à-vis de vous.
Et pourquoi donc ? Si, comme vous le dites, il y a eu statu quo entre conservateurs et rénovateurs, de quoi se plaindrait-il ? Il a d’ailleurs été réélu au bureau politique. Pour moi, Justin Lekoundzou est en France pour des raisons de santé. Je n’ai pas entendu parler d’autre chose.

Il n’y a donc pas de problème Lekoundzou.
Pas à ma connaissance.

Ne craignez-vous pas qu’il finisse par basculer ?
Basculer où ?

Dans l’opposition.
Je viens de vous le dire : Lekoundzou est membre du bureau politique. Ce n’est pas parce qu’on exprime une opinion que l’on bascule dans l’opposition.

Justin Lekoundzou a, semble-t-il, estimé que la tentative des refondateurs de prendre en main le PCT s’apparentait à une OPA visant à écarter les conservateurs. Il en a été d’autant plus meurtri qu’il est l’un des fondateurs de ce parti.
Il n’est pas le seul fondateur. Il y en a d’autres. Et ces derniers n’ont nul besoin d’acheter un parti dont ils sont, eux aussi, les fondateurs. On ne lance pas une OPA contre ce qui vous appartient.

C’est donc un PCT uni qui va se lancer dans la bataille des législatives de juin-juillet prochains ?
Tout à fait. Et le PCT va les remporter, vous verrez. C’est le plus grand parti politique du pays. Il l’a toujours été et il le demeure.

Quel est le statut exact de l’ancien président Pascal Lissouba ? Peut-il revenir au Congo ?
Pascal Lissouba a été condamné dans le cadre de l’affaire Oxy. Tout comme les anciens ministres du Pétrole, Benoît Koukebene, et des Finances, Mougounga Nguila. Mais ni Claudine Munari, qui est députée, ni Christophe Moukoueke, ni Victor Tamba Tamba, ni Martin Mberi, ni Ange Édouard Poungui, ni beaucoup d’autres figures du régime déchu ne sont dans ce cas. Il faut bien faire le distinguo.

Et l’ancien président Yombi ?
Mais il peut revenir !

Où logera-t-il, puisque son domicile a été détruit pendant la guerre ?
Il a de la famille ici, des parents, des amis. Il ne restera pas sans abri.

Le général Emmanuel Ngouelondele, qui fut dans les années 1980 le chef de vos services de sécurité – et qui se trouve être par ailleurs le père de votre propre gendre, le maire de Brazzaville – est ouvertement entré en dissidence. Jusqu’à demander votre démission. Pourquoi cette grogne ?
Il exprime ses opinions, ce qui est son droit. Je ne pense pas qu’elles aient un quelconque impact au sein de la population. Quoi qu’il en soit, nous verrons bien ce qu’il en est lors des législatives : c’est le seul test qui compte.

Autre général mécontent : Raymond Damase Ngolo.
Même chose que pour le précédent. Attendons les élections.

Lui vient de claquer la porte en dénonçant « l’appétit financier gargantuesque » du PCT.
Vous comprenez ce que cela signifie, vous ? No comment.

Le Pasteur Ntumi, chef du dernier mouvement d’opposition armée dans la région du Pool, a annoncé fin janvier la transformation de sa milice en parti politique – ce qui est une bonne chose. Que lui avez-vous promis en échange ?
Il ne s’agit pas d’un troc. Nous négocions avec Ntumi depuis longtemps. Pour moi, le dialogue vaut toujours mieux que la guerre. Un accord a été conclu il y a trois ans avec lui, qui stipulait à la fois le désarmement de ses hommes et son retour à Brazzaville. Cela a traîné, c’est vrai, car Ntumi semblait vouloir une chose et son contraire. Je crois qu’avec la perspective des législatives, il a senti qu’il lui fallait enfin conclure et appliquer nos accords. Là encore, les élections permettront de voir ce que représente exactement son mouvement.

Les législatives auront-elles bien lieu dans la totalité du Pool ?
Tout à fait. Rien ne s’y oppose désormais.

Entre l’ancien Premier ministre Bernard Kolélas, qui fut votre adversaire, et vous, c’est manifestement la lune de miel
Bernard Kolélas est rentré au pays en octobre 2005 pour contribuer à la paix et à la reconstruction du pays. Il a fait en ce sens des déclarations publiques. Depuis, il agit conformément à ses engagements. Je n’ai entendu aucune fausse note de sa part et je m’en félicite.

Le considérez-vous comme un allié politique pour les législatives ?
Nous étions alliés autrefois, avant la guerre civile, dans les années 1990. Malgré ce qui s’est passé, cette alliance, que je sache, n’a jamais été formellement rompue.

Irez-vous aux élections avec l’actuel gouvernement ou comptez-vous le remanier, voire en changer, auparavant ?
La Constitution m’autorise à changer le gouvernement chaque fois que je le juge nécessaire. Vous pensez bien que je ne vais pas, ici, vous exprimer mes intentions en ce domaine.

Vous préférez laisser planer une épée de Damoclès sur la tête de vos ministres
Mais ils le savent ! Le jour où je sentirai le besoin de modifier mon gouvernement, je le ferai.

L’affaire dite des disparus du Beach a rebondi le 10 janvier, avec la décision de la Cour de cassation de Paris de renvoyer à nouveau le dossier devant la cour d’appel de Versailles. Votre réaction a été très vive : vous avez parlé de « provocation », d’« ingérence » et même de « riposte ». Quelle riposte ?
J’espère que le bon sens l’emportera et que, dans la mesure où le procès de cette affaire a déjà eu lieu à Brazzaville en 2005, l’autorité de la chose jugée l’emportera. C’est un principe universel. Sauf à estimer qu’il ne représente rien – auquel cas nous ne resterions pas sans réaction -, je reste convaincu que la justice française saura dire le droit.

Pour les parties civiles qui ont déposé plainte à Paris, le procès de Brazzaville n’a pas été équitable. Elles se font fort de le démontrer.
Ce procès a été public, il a duré un mois et a été entièrement retransmis à la télévision. Toutes les parties ont été invitées à s’exprimer. Si je suis la logique de nos détracteurs, la justice congolaise ne vaut rien, ne compte pour rien, et toutes nos affaires devraient être traitées en France. Ce n’est pas sérieux

Une manifestation de protestation a eu lieu devant l’ambassade de France. On a même brûlé un drapeau français, ce qui est une première au Congo. Y êtes-vous pour quelque chose ?
Votre question m’inquiète. Non seulement le Congo n’aurait pas de justice digne de ce nom, mais en outre les Congolais n’auraient pas d’opinion propre ? Ceux qui le connaissent savent très bien que le peuple congolais est un peuple majeur, politisé et conscient de ses droits. Il s’exprime comme il l’entend, en dehors de toute manipulation, comme les autres.

Pensez-vous que les décisions prises par la justice française engagent la responsabilité de l’État français ?
Je pense que oui. Malgré tous les artifices, les magistrats du parquet, que je sache, sont nommés par la chancellerie. On ne peut pas à la fois nommer quelqu’un et dégager toute responsabilité des actes qu’il pose.

Les autorités françaises sont pourtant claires là-dessus. Elles ne peuvent interférer dans le travail de la justice.
Vous croyez ? Nous n’avons pas encore eu ce débat avec les autorités françaises.

S’il est un partenaire avec lequel vous n’avez pas ce type de problème, c’est bien la Chine. Que pensez-vous des critiques souvent entendues à propos des Chinois en Afrique : concurrence déloyale, non-respect de l’environnement, absence de conditionnalité démocratique, etc. ?
Soyons honnêtes : ceux qui formulent ce genre de critique sont le plus souvent des gens qui, d’une part, redoutent la concurrence de la Chine et qui, de l’autre, coopèrent assidûment avec cette même Chine. L’Afrique n’est la chasse gardée de personne et je ne vois pas pourquoi nous ne devrions pas travailler avec cet immense partenaire. À l’occasion du sommet de Pékin, en novembre dernier, le président Hu Jintao a annoncé l’effacement de la dette bilatérale contractée par tous les PMA [pays les moins avancés] africains. Excellente chose. Nul, bien sûr, ne se fait d’illusions : si les Chinois coopèrent avec nous, ce n’est pas par philanthropie. Eux-mêmes ne s’en cachent guère. Ils ne conçoivent les relations qu’en termes de gagnant-gagnant, ce qui présente au moins l’avantage de ne pas être hypocrite.

Surtout, la politique intérieure n’est pas leur problème
Oui et alors ? C’est leur choix et c’est leur droit. Les pays qui imposent des conditions politiques à l’octroi de leur aide ne se gênent pas pour le faire et nul ne les a fusillés pour ça. La Chine, elle, ne s’ingère pas dans nos affaires et vous voudriez que je lui en fasse reproche ?

Et la bonne gouvernance ?
On veut nous l’imposer, fort bien. Mais qui contrôle les contrôleurs ? Qui donne des leçons aux donneurs de leçons ? Qui vérifie si les Occidentaux appliquent les règles qu’ils édictent pour les autres ? Personne. J’étais à Paris il y a quelques semaines. Il faisait froid. Je revenais de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et j’ai vu des dizaines de SDF agglutinés devant les bouches du métro, couchés à même le trottoir. C’est cela, la bonne gouvernance ? Des immeubles vétustes ont brûlé en France, carbonisant au passage des familles entières d’immigrés africains. C’est cela, la bonne gouvernance ? Allons donc !

Regretterez-vous Jacques Chirac ?
Personne ne peut dire que Jacques Chirac n’est pas un ami sincère de l’Afrique.

Et un ami personnel. Vous vous tutoyez.
Tout à fait. Mais ce n’est pas parce que Jacques Chirac ne sera plus, demain, président de la France, que le Congo et la France ne seront plus amis. Les intérêts des États sont une chose, les relations personnelles en sont une autre.

J’ai l’impression que si vous deviez voter lors de l’élection présidentielle française, vous voteriez pour Nicolas Sarkozy plutôt que pour Ségolène Royal. Je me trompe ?
Qu’est-ce qui vous permet de dire cela ? Vous pourriez tout aussi bien dire que mon parti, le PCT, est historiquement socialiste, donc de gauche, ce qui renverserait votre proposition. Soyons sérieux : l’élection française concerne le peuple français. Je n’ai évidemment aucun candidat.

Cette année marque le dixième anniversaire de votre retour au pouvoir, en octobre. Mais aussi celui de l’atroce guerre civile qui l’a précédé. Avez-vous prévu quelque chose pour cette double commémoration ?
Figurez-vous que je n’y avais pas pensé et que c’est vous qui, aujourd’hui, me le rappelez. J’ai toujours été plus tourné vers l’avenir que vers le passé, surtout lorsqu’il est douloureux. Ce qui m’intéresse, ce qui compte, c’est d’avoir redonné un peu d’espoir aux Congolais.

Pas de cérémonies, donc.
Non. Je n’ai rien prévu de tel.

Ne serait-ce pas le moment de décréter une amnistie pour les ex-dirigeants exilés et condamnés ?
De qui parlez-vous ? De ceux qui ont bradé notre pétrole et empoché la différence ? Nous verrons. Ces gens-là relèvent du droit commun, pas de la politique.

Un simple point d’histoire. La plupart de vos adversaires estimaient, lorsque vous avez quitté le pouvoir en 1992, que vous n’aviez qu’une seule idée en tête : le reconquérir. Apparemment, ils n’avaient pas tout à fait tort
C’est le contraire de la réalité. Au début des années 1990, plusieurs de mes pairs chefs d’État ont, contrairement à moi, refusé de quitter le pouvoir. Ils ont pris toutes les dispositions pour cela et le ciel ne leur est pas tombé sur la tête. J’aurais fort bien pu faire la même chose et demeurer en place, il n’en tenait qu’à moi. Mais ce n’est pas la voie que j’ai choisie. J’ai quitté Brazzaville pour ma ville d’Oyo, où je suis resté silencieux, à l’écart de tout, pendant deux ans. Puis je suis allé à Paris où je n’ai mené aucune activité politique. Jusqu’à mon retour à Brazzaville, en janvier 1997.

Dix ans après la guerre, pensez-vous que les Congolais se disent enfin : « plus jamais ça ! »
J’en suis certain. Bien sûr, on ne changera pas notre peuple. Les Congolais ont tous un côté contestataire et insatisfait qui fait partie de leur nature, presque de leur charme. Mais je crois que nous sommes vaccinés contre la violence.

La prochaine élection présidentielle aura lieu en juillet-août 2009. Serez-vous candidat ?
Je l’ignore. J’ai d’autres préoccupations pour l’instant.

Rien ne vous en empêche.
Effectivement. Je n’aurai pas encore atteint la limite d’âge pour se présenter, qui est de 70 ans.

Et la Constitution vous donne droit à un deuxième et dernier mandat
Exact.

Comptez-vous la modifier sur ce point ?
Dieu nous donne à tous longue vie. Vous verrez bien.

J’insiste. La Constitution sera-t-elle amendée en ce qui concerne la limitation du nombre de mandats ?
Elle ne le sera pas de mon fait.

Aux lecteurs d’interpréter ce que vous venez de dire, j’imagine ?
En tout cas, elle ne le sera pas de mon fait

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