François Bayrou

En préconisant d’enterrer le clivage gauche-droite, le candidat centriste à l’Élysée apparaît de plus en plus comme un recours à ceux qui refusent de se sentir obligés de choisir entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal.

Publié le 27 février 2007 Lecture : 5 minutes.

C’est la secousse de la semaine politique. Deux sondages bousculent soudain la donne présidentielle française. Le premier crédite François Bayrou de 17 % d’intentions de vote au premier tour (CSA). Le deuxième l’annonce gagnant au second tour, s’il y parvient, avec 54 % contre Ségolène Royal et 52 % contre Nicolas Sarkozy (Ifop). Certains experts en conçoivent alors un scénario qui, pour être imaginaire, n’est pas inimaginable. Supposant que Sarkozy continue de progresser et que, au contraire Royal, après avoir regagné deux points au lendemain de son émission de TF1 le 19 février, stagne ou régresse de nouveau d’ici à l’échéance, ils posent la question qui a provoqué un début de panique à l’UMP et renforcé les consignes de précaution au PS : combien de dizaines ou de centaines de milliers de sympathisants socialistes, et de la gauche en général, pourraient-ils se dire – ou se laisser dire – qu’en votant Bayrou dès le premier tour, ils auraient de bonnes chances de le placer au second avec la quasi-certitude qu’il écraserait Sarkozy grâce au maintien de leurs voix et au transfert massif de suffrages de Royal ? Perdu pour perdu, ils auraient au moins la consolation d’entraîner dans leur chute le détesté ministre au Kärcher, battu par Bayrou interposé. Il y a sans doute des traces de cette anticipation dans le sondage Ifop. Un tel scénario virtuel, si incertain qu’il soit, ne serait pas sans précédent. Il ressemblerait fort au coup de l’état-major de campagne de Jacques Chirac qui a donné la consigne de voter Mitterrand en 1981 parce que la Chiraquie pure et dure le préférait à Giscard pour l’Élysée.
On dira, à juste titre, que comparaison n’est pas raison. Les électeurs socialistes ne tireront pas contre leur camp. Traumatisés par la défaite de Lionel Jospin en 2002, dont nombre d’entre eux restent culpabilisés pour s’être abstenus le premier dimanche, ou avoir batifolé du côté de diverses causes perdues, ils chercheront plutôt dans l’appel à l’union, toujours efficace sur le peuple de gauche, les ressorts d’un ultime sursaut. Si Jospin a été victime de la certitude de l’emporter, Royal devrait bénéficier a contrario jusqu’au bout de l’effet mobilisateur de doutes éventuels sur sa victoire : « Bayrou croit au Père Noël », s’exclame Daniel Cohn-Bendit, qui ne lui donne que 30 % de chances de réussir, « car l’électorat de gauche ne laissera pas refaire 2002 ».

Mais voilà que, pour achever de brouiller le jeu, Bayrou sort une nouvelle carte. Encouragé par les supputations de sa présence au second tour, il préconise un gouvernement d’union nationale qui enterre enfin le clivage gauche-droite dont il dénonce l’inadaptation passéiste à l’évolution de l’Europe et à l’état du monde d’aujourd’hui. Se voyant déjà à l’Élysée, il annonce qu’il pourrait choisir son Premier ministre parmi les dirigeants socialistes les plus acceptables pour le centre et la droite, « un Delors en plus jeune », dit-il en pensant tout haut à Dominique Strauss-Kahn, le seul des candidats PS à l’investiture qui s’était ouvertement positionné dans le camp social-démocrate.
Le calcul tient pour le moment du rêve éveillé. Un des porte-parole de DSK, Jean-Christophe Cambadelis, s’est empressé de le déjouer, accusant Bayrou de manigancer une recomposition politique « pour casser la gauche ». Le PS a toujours repoussé l’idée d’une coalition à l’allemande. Par principe tout d’abord, enraciné dans son histoire, sa culture, voire son idéologie. Par scepticisme aussi, nourri d’un constat : les tentatives semblables, dites de troisième force, ont toutes échoué sous la IVe République où elles ont fini par provoquer la fin du régime dans la débilité des pouvoirs et les soubresauts de la crise algérienne. Elles ont conduit les constituants de la Ve gaulliste à verrouiller par tous moyens les possibilités d’un retour au passé. Il en résulta l’instauration de l’actuel système majoritaire définitivement consolidé par la présidentielle à deux tours. Il s’agissait, comme aujourd’hui encore, d’affaiblir le centre en le piégeant dans la bipolarisation et en le réduisant au mieux à la vocation d’un appoint, accepté pour l’« ouverture », mais arithmétiquement inutile. « Les centristes, aime à dire Chirac, on les roule dans la farine avant de les faire frire. »
C’est de cette emprise véritablement dominatrice que le candidat UDF s’efforce de se dégager, n’hésitant pas, pour gauchir son image et donner des gages aux socialistes, à refuser le budget et même à voter la censure contre Dominique de Villepin. Hier, il se posait en s’opposant ; il tente maintenant de s’imposer en s’interposant. Si ce n’est pas un calcul, cela y ressemble, car Bayrou n’a pas toujours été favorable, loin s’en faut, aux révisions déchirantes qu’il préconise à présent. « Ni de près ni de loin, déclarait-il, par exemple, en mars 1991, nous ne gouvernerons avec les socialistes. » Qu’importe ! Selon l’adage politicien que « seuls les imbéciles ne changent pas d’avis », Bayrou découvre l’efficacité de cette stratégie dont la sincérité, récente ou non, s’accorde désormais à ses intérêts. Le plus étonnant de sa dérangeante percée, c’est bien qu’elle étonne. Les derniers sondages confirment en les amplifiant les raisons de sa progression. Il bénéficie du double soutien à gauche des déçus de Royal, à droite des méfiants de Sarkozy. Il recueille en plus grand nombre jusqu’ici que Jean-Marie Le Pen les mécontents chroniques des politiques des deux grands partis. Il apparaît surtout comme l’alternative la plus crédible à tous ceux qui répugnent à se laisser forcer la main, du moins au premier tour, par un choix limité à deux termes. Depuis le début de la campagne, il joue de l’effet de contraste en cultivant ses différences. Il se plaint de l’accaparement des médias par le couple Sarkozy-Royal, mais il en profite dans la mesure où il se démarque de l’agitation générale et se protège des tapages médiatiques qui risquent d’agacer une partie de l’opinion. Les mots clés de son langage sont « modération, équilibre, consensus ». Il refuse surtout d’entrer dans la course aux enchères budgétaires et met en garde contre l’accumulation des dépenses qu’entretiennent les innombrables promesses « payables en chèques en bois ».

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À mi-parcours d’une campagne qui peut encore tout changer, le paradoxe de son équation présidentielle est que sa principale chance est aussi son principal obstacle. S’il est vrai, comme l’indiquent certaines enquêtes, qu’une majorité d’électeurs, particulièrement chez les jeunes générations, fatiguées des sempiternels affrontements de la France coupée en deux, serait prête à le manifester pour la première fois dans ses votes, alors « François Bayrou est élu », concluent déjà certains politologues. Sinon il sera éliminé, comme ses prédécesseurs centristes, par la loi inexorable du système. En attendant la revanche. Car il faudra compter avec lui pour l’arbitrage décisif du second tour et bientôt les choix des législatives. Et il vaudra cher.

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