Enfin, ils respirent

Les journaux vendus dans les rues de la capitale profitent d’une liberté d’expression dont ils ont été privés pendant plus de vingt ans.

Publié le 27 février 2007 Lecture : 3 minutes.

Les médias nouakchottois y vont tous de leurs petits commentaires sur la campagne en cours : tel candidat « indépendant » serait en réalité « dépendant » et soutenu par le Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD), tel autre est jugé en « mauvaise posture », tandis que son adversaire serait un « menteur » Avec plus ou moins de brio, les nombreux journaux que les marchands ambulants vendent dans les rues de la capitale font l’usage d’une liberté d’expression dont ils ont été privés pendant plus de vingt ans.
Depuis l’ordonnance du 12 juillet 2006, elle est gravée dans le marbre de la loi : le texte met fin au système de censure prévu par l’article 11 d’une ordonnance de 1991, qui exige notamment l’octroi d’un reçu par le ministère de l’Intérieur pour la parution de toute publication. Épluché pour vérifier s’il n’écorne pas la ligne officielle, le titre se retrouvait alors la plupart du temps sur le marché avec plusieurs heures, voire plusieurs jours de retard Depuis le 3 août et l’arrivée au pouvoir du CMJD, la presse n’a jamais, de facto, subi la censure.
Le carcan s’est également desserré pour l’audiovisuel. Durant la campagne pour les municipales et les législatives (novembre-décembre 2006), la Télévision de Mauritanie (TVM) et Radio Mauritanie (RM) ont garanti « la diversité de la parole publique », selon l’expression utilisée par Reporters sans frontières (RSF) dans son rapport annuel 2007. « En deux ans, la liberté de la presse a connu des avancées spectaculaires », poursuit l’association de défense de la liberté de la presse.
Rapidement, le CMJD choisit de rompre avec les pratiques du précédent régime, qui, selon l’expression de RSF, considérait les médias comme « son domaine privé ». En septembre, il envoie un signal positif en reconnaissant officiellement l’Association des éditeurs de la presse indépendante (AEPI). La BBC, RFI et Al-Jazira reçoivent l’autorisation d’émettre en modulation de fréquence à Nouakchott, geste jugé rassurant par la communauté internationale quant aux intentions des militaires. S’ensuit, en décembre de la même année, l’installation d’une « Commission nationale consultative pour la réforme du secteur de la presse et de l’audiovisuel » dont le rapport, publié en mars 2006, inspire la loi sur la liberté de la presse.
Sur la base des propositions de la Commission naît, en octobre dernier, la Haute Autorité de la presse et de l’audiovisuel (Hapa). « Nous sommes venus comme une institution d’appui à la démocratie », explique son président, l’avocat Ahmedou Tidjane Bal, ancien expert aux Nations unies. Nommés par le CMJD, six membres composent ce conseil de sages choisis parmi « les citoyens de haute moralité » : il comprend notamment un professeur de philosophie, un journaliste, un cadre de l’administration. Installée dans la fièvre de la campagne électorale, la Hapa a pu directement exercer sa vocation première : veiller à l’équité. « La couverture de la campagne a été notre baptême du feu », commente Ahmedou Tidjane Bal. Tout en s’inspirant des expériences des pays voisins (Maroc, Bénin, Burkina), la Hapa attend de pied ferme la promulgation de la loi sur l’audiovisuel. Le texte prévoit la libéralisation des ondes et la possibilité d’une deuxième ou d’une troisième chaîne de télévision qui devrait faire, tant bien que mal, concurrence au satellite, dont les Mauritaniens aisés sont de fervents adeptes. « Il est inutile d’avoir un nombre pléthorique de stations de radio, il faut privilégier la qualité », tempère le président de la Hapa. Des projets ont déjà été reçus. Reste à promulguer la loi ; avant la fin de la transition, souhaite l’instance.
En s’ouvrant, les médias devraient gagner en qualité. Mais la culture du débat public n’est pas encore profondément ancrée dans le pays. Le président de la Hapa confie que, durant la précédente campagne électorale, le temps d’antenne mis à la disposition des candidats pour présenter leurs programme ou confronter leurs idées n’a pas été utilisé. Autre entrave à la qualité : les « peshmergas », terme qui ne désigne pas les combattants kurdes mais les propriétaires de journaux accusés de se livrer au chantage et au racket. La fixation d’un capital minimum pour créer un titre de presse et le durcissement des critères pour l’obtention de la carte de presse pourraient assainir le marché. Autant de chantiers que la transition n’aura pas le temps d’achever.

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