100 % de réussite

Publié le 27 février 2007 Lecture : 6 minutes.

Ceux des Arabes qui n’ont pas perdu le sens de l’humour rappellent volontiers ce que l’un d’eux a dit de leur communauté, visant plus particulièrement ses dirigeants : « Les Arabes se sont mis d’accord pour vivre dans le désaccord »
Une autre grande caractéristique des Arabes, si l’on en juge par leurs performances du dernier demi-siècle, c’est de s’ingénier à créer des organisations conçues pour les rassembler, et qui ne servent qu’à étaler leur incapacité à s’unir, ou même à s’entendre et à coopérer.
Ils ont 100 % de réussite sur ce plan, comme vous allez le voir, et sont par conséquent leaders mondiaux de l’intégration non réussie.

1. La Ligue des États arabes. Elle a, il est vrai, été imaginée et mise sur pied par « la perfide Albion » à la fin de la Seconde Guerre mondiale (le 22 mars 1945), et ce péché originel ne doit pas être pour rien dans la configuration et le pedigree de l’organisation.
Le Royaume-Uni tirait alors les ficelles des marionnettes qu’il avait installées au pouvoir dans divers pays du Moyen-Orient (Machrek). Quant à l’Afrique du Nord (Maghreb), elle était encore sous domination française (et italienne pour ce qui est de la Libye).
Mais, depuis soixante-deux ans, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts : le Royaume-Uni « a perdu un empire et n’a pas trouvé de rôle » ; les pays membres de la Ligue se sont peu à peu émancipés, leur nombre a augmenté pour atteindre vingt-deux, leur population a connu une belle croissance pour atteindre 330 millions d’hommes et de femmes ; le sous-sol de la plupart d’entre eux, riche en pétrole, a donné à plusieurs des membres de cette Ligue des revenus considérables, qui auraient pu être transformés en instruments de solidarité et en leviers de puissance.

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Pendant que l’Europe voisine enterrait ses querelles pour édifier entre un nombre grandissant de ses pays – ils sont passés, en cinquante ans, de six à vingt-sept – une union économique, monétaire et politique, la Ligue des États arabes et ses membres, passés de 7 à 22, se contentaient de parler d’unité, de se réunir sans rien décider ou de décider sans jamais passer à l’exécution.
Le moulin de l’unité arabe a tourné à vide tout au long du demi-siècle écoulé et n’a eu aucun grain à moudre. Pire : l’appartenance à la Ligue n’a pas empêché certains de ses membres de se « liguer » contre d’autres, ni un État arabe d’agresser, ou même d’envahir, un autre, menant l’ensemble à la désunion.
Le résultat est calamiteux :
– un État membre (la Somalie) a disparu depuis près de vingt ans ; l’ONU et l’Union africaine sont à son chevet, tandis que la Ligue arabe semble considérer qu’elle n’a pas le moindre devoir envers lui ;
– trois pays, la Syrie, la Palestine, l’Irak, sont militairement occupés par des armées hostiles et des colons ; un nombre encore plus grand « héberge » des armées étrangères, sans droit de regard sur ce qu’elles font ;
– avec une population comparable à celle des États-Unis, en fait légèrement supérieure – 330 millions contre 302 millions – et une production pétrolière sans équivalent, les 22 pays de la Ligue arabe ont un revenu annuel dix fois inférieur (1 400 milliards de dollars pour les pays arabes contre 14 000 milliards pour les États-Unis). Et le fossé n’est pas en train de se combler…
Un observateur avisé de ce pitoyable état des choses en donne cette image saisissante : « L’Union arabe ? Un véhicule dont on a mis le moteur en marche : il tourne depuis des décennies avec, de temps à autre, des ratés. Mais comme on n’a pas enclenché les vitesses, le véhicule chauffe, pollue, vibre et n’avance pas d’un centimètre. »

2. Les Arabes du Golfe ont créé plus récemment, le 25 mai 1981, une organisation régionale plus petite, le Conseil de coopération des États arabes du Golfe, qui regroupe cinq émirats et l’Arabie saoudite.
C’est méritoire. Mais je ne saurais pas vous dire si cette organisation a été à la hauteur de son rôle et des espérances qu’elle a pu susciter.
Du dossier que j’ai consulté, il ressort cependant qu’il n’y a ni unité ni intégration entre ses six membres : sur presque tous les grands sujets et les grandes orientations, ils divergent.

3. Le Maghreb. La troisième des grandes organisations unitaires arabes existe depuis une petite vingtaine d’années sous un sigle prometteur : UMA (Union du Maghreb arabe).
Créée le 17 février 1989, elle est censée unir les trois États du Maghreb central, Maroc, Algérie, Tunisie (75 millions d’habitants), et les deux États périphériques : la Libye à l’est et la Mauritanie à l’ouest (près de 10 millions d’habitants pour les deux).
Les cinq pays sont limitrophes, séparés du reste du monde par le Sahara au sud et la Méditerranée au nord : leur unité géographique est ainsi très marquée.
Unité tout aussi forte dans les autres domaines : les populations ont la même religion et (presque) la même langue ; le niveau de vie moyen est voisin et les différences tribales, ou plus généralement ethniques, sont faibles, à l’exception notable de la division entre Berbères (islamisés, mais non arabisés) et Arabes, plus nette en Algérie et au Maroc que dans les autres pays.
L’existence de cette composante berbère aurait dû inciter les créateurs de l’Union à éviter de la qualifier « d’arabe ». Ils auraient ainsi montré qu’ils étaient respectueux des minorités et qu’ils avaient conscience de la diversité ethnique et culturelle de la future Union.

Quoi qu’il en soit, l’UMA a donc rassemblé des pays entre lesquels l’intégration politique, économique, monétaire semblait facile. Les peuples l’appelaient de leurs vux, les intellectuels et les politiques en discouraient avec ferveur.
Et pourtant, il ne s’est (presque) rien passé en dix-huit ans d’UMA, à cause (principalement) d’un différend politique grave entre les deux plus grands pays membres, l’Algérie et le Maroc.
Survenu en 1976 – avant la création de l’Union – à propos de la dévolution du Sahara occidental, ce différend demeure inchangé dans ses termes et paralyse l’UMA. L’organisation est maintenue a minima, juste pour sauver les apparences. Son budget annuel de 2 millions de dollars sert, pour l’essentiel, à payer ses quelques fonctionnaires ; ses « sommets » se révèlent impossibles à tenir et, ce, depuis 1994.
Les frontières entre les cinq pays membres laissent passer difficilement – ou pas du tout – les personnes et les biens, et aucun organisme commun digne de ce nom n’a pu être créé. Au final, un résultat consternant : près de 100 millions d’hommes et de femmes que tout incline à s’unir et qui persistent à vivre comme s’ils étaient au XIXe siècle parce que leurs dirigeants ne parviennent pas à surmonter leurs différences et alors que, tout à côté d’eux, au nord comme au sud, se constituent, dans des conditions plus difficiles, des unions prometteuses.

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Nous avons appris récemment qu’al-Qaïda, elle, a créé le Maghreb du djihad. Ses militants et ses guérilleros ont entrepris, eux, depuis la fin de 2006, de traverser les frontières de l’UMA pour combattre ensemble les gouvernements des cinq pays, tenter de les renverser.
Ils n’ont, heureusement, aucune chance d’y parvenir, mais le signal est fort et il devrait faire réfléchir.
Les gouvernements vont répondre, ou même ont déjà répondu, en renforçant et en améliorant la coopération entre leurs polices. C’est nécessaire mais insuffisant, ils le savent bien.
Les peuples maghrébins ne se détourneront des intégristes et ne les rejetteront que :
– s’ils sont entraînés dans un développement politique, économique et culturel d’une autre nature et d’une autre ampleur que celui qu’ils ont connu jusqu’ici ;
– s’ils voient s’ouvrir devant eux des portes aujourd’hui fermées, un horizon plus large ;
– et s’ils se sentent fiers de faire aussi bien que les autres.
Leurs gouvernants auraient tort de continuer à les tenir enfermés à l’intérieur de frontières étriquées, étouffantes, qui rappellent « les siècles obscurs du Maghreb ».

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