De guerre lasse

Terrorisée et épuisée par les coups de boutoir des troupes russes, la population n’aspire plus qu’à la paix. Et préfère encore subir le joug de l’un des siens, le tristement célèbre Ramzan Kadyrov.

Publié le 27 février 2007 Lecture : 4 minutes.

« L’opération antiterroriste est achevée. » C’est du moins ce qu’a prétendu le ministre russe de la Défense, Sergueï Ivanov, avant de quitter son poste et d’être promu, le 15 février, premier vice-Premier ministre de Russie, à égalité avec Dmitri Medvedev, l’autre « favori » à la succession de Vladimir Poutine. Logique : à l’instar du chef de l’État, et dans la perspective de la présidentielle de mars 2008, Ivanov compte bien se prévaloir de son bilan en Tchétchénie. D’autant que, selon un sondage de septembre 2006, 54 % des Russes pensent que la situation s’améliore dans la petite république du Caucase.
Cet optimisme n’est pas sans fondement. Sur le plan militaire, les rebelles tchétchènes paraissent affaiblis. D’abord, leurs chefs emblématiques ont été liquidés, qu’il s’agisse de l’ex-président modéré Aslan Maskhadov, assassiné par les forces spéciales russes en mars 2005, ou du jusqu’au-boutiste Chamil Bassaïev, tué dans une explosion en juillet 2006. Ensuite, les boeïviki (« combattants tchétchènes ») manquent à l’évidence d’armes sophistiquées et ne sont plus capables de mener des actions d’envergure. Ils n’ont par exemple commis aucun attentat spectaculaire depuis la sanglante prise d’otages de l’école de Beslan (Ossétie du Sud), en septembre 2004. S’ils bénéficiaient du soutien d’une internationale fondamentaliste, comme le prétend Moscou (qui ne manque jamais une occasion de les qualifier de « wahhabites »), ils n’en seraient pas là
Sur le plan politique, enfin, la situation s’est stabilisée, là aussi par la force des choses. En perpétrant enlèvements, meurtres, actes de torture quotidiennement et à grande échelle, les troupes fédérales russes et leurs supplétifs locaux ont, depuis 1994, anéanti plus de 20 % de la population. Terrorisés, les survivants sont devenus indifférents au sort des rebelles et n’aspirent plus qu’à la paix. Leur pays est devenu un champ de ruines miné par la corruption et le racket, le taux de chômage dépasse 80 %, l’eau et l’électricité sont un luxe. Et si Human Rights Watch (HWR) ou l’ONG russe Memorial admettent que le nombre de tués et de personnes enlevées a diminué entre 2004 et 2005, ces organisations n’en qualifient pas moins la situation des droits de l’homme d’accablante. Dans son rapport de novembre 2006, HWR dénonçait notamment la persistance d’un recours « systématique » à la torture pour extorquer des aveux à de présumés « terroristes ».
En attendant, pourtant, la « tchétchénisation » du conflit apparaît à tous comme un moindre mal. En laissant les milices locales, fussent-elles les plus brutales, se substituer à l’armée fédérale, Vladimir Poutine retire progressivement ses troupes (encore 80 000 hommes) du bourbier.
De leur côté, les Tchétchènes, privés de leaders, préfèrent, à tout prendre, subir le joug de l’un des leurs. En l’occurrence, celui de Ramzan Kadyrov, que Poutine a nommé président par intérim le 15 février, en attendant l’approbation du Parlement local.
Ramzan n’a pourtant rien pour plaire ! Adoubé homme fort de la région par Vladimir Poutine en mai 2004, au lendemain de l’assassinat de son père, le président prorusse Akhmad Kadyrov, ce gaillard au front bas et aux yeux rapprochés s’est rendu tristement célèbre à la tête d’un clan – les kadyrovstsi – qui a semé la terreur dans la région. Nommé Premier ministre en février 2006, il se bornait jusque-là à organiser des championnats de boxe ou des concerts de rock à Grozny, et à faire construire un parc aquatique à Goudermès pour séduire une jeunesse déboussolée par des années de guerre. Aujourd’hui, le nouveau président, qui a fêté ses 30 ans en octobre 2006 – ce qui lui a permis d’accéder à ce poste -, veut montrer qu’il a mûri. Barbouze en treillis dans son fief, sale gosse en jogging sous les lambris du Kremlin, il est apparu à la télévision russe, au lendemain de sa nomination, en costume cravate, la barbe taillée de près. Jouant les politiciens respectables, il a promis de reconstruire la Tchétchénie et sa capitale d’ici à la fin de 2008 et de lutter contre le détournement des aides venues de Moscou – dont lui et ses affidés étaient jusque-là les principaux bénéficiaires Si l’indifférence prédomine, le soulagement de voir les Russes se désengager est tel que certains se prennent à rêver que les choses vont changer. D’autres se rallient, de manière parfois surprenante. Akhmed Zakaïev, par exemple, un ancien collaborateur du président indépendantiste Maskhadov, qui, de son exil londonien, a salué la nomination de Kadyrov. Réponse de l’intéressé : Zakaïev peut rentrer en Tchétchénie, un emploi l’attend au théâtre dramatique de Grozny qui vient d’être reconstruit !
Ces péripéties ne sauraient faire oublier que l’équilibre actuel, obtenu par la terreur et la résignation, est précaire et que nombre d’interrogations demeurent. Combien de temps durera l’allégeance de Ramzan Kadyrov ? « Je ne suis pas l’homme du président de Russie, je suis l’homme de Vladimir Poutine. Pour moi sa parole a force de loi », vient-il de déclarer. Est-ce à dire que ce tyranneau local se sentira délié de toute obligation lorsque son protecteur ne sera plus président ? Ou en cas d’affaiblissement politique de la Russie ? De même, il faut se garder d’enterrer la guérilla trop vite. Elle continue en effet d’infliger des pertes aux forces fédérales (cinq soldats par jour en moyenne) et aux milices tchétchènes (un à deux hommes), et, surtout, étend ses actions aux régions voisines du Daguestan et de l’Ingouchie. Enfin, lorsque l’on sait que le peuple tchétchène n’a cessé de se révolter contre les Russes tout au long de son histoire, cela donne à réfléchir

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