Casablanca tourne la page

Rendez-vous de professionnels autant que manifestation populaire. Telle est la nouvelle vocation du Siel, dont la 13e édition s’est déroulée du 9 au 18 février.

Publié le 27 février 2007 Lecture : 3 minutes.

Naïda devait être le point d’orgue des animations organisées en marge du Salon international de l’édition et du livre (Siel), qui s’est tenu à Casablanca du 9 au 18 février. Au final, ce fut un couac retentissant ! Ils étaient une soixantaine, venus de Belgique, de France, de Palestine, d’Algérie et de plusieurs villes du Maroc. Ils avaient répété pendant dix jours les tableaux du spectacle de danse et de musique contemporaine qu’ils devaient présenter le 11 février au Théâtre Mohammed-VI. Mais le show a été annulé à la dernière minute.
Ce gros raté, imputable à des problèmes techniques, aura été la seule fausse note de cette 13e édition du Siel, qui, comme l’an passé, a connu une forte affluence et proposé une série de rencontres et de conférences de bon niveau. Mohamed Achâari, ministre de la Culture et homme de lettres (poète, il a présidé l’Union des écrivains marocains), n’avait pas hésité à prendre les devants en décidant, au grand dam des islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD), d’interdire à une cinquantaine de maisons d’édition d’exposer certains ouvrages à connotation politico-religieuse. Une mesure de « tri sélectif », dirigée uniquement contre la propagande obscurantiste, et qui a épargné les livres religieux ordinaires, nombreux dans les présentoirs, et qui se sont taillé un franc succès.
Au total, 59 pays et 166 organismes ont participé à l’événement, devenu payant pour la première fois (5 dirhams pour les scolaires – 0,44 euro -, 10 dirhams pour le grand public) afin de dissuader les flâneurs qui encombraient les travées lors des éditions précédentes. La Belgique, plus précisément la région francophone de Wallonie-Bruxelles, où vit une importante diaspora marocaine, était l’invitée d’honneur, et ses écrivains, comme François Weyergans, Prix Goncourt 2005, ou Patrick Roegiers, auteur du Mal du pays, autobiographie de la Belgique, ont été nombreux à faire le déplacement. Les Français n’étaient pas en reste, avec notamment Yann Queffélec, Jean-Christophe Rufin, Frédéric Mitterrand, Gisèle Halimi ou Bernard Werber. Mais les stars incontestables du salon, celles pour lesquelles on s’est bousculé, ont été deux figures des lettres arabes : le poète libanais Adonis et son homologue palestinien Mahmoud Darwich. Quant aux auteurs marocains, ils étaient tous ou presque fidèles au rendez-vous : les historiques, comme Mohamed Berrada ou Zaghloul Morsy, les représentants de la nouvelle vague, à l’instar de Leïla Lalami ou Abdallah Taïa, les créateurs de la diaspora, comme Taha Adnan.
« À bien des égards, le Maroc reste une terre de mission pour les gens de lettres, explique l’écrivain Salim Jay, auteur, l’an dernier, d’un Dictionnaire de la littérature marocaine. Et pas seulement à cause du poids de l’analphabétisme, qui concerne près de la moitié de la population. Beaucoup de Marocains manifestent toujours une espèce de dédain pour l’écrit, qu’ils n’envisagent que sous l’angle utilitaire, et qu’ils négligent au profit de la télévision et d’Internet. Mais nous n’avons pas le droit de désespérer. Et l’existence d’un événement comme le Siel, qui s’est installé dans le paysage, est un signe que nous allons dans la bonne direction. »
Le royaume compte aujourd’hui une centaine de maisons d’édition, qui ont publié environ 1 500 titres l’an denier. Mais les tirages franchissent rarement la barre des 5 000 exemplaires. « Cependant, il y a de plus en plus d’auteurs, et une vraie demande, une vraie soif de culture dans certains milieux, et pas forcément là où l’on s’y attend le plus : je pense notamment aux préfectures enclavées, précise Monia Nejjar, la directrice du Livre. Une de nos priorités, désormais, est de démocratiser l’accès au livre, car il y a de grosses carences dans le domaine de la distribution, faute d’un nombre suffisant de libraires. »
Le pouvoir d’achat reste l’autre obstacle à une meilleure diffusion de l’écrit. Car le livre coûte cher. Le facteur prix constitue d’ailleurs une des raisons profondes du succès de la littérature religieuse, largement subventionnée par les pays du Golfe et vendue pour une poignée de dirhams, alors qu’il est quasiment impossible de trouver un livre « laïc » à moins de 80 ou 100 dirhams. « Toutefois, nuance Mohamed Belahoua, commercial à Tarik Éditions, la qualité trouve preneur sans problèmes. Les témoignages touchant aux années de plomb, comme Heures sans gloire, échec d’une révolution, 1963/1973 de Mehdi Bennouna, sont de gros succès de librairie. L’atlas Maroc, pays et territoires, premier vrai ouvrage de géographie, s’est aussi très bien vendu, de même que, dans un autre registre, Les Nouveaux Penseurs de l’Islam, de Rachid Benzine. Point commun à toutes ces uvres : leur originalité. La demande existe donc, mais les lecteurs sont devenus exigeants. »

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