Bon rétablissement

Après la pêche et l’extraction minière, le pays mise sur les hydrocarbures. Une situation fragile qui impose une nécessaire diversification.

Publié le 27 février 2007 Lecture : 5 minutes.

Palais des congrès de Nouakchott, mardi 30 janvier. Le ban et l’arrière-ban des opérateurs économiques en Mauritanie, entreprises publiques et privées, nationales et internationales, bailleurs de fonds, institutions financières, assistent à l’ouverture du premier Conseil présidentiel pour l’investissement (CPI). Le forum, abondamment commenté par les médias locaux, doit initier une réflexion sur les moyens de créer un cadre favorable aux investissements, mauritaniens et étrangers. Après une longue période d’isolement – marquée notamment par la sortie de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) en 2000 -, le pays s’ouvre Les quelques groupes diversifiés qui font la pluie et le beau temps sur l’économie mauritanienne voient arriver la concurrence. Avec ces nouvelles têtes apparaît l’espoir d’un nouveau mode de fonctionnement.
L’or noir y est pour beaucoup. Productrice de pétrole depuis tout juste un an – le gisement de Chinguetti, à 80 kilomètres au large de la capitale, est entré en exploitation le 24 février 2006 -, la Mauritanie suscite les convoitises. Quelques heures après avoir inauguré le CPI, Ely Ould Mohamed Vall, le chef de l’État, s’entretient avec Yin Juntai, vice-président de la Société chinoise pour le pétrole, le gaz et la prospection. Pour Pékin, qui a fait de ses tournées en Afrique une tradition, Nouakchott est un partenaire permettant de diversifier ses sources d’approvisionnement en hydrocarbures. Et pour Nouakchott, l’or noir est l’occasion de rajouter un pilier à son économie, qui jusqu’alors reposait dangereusement sur deux rentes : le fer et la pêche. En 2006, les deux secteurs représentent encore respectivement 6 % et 17 % des ressources de l’État, contre 21,6 % pour le pétrole.
Conjugués à une conjoncture internationale favorable – le cours moyen du fer mauritanien a connu une hausse de 3 % en 2006 -, les débuts de l’exploitation pétrolière font petit à petit changer le paysage économique. En décembre, Mauritania Airways voit le jour à Nouakchott. La nouvelle compagnie, fruit d’une alliance entre Tunisair (51 % du capital), le groupe mauritanien Bouamatou (39 %) et l’État (10 %), compte notamment profiter du regain d’intérêt suscité par le pays pour remplir ses avions, qui doivent commencer à voler en juin.
Un mois plus tard, la Société générale prend le contrôle de la Banque internationale d’investissement (BII), née à Nouakchott en janvier 2006. Et, au mois d’avril, BNP Paribas devrait ouvrir sa première agence dans la capitale. Chacun à sa façon, les trois groupes évoquent les « perspectives de l’économie mauritanienne ».
Paradoxalement, le coup d’État du 3 août 2005 a rassuré les investisseurs et les partenaires économiques en général. Au lendemain de sa prise de pouvoir, le Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD) annonce son intention de « renforcer la croissance économique, d’améliorer la position du compte courant de la balance des paiements et de maîtriser l’inflation ». Après une décennie de gestion publique pour le moins opaque et désinvolte, les intentions des militaires semblent frappées au coin du bon sens. Sous le régime de Maaouiya Ould Taya, les dépenses extrabudgétaires et le truquage des comptes sont une habitude. Ils plombent les finances publiques et entament passablement la crédibilité du pays. Aux yeux de la communauté financière internationale, la Mauritanie est un cancre. En janvier 2004, le Fonds monétaire international (FMI) interrompt sa collaboration avec Nouakchott. « Les relations avec les précédents gouvernements étaient bloquées, explique Jean Le Dem, chef de mission au Fonds monétaire international (FMI) pour la Mauritanie. Nous avions constaté un problème de données concernant les réserves de la Banque centrale. » Autre tare qui décourage les investisseurs : le fonctionnement oligopolistique de l’économie. De grandes familles possèdent de grands groupes diversifiés que financent de grandes banques exclusivement à leur service Difficile de rentrer dans le sérail.
Grâce à l’exploitation de l’or noir, la croissance du PIB en 2006 tient les promesses du CMJD : + 13,9 %. C’est moins que les 17 % attendus, la production ayant été, pour des raisons techniques, nettement inférieure aux prévisions (voir page XX). La rigueur budgétaire est également de mise. Après une accélération fin 2005, l’inflation est contenue aux alentours de 10 % en 2006 et doit être ramenée à 6 % en 2007. Le déficit public est ramené à 4 % du PIB en 2006, contre 7 % en 2005.
Parallèlement à l’amélioration des indicateurs, les caisses de l’État se renflouent en 2006 : en mai, le règlement du contentieux qui opposait l’État à l’opérateur pétrolier Woodside donne lieu à un bonus de 100 millions de dollars ; en juillet, la vente d’une troisième licence mobile au mauritano-soudanais Chinguitel rapporte 103 millions de dollars. Dans le même temps, les charges sont allégées : en juin 2006, le FMI, la Banque africaine de développement (BAD) et la Banque mondiale annulent la dette du pays, soit une ardoise totale de 819 millions de dollars. Et les recettes fiscales augmentent de 15 % entre 2005 et 2006. Ainsi, en 2007, le budget de l’État est en hausse de 7,3 % par rapport à celui de l’année 2006. « La situation financière que je vais laisser à mes successeurs est excellente », se félicite le ministre des Finances.
Écho du FMI, qui a renoué avec le pays en 2005 : « Aujourd’hui, nous constatons un grand changement. De nouvelles données nous ont été communiquées dès octobre 2005 », assure Jean Le Dem.
Si les bases d’un fonctionnement sain de l’économie ont été jetées, les successeurs du CMJD devront construire l’édifice. Rares sont les Mauritaniens qui partagent l’enthousiasme du ministre des Finances. Baba vend des clémentines sur le marché Cinquième, un quartier populaire de Nouakchott. « Au départ, on pensait qu’il y allait avoir des changements sur le prix des aliments, il y a eu des promesses. Mais rien n’a changé », déplore le marchand en essuyant ses fruits. Manifestement, ce dernier n’a pas senti les effets des baisses des prix sur les produits alimentaires, qui ont pourtant eu lieu. D’après le rapport 2006 du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), 26 % de la population vit avec moins de 1 dollar par jour et 47 % ont accès à un point d’eau aménagé. Moins de la moitié des adultes savent lire. En réponse à l’immense question sociale, les salaires des fonctionnaires ont été multipliés par deux (un moyen, également, de limiter la tentation de la corruption). Avec leurs familles, soit 400 000 personnes, ils pourront également bénéficier de la nouvelle caisse nationale d’assurance-maladie.
« L’économie est fragile et exposée aux chocs exogènes », reconnaît le ministre des Finances. « Notre situation risque d’être précarisée si le prix du pétrole continue à baisser », prévient-il. Il ne faudrait pas que, comme l’aide étrangère, le fer puis la pêche, l’or noir devienne une nouvelle rente, ou une malédiction. L’enjeu est la diversification. C’est précisément le but du CPI.

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