Angela Merkel, sans tambour ni trompette
Arrivée aux affaires en novembre 2005, la chancelière n’a ni le charisme ni la prestance de son prédécesseur, mais elle affiche de bons résultats sur le plan national et séduit par sa franchise et son talent de médiatrice sur le plan international.
Madame la chancelière est de retour. En ce début d’année, elle occupe avec brio le devant de la scène internationale. Depuis le 1er janvier, en effet, Angela Merkel cumule la présidence de l’Union européenne (UE) et celle du G8, le groupe des huit pays les plus industrialisés. Ainsi auréolée d’une forte légitimité, elle a appelé, le 13 février, avec Tony Blair, le Premier ministre britannique, à un nouvel accord international pour limiter le réchauffement climatique à moins de 2 degrés. « C’est l’un des plus grands défis de l’humanité », proclame-t-elle à qui veut l’entendre.
Le 10 février, devant la Conférence sur la sécurité qui se tenait à Munich, elle avait plaidé – comme Vladimir Poutine (voir J.A. n° 2406) – pour le multilatéralisme. Au début de février, elle a effectué un voyage au Moyen-Orient, et pas seulement pour défendre les intérêts commerciaux de son pays, car elle veut relancer la « feuille de route » pour cette région où l’armée allemande participe à la Finul, la force de l’ONU au Liban.
En Europe, Merkel entend en finir avec l’atonie qui perdure depuis le référendum négatif de 2005 en France et aux Pays-Bas. Elle souhaite partir du texte constitutionnel adopté par dix-huit pays membres et veut convaincre les tenants d’un nouveau texte minimaliste, comme les Britanniques, ou d’un minitraité, comme Nicolas Sarkozy, de relancer la mécanique communautaire à l’occasion du cinquantième anniversaire du traité de Rome, qui sera célébré à Berlin, le 25 mars.
Elle parle haut et clair sur des sujets qui fâchent. Au président russe, elle a dit que l’interruption des livraisons pétrolières à la Biélorussie et, par rebond, à l’Europe tout entière avait créé, en janvier, une « crise de confiance » avec la Russie. Aux candidats de droite et de gauche à l’élection présidentielle française, elle demande de ne pas chercher à remettre en cause la Banque centrale européenne. Elle est sur tous les fronts : aux États-Unis, elle propose au président américain un accord de libre-échange transatlantique ; en République démocratique du Congo, elle envoie des troupes sécuriser les élections ; au nom de l’Europe, elle offre aux pays africains qui réformeront leur gouvernance et leurs institutions de les aider vigoureusement. Cet activisme s’explique par le prochain départ ou l’affaiblissement de ses homologues. Jacques Chirac et Tony Blair quitteront le pouvoir cette année ; George W. Bush et Vladimir Poutine ne devraient plus diriger leur pays dans deux ans ; la présidence du Conseil de l’Italien Romano Prodi est vacillante.
Merkel profite aussi des performances d’une économie allemande à nouveau en pleine forme, qui demeure championne du monde des exportations et recommence à tirer la croissance européenne. Mais cette priorité donnée à l’arène internationale tient aussi au fait qu’elle y est plus à l’aise et mieux reconnue que sur la scène politique allemande. En quinze mois de gouvernement, elle s’est imposée hors frontières, alors qu’elle vit un long chemin de croix en Allemagne, dont Hartmut Mehdorn, le président de la Deutsche Bahn, aime à dire : « Si l’on fait chez nous quelque chose, la moitié des Allemands y est opposée, et si l’on ne fait rien, l’autre moitié hurle » !
Pour comprendre la véritable schizophrénie politique du pays, reprenons le film des événements depuis le 22 novembre 2005, date à laquelle elle a été intronisée chancelière. À la fin de sa prestation de serment, la première femme à gouverner l’Allemagne avait ajouté : « que Dieu me vienne en aide ».
Merkel a gagné les élections législatives de septembre 2005, mais de justesse, alors que les sondages préélectoraux la donnaient gagnante haut la main. Cette déception, elle la doit d’abord au discours ultralibéral qu’elle avait adopté pour surenchérir sur le social-démocrate sortant, Gerhard Schröder, qui avait commencé à tailler dans les programmes de protection sociale et réformé l’Allemagne à la hussarde. Celui-ci n’était plus du tout populaire, mais en prenant les accents d’une Margaret Thatcher, la chef de file des démocrates-chrétiens de la CDU-CSU a effrayé les Allemands, attachés à leur système économique et social reposant sur le consensus et la cogestion.
Il faut dire aussi que cette physicienne de 51 ans, fille de pasteur, née en Allemagne de l’Est, n’a pas le charisme de son adversaire mégalo et autoritaire. Avec sa coupe de cheveux « au bol », ses yeux de chien battu et une silhouette de madame Tout-le-monde mal fagotée, elle n’a rien pour susciter l’enthousiasme des foules. Les électeurs ayant refusé de lui donner au Bundestag la majorité nécessaire pour mener à bien les réformes qu’elle souhaitait réaliser, Merkel a été contrainte de s’allier avec les sociaux-démocrates du SPD dans une « grande coalition ». De nombreux commentateurs ont moqué illico cette équipe hétéroclite, dont ils ont prédit qu’elle ne résisterait pas aux contradictions entre les deux partis qui la composent ou bien qu’elle déboucherait sur un immobilisme catastrophique. Autrement dit, avec la nouvelle chancelière, l’avenir de l’Allemagne sombrerait quelque part entre Charybde et Scylla !
Contrairement aux prédictions de ces grincheux, les premiers pas de la chancelière ont été plébiscités par ses compatriotes, qui apprécient sa discrétion sur sa vie privée et l’effacement de son mari, Joachim Sauer, un professeur de chimie qui adore tellement le festival de Bayreuth que la presse le surnomme « le fantôme de l’opéra ». Son peu de goût pour les caméras, son appartement petit-bourgeois et son sens du travail collectif sont portés à son crédit : on y voit des preuves de son sérieux et de son intégrité.
Au gouvernement, elle joue impeccablement le jeu de la grande coalition. Elle abandonne ses envies de remettre en cause le monopole syndical ou l’arrêt du nucléaire. Elle applique le programme signé entre le CDU-CSU et le SPD, acceptant, elle qui voulait une réduction drastique des impôts, que le taux d’imposition le plus élevé passe de 42 % à 45 % pour les revenus de plus de 250 000 euros. Tous les mercredis avant le Conseil des ministres, elle s’isole un quart d’heure avec Franz Müntefering, le vice-chancelier démocrate-chrétien, pour régler les dossiers en suspens. Elle fait profil bas et prône une politique des « petits pas ». Elle n’a pas oublié qu’elle avait été, en 1991, ministre de la Condition féminine d’Helmut Kohl et crée un congé parental de douze mois payé 67 % du salaire touché avec un plafond de 1 800 euros par mois.
Au niveau international, la « gamine », comme la surnommait Kohl, fait un tabac avec sa franchise et son talent de médiatrice. Elle débloque le processus budgétaire européen avec un art consommé du compromis. Sa première visite officielle à l’étranger est pour Paris, où elle dit à Jacques Chirac qu’elle ne peut pas accepter que l’UE approuve une baisse de la TVA pour les restaurateurs français, au moment où elle va demander une hausse de la TVA allemande de 16 % à 19 % pour réduire le déficit budgétaire. Exit la promesse de Chirac.
À Bush, ravi de recevoir une chaude partisane du pacte atlantique, elle lance que la prison de Guantánamo « ne peut ni ne doit exister à long terme ». À Poutine, qu’elle charme parce qu’elle s’adresse à lui en russe, elle dit le souci que lui cause la politique de Moscou en Tchétchénie. Au Premier ministre chinois Wen Jiabao, elle rappelle la nécessité du respect des droits de l’homme et lui refuse de lever l’embargo sur les armes. C’est dit poliment, mais fermement. On retrouve là le courage et l’impertinence calmes qui la poussaient, adolescente dans son lycée d’Allemagne communiste, à proposer de chanter l’Internationale, mais en anglais, comme projet culturel pour sa classe !
En janvier 2006, c’est l’état de grâce : les sondages donnent des taux de satisfaction oscillant entre 75 % et 80 %. Les Allemands trouvent Angela Merkel « sachlich », épithète qui veut dire grosso modo qu’elle est rationnelle, réservée, sérieuse et peu tentée par la polémique. Cela les change agréablement des « paillettes » et des outrances de son prédécesseur. Mais la lune de miel ne dure pas. Certes, le reste du monde continue à être sous le charme de la chancelière, au point qu’en août, le magazine Forbes la sacre « la femme la plus puissante du monde », devant la secrétaire d’État américaine Condoleezza Rice. En revanche, dans son pays, elle essuie frondes et grognes à répétition tout au long de 2006.
Les critiques qui lui sont adressées sont contradictoires. Il y a ceux qui trouvent qu’elle en fait trop et ceux qui jugent qu’elle n’en fait pas assez. Les premiers se recrutent dans son propre camp, notamment parmi les ministres-présidents CDU-CSU des Länder, comme Jürgen Rüttgers, de la Rhénanie du Nord-Westphalie, qui voudrait que la protection sociale soit conservée intacte, ou comme Günther Oettinger, du Bade-Wurtemberg, qui trouve quasiment sociale-démocrate et bien peu libérale une chancelière louant la cogestion dans les entreprises et demandant à celles-ci, quand elles sont très bénéficiaires, de verser à leurs salariés un intéressement sous forme d’actions. Les médiocres résultats électoraux de son parti aux élections locales alimentent les protestations, mais ne l’empêchent pas d’être réélue à la tête de la CDU avec 93 % des voix, le 27 novembre 2006.
Ceux qui jugent le parcours d’Angela Merkel « sans faute et sans décision » se recrutent chez les journalistes, les patrons et les économistes. Certes, ils applaudissent quand elle fait adopter une réforme du fédéralisme empêchant les Länder de bloquer les lois nationales, en échange d’un renforcement de leurs compétences. Mais ils citent la réforme du système de santé comme l’exemple des dérives et des atermoiements provoqués par la grande coalition et la recherche systématique du consensus.
Le 1er avril 2007 entrera en vigueur un nouveau système de couverture maladie, un compromis – « monstrueux », selon les cinq « sages » allemands qui auscultent régulièrement l’économie nationale – entre la position du SPD, qui refuse une hausse des cotisations des assurés, et celle de la CDU-CSU, qui rejette un financement des déficits par l’impôt. Un fonds spécial recueillera les cotisations patronales et salariales, qui seront augmentées de façon à couvrir le déficit de 8 milliards d’euros, mais l’assurance maladie des enfants sera assurée par l’impôt. L’opinion publique n’y comprend rien et les deux partis sont furieux d’avoir dû en rabattre. Fin 2006, 78 % des personnes interrogées estiment que le gouvernement de coalition est incapable de résoudre les problèmes du pays.
Les peuples sont versatiles et les Allemands changeront peut-être d’avis quand ils prendront conscience qu’en un an leur pays a réduit de 500 000 le nombre de ses chômeurs et qu’il connaît son plus beau taux de croissance depuis six ans, soit + 2,7 % en 2006, lui qui violait allègrement les critères de Maastricht.
Ils ne changeront pas pour autant la méthode pragmatique et terne de Merkel, qui estime « qu’il n’y a rien de pire que d’avoir décidé trop tôt pour constater que l’on aurait mieux fait de réfléchir davantage ». Elle demeurera sans tambour ni trompette, qu’on se le dise !
En attendant de se voir créditée par ses compatriotes, sinon par son parti, de réformes laborieusement acquises et d’une économie florissante, Merkel a donc choisi de se consacrer à la politique étrangère. Elle y est comme un poisson dans l’eau et ses propos trahissent son assurance sur les sujets internationaux. Exemples : « Nous devons dire clairement où sont les frontières de l’Europe, mais aussi dire à certains pays que leur participation n’est pas possible dans un temps prévisible », c’est-à-dire à la Turquie. Ou encore : « En aucune circonstance l’Iran ne doit être autorisé à posséder des armes nucléaires. »
Les applaudissements du reste de la planète persuaderont-ils les Allemands de reconduire « Angie » à la chancellerie ? Sera-t-elle débarrassée de la coalition avec les sociaux-démocrates ? Réponses aux élections de l’automne 2009.
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