Ahmed et Nebahat au gouvernement

Lui est d’origine marocaine, elle d’origine turque. Tous deux ont été promus secrétaires d’État. Portrait de ces immigrés qui ont fait du chemin.

Publié le 27 février 2007 Lecture : 3 minutes.

C’est une première, dont la portée symbolique n’a échappé à personne : le gouvernement des Pays-Bas comprend désormais deux secrétaires d’État d’origine étrangère. Les nouveaux venus, tous deux membres du parti socialiste PVDA, s’appellent Ahmed Aboutaleb, d’origine marocaine, et Nebahat Albayrak, d’origine turque.
Ahmed Aboutaleb est né le 29 août 1961 à Beni Sidel dans le Rif. Il décrit ainsi le village de son enfance : « Une vache, un âne, un puits et beaucoup de cailloux. » Dans les années 1960, son père émigre aux Pays-Bas en tant qu’imam de mosquée. En 1976, à l’âge de 15 ans, le jeune Ahmed, sa mère et ses frères rejoignent le pater familias dans le cadre du regroupement familial. Le jeune homme apprend rapidement le néerlandais (et le vélo), après quoi il se lance dans des études d’électrotechnique. En 1987, à 26 ans, il décroche un diplôme en télécommunications. Il fait cependant ses premières armes dans le journalisme. Il est reporter pour plusieurs stations de radio, parmi lesquelles RTL, avant de rejoindre le ministère de l’Enseignement comme porte-parole du ministre Hedy d’Ancona. En 1998, il devient directeur de Forum, un institut de promotion du multiculturalisme. En 2002, il est nommé wethouder (échevin) de la ville d’Amsterdam, chargé des affaires sociales. On ne sait pas grand-chose de sa vie privée, sinon qu’il est musulman pratiquant, que sa femme se prénomme Khaddouj et qu’il a interdit à son fils Nadir de jouer au football, un « sport d’asociaux », selon lui. Pour beaucoup de Marocains aux Pays-Bas, le football est le seul ascenseur social. Ceci explique peut-être cela
Dans la communauté marocaine, et plus généralement parmi le million de musulmans qui habitent aux Pays-Bas, Aboutaleb est un personnage controversé. Beaucoup admirent son opiniâtreté, sa capacité de travail et ils tirent fierté de sa réussite. D’autres l’accusent d’opportunisme. Les plus radicaux – ou les plus aigris – le traitent de « Bounty » : brun à l’extérieur, blanc à l’intérieur. En revanche, il est populaire parmi les Néerlandais, toutes tendances confondues, à cause de son parcours. Beaucoup de jeunes Marocains placés dans les mêmes conditions – milieu social modeste, immigration à l’adolescence, ignorance totale de la langue – finissent par verser dans la délinquance ou se contentent d’enchaîner les petits boulots.
Nebahat Albayrak est née le 10 avril 1968 à Sarkisla, en Turquie. Deux ans plus tard, elle arrive aux Pays-Bas avec sa famille. Après une bonne scolarité, elle fait des études de droit à la prestigieuse Université de Leyde, puis s’inscrit en 1993 à l’Institut d’études politiques de Paris. Elle entre au ministère des Affaires étrangères en 1995 puis au ministère de l’Intérieur, à la direction de l’intégration des minorités. En mai 1998, elle est élue à la Chambre des députés, où elle fait preuve de beaucoup de dynamisme dans les commissions les plus « lourdes » du Parlement : entre autres, celles de la Défense, de la Justice, des Affaires étrangères et de l’Intérieur Comme Aboutaleb, Albayrak est populaire dans tous les secteurs de la population, excepté l’extrême droite.
En effet, le seul couac dans l’affaire a été la réaction du parti populiste Partij voor de Vrijheid, qui dispose de neuf sièges (sur cent vingt) au Parlement. Le PVV a estimé qu’on ne pouvait pas être ministre aux Pays-Bas si on disposait de la double nationalité. Geert Wilders, son chef, n’a pas pris de gants pour commenter l’événement : « Le tsunami de l’islamisation vient donc d’atteindre le gouvernement lui-même. Pire encore : la présence d’Aboutaleb et d’Albayrak au Conseil des ministres signifie que les autorités marocaines et turques se sont infiltrées au cur du pouvoir néerlandais. Aboutaleb est marocain, donc sujet du roi du Maroc. Madame Albayrak relève, quant à elle, du président de la Turquie. »
Le PVV a même déposé le jeudi 15 février un projet de loi interdisant formellement cette situation. Devant la levée de boucliers générale, le projet a fini dans la poubelle avant même de faire l’objet d’un débat. Le fait est que les deux concernés ont conservé leur nationalité d’origine. Mais, a fait remarquer Aboutaleb, l’aurais-je voulu que je ne l’aurais pas pu : on ne peut pas renoncer à sa nationalité marocaine. C’est alors qu’il a placé sa botte secrète : devant les caméras de la télévision, il a promis solennellement de se faire enterrer, le jour venu aux Pays-Bas ! Du coup, personne n’a plus soulevé la question de la double nationalité. Avoir passé, gamin, quinze ans dans les montagnes ensoleillées du Rif et vouloir passer l’éternité dans la tourbe froide du sol de Hollande, le contraste est tellement frappant qu’il vaut toutes les protestations de loyauté…

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