[Tribune] Pour une fiscalité innovante et raisonnée
Les impôts sont de bonnes choses, s’ils financent des dépenses justifiées et s’ils sont justement et efficacement collectés, estime Jean-Michel Severino, le président d’Investisseurs & Partenaires (I&P).
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Jean-Michel Severino
Président d’Investisseurs & Partenaires (I&P)
Publié le 30 janvier 2019 Lecture : 5 minutes.
La réunion des ministres des Finances de la zone franc, à Paris, en octobre 2018, a été l’occasion de revenir sur cet inépuisable sujet. Les ministres ont en effet collectivement déploré (certes un peu poussés par le FMI et la France) le faible niveau des prélèvements obligatoires dans le PIB des pays africains, et évoqué les moyens de relever ce dernier.
Le constat est sans appel, mais partiel. Le débat est d’une importance considérable pour les entrepreneurs africains du secteur formel comme pour les gouvernements. Les prélèvements obligatoires représentent en effet en moyenne 19 % du PIB des pays africains. Nombre de pays, particulièrement les plus pauvres, sont nettement au-dessous de ce taux. C’est insuffisant pour financer les grands services publics, la santé, l’éducation, la sécurité, dans des pays qui connaissent une forte poussée démographique.
La conclusion apparaît simple : le niveau des prélèvements obligatoires doit remonter
Les conséquences sont une tendance structurelle à un endettement excessif, mise en lumière par des crises financières à répétition. La conclusion apparaît simple : le niveau des prélèvements obligatoires doit remonter.
>>> À LIRE – Banques africaines : sortie de crise en ordre dispersé
Économie largement non monétarisée et informelle
Il serait pourtant dangereux de s’arrêter à ce simple constat. Cette prescription pourrait conduire non pas à plus de prospérité, mais à causer la ruine des pays qui l’appliqueraient à la lettre. L’économie de la plupart des pays africains demeure largement non monétarisée et informelle.
L’impôt est pour sa part très largement assis sur l’économie formelle et monétaire, via l’imposition sur le commerce international, l’impôt sur les sociétés et la TVA. Rapportée à ce secteur, la fiscalité exerce une pression très élevée sur l’économie. Les taux nominaux concurrencent pleinement ceux des pays industrialisés, et les dépassent parfois. C’est du reste la raison pour laquelle tant d’exonérations fiscales sont attribuées. C’est aussi une des raisons pour lesquelles la corruption des services douaniers et fiscaux est si importante. Le secteur informel prospère aussi sur cette fiscalité élevée du secteur formel.
La question de la ressource fiscale ne doit pas non plus être déconnectée de la question de la dépense budgétaire. Ceux qui œuvrent à la formalisation de l’économie savent, par exemple, qu’il n’est pas si facile de convaincre les salariés, dans certains pays, d’être déclarés : pourquoi payer des cotisations sociales, qui grèveront le salaire brut, s’il y a tant d’incertitudes quant à la possibilité d’accéder, un jour, à une retraite, ou, dès à présent, à un centre de santé proposant des soins décents ?
Scénario perdant-perdant
C’est la même chose pour l’impôt : le doute qui prévaut chez de nombreux citoyens africains quant à la manière dont la dépense publique est gérée, la prévalence de la corruption dans les administrations, et la faiblesse concrète du service public, démotivent fortement la population à payer l’impôt.
S’il importe de rappeler tout cela, c’est que les entrepreneurs africains peuvent craindre que la recherche légitime d’un meilleur financement des services publics – dont ils ont tant besoin (et en tout premier lieu des infrastructures) – ne débouche sur des mesures hâtives de hausse des taux nominaux d’imposition, comme sur l’accélération de contrôles fiscaux harcelants, débouchant trop souvent sur une enveloppe de pot-de-vin. Cette stratégie, que l’on a vu se produire à de nombreuses reprises dans l’histoire des ajustements structurels, constitue un merveilleux exemple de scénario perdant-perdant : les finances publiques ne seront in fine nullement renflouées, et le tissu économique s’en trouvera affaibli. Le seul grand gagnant sera le secteur informel.
Payer son impôt au quotidien, centime par centime, via son téléphone mobile, sans harcèlement et sans douleur, et à niveau acceptable, doit devenir la réalité de la gestion fiscale
Une participation collective nécessaire
Éviter ce piège nécessite de l’intelligence, du travail collectif et un renouveau du pacte social dans de nombreux pays. Les voies sont claires sur le principe. Elles requièrent cependant un peu d’imagination et surtout une participation de tous : des impôts reposant sur des principes simples, peu coûteux à collecter, incluant le secteur informel et toute la population, avec des taux bas et peu d’exonérations.
La plupart des impôts proposés par les experts occidentaux familiers de la sophistication fiscale des pays de l’OCDE échappent à ces caractéristiques. C’est à la fois en plongeant dans la tradition fiscale européenne et en observant la réalité moderne de l’économie africaine que des instruments et des modes d’administration performants et avantageux seront trouvés.
>>> À LIRE – [Infographie] Recouvrement de l’impôt : où en sont les pays d’Afrique subsaharienne ?
L’innovation technologique, sur un continent où la téléphonie mobile a une présence universelle, doit aussi être convoquée : payer son impôt au quotidien, centime par centime, via son téléphone mobile, sans harcèlement et sans douleur, et à niveau acceptable au regard de ses revenus, doit devenir la réalité de la gestion fiscale.
Révolution fiscale
Les entrepreneurs africains peuvent jouer un rôle majeur dans cette révolution fiscale. Ils le peuvent en se regroupant, en se défendant contre la prédation de trop de systèmes dysfonctionnels qui leur sont appliqués, et en suggérant des solutions justes et efficaces. Ils le peuvent en imaginant des services, par exemple technologiques, dont pourraient s’emparer les administrations fiscales. D’ingénieuses start-up africaines commencent à proposer des solutions enthousiasmantes dans ce domaine.
Les gouvernements et les institutions internationales qui les conseillent, comme le FMI, devraient également consulter davantage ces start-up. Centrées sur leurs marchés nationaux ou régionaux, les PME africaines ne peuvent être par leur nature même des acteurs significatifs de la fraude fiscale.
En revanche, parce qu’ils sont les cibles naturelles du prélèvement fiscal et parfois du harcèlement des administrations – dans la mesure où ils produisent chaque jour une part plus grande de la richesse nationale –, les entrepreneurs africains du secteur formel peuvent et doivent être les agents actifs de la construction de la démocratie et de l’État de droit pour des sociétés plus justes et plus prospères, comme ils doivent être des interlocuteurs privilégiés des gouvernements soucieux tant d’efficacité économique que de justice sociale.
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