[Tribune] Elles courent, elles courent, les « fake news »

Grand mal de ces dernières années, l’épidémie de désinformation semble avoir trouvé un remède : le fact-checking, ou vérification des faits. La technique, déjà répandue dans le monde, notamment en Europe ou en Amérique du Nord, fait progressivement son incursion dans le paysage cybernétique africain.

Fake news © Damien Glez

Fake news © Damien Glez

L’avocate camerounaise Julie Owono, directrice exécutive de l’ONG Internet sans frontières. © Alexandre Gouzou pour JA
  • Julie Owono

    Directrice exécutive d’Internet sans frontières, chercheuse au Berkman Klein Center for Internet and Society de l’Université d’Harvard (États-Unis).

Publié le 29 janvier 2019 Lecture : 4 minutes.

Il est loin le temps où Africa Check était pratiquement la seule organisation à débusquer les fausses informations circulant en ligne. Aujourd’hui, les initiatives fleurissent : à la fin de 2018, Facebook annonçait ainsi un partenariat avec l’Agence France Presse (AFP) pour étendre son programme de fact-checking au Cameroun, comme il l’a déjà fait au Kenya ou au Sénégal.

De son côté, la BBC a organisé début janvier une grande conférence à Lagos sur la lutte contre les fake news au Nigeria et a notamment présenté les efforts qu’elle mettra en œuvre à l’approche des élections générales de février prochain.

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L’énergie investie par de si grands médias dans cette lutte en Afrique suggère que son efficacité a déjà été prouvée ailleurs. Ce n’est pas aussi simple : les initiatives de fact-checking sont essentielles, mais ne suffisent pas.

Sérum de vérité

Sur un continent où la publication des informations par les autorités et la reddition des comptes sont des denrées rares, la vérification des faits qui circulent en ligne apparaît comme un nécessaire sérum de vérité. Le monde a encore en tête cette vidéo, d’une extrême violence, dans laquelle des hommes en tenue militaire tirent à bout portant sur des femmes et des enfants en civil, dans ce qui a été décrit sur les réseaux sociaux comme le nord du Cameroun.

Les autorités de ce pays avaient immédiatement crié aux fake news. Avec beaucoup de pédagogie, une enquête, menée par les équipes d’investigation numérique de la BBC, a confirmé que les images montraient bien des éléments de l’armée camerounaise s’adonnant à une exécution arbitraire, ouvrant ainsi la porte à des poursuites judiciaires. Sans le travail de vérification des journalistes, le doute planerait encore sur ces images, alors que la rumeur attribuait déjà ces actes inhumains à des militaires maliens.

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Le fact-checking peut également être salutaire pour contrer les fausses informations qui ravivent ou renforcent le tribalisme, avec des conséquences potentiellement dramatiques. C’est l’objet d’une initiative d’Internet sans frontières, soutenue par un fonds du Dangerous Speech Project, qui lutte contre les discours dangereux en ligne : « No Bad Mop » (« pas de mauvaise bouche », en pidgin camerounais) permet à des professionnels des médias, journalistes ou blogueurs, d’identifier et de déconstruire des publications trompeuses, partagées massivement sur les réseaux sociaux, puis de les signaler aux plateformes.

Les intérêts croissants en Afrique de certaines puissances étrangères pourraient les convaincre de les sécuriser par tous les moyens, y compris numériques

Ces efforts sont utiles. Mais gardons à l’esprit que le continent n’est pas à l’abri de formes plus coordonnées de campagnes de désinformation. Les intérêts croissants en Afrique de certaines puissances étrangères pourraient les convaincre de les sécuriser par tous les moyens, y compris numériques.

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Éducation aux médias

Face à ces menaces, les institutions médiatiques ne doivent pas être seules à lutter, au risque de contourner certaines questions essentielles. Le premier fact-checker, c’est l’individu qui décide ou non de diffuser une information fausse. D’où l’urgence d’investir en Afrique dans l’éducation aux médias, pour les jeunes citoyens mais aussi pour des publics plus âgés. En effet, une étude récente concernant Facebook a démontré que, contrairement aux idées reçues, les seniors partagent plus facilement de fausses informations. Il faut donc enseigner à tous des techniques simples pour identifier la source d’une information et la fiabilité de celle-ci.

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Bien sûr, les plateformes de contenus ont elles aussi un rôle central à jouer dans ce domaine. Les efforts actuellement mis en œuvre pour lutter contre la désinformation, par exemple la suppression des faux comptes sur Twitter, ou encore le programme de fact-checking de Facebook, mis en place en partenariat avec les médias, doivent être poursuivis et renforcés. Dans les colonnes du quotidien britannique The Guardian, certains journalistes qui ont participé à l’initiative de la société de Mark Zuckerberg ont estimé que celle-ci devrait être plus transparente sur l’efficacité des efforts entrepris, pour ne pas laisser penser qu’il ne s’agit que d’une opération de relations publiques de sa part.

Les marchés africains sont différents des marchés européens ou nord-américains ; une fake news sur le continent peut engendrer de la violence

À titre personnel, je crois qu’il y a une certaine volonté de ces entreprises américaines de ne pas minimiser les dangers, car les enjeux pour elles sont colossaux, notamment au regard des actions qu’elles déploient pour être présentes en Afrique. Les marchés africains sont différents des marchés européens ou nord-américains ; une fake news sur le continent peut engendrer de la violence. C’est l’une des raisons qui expliquent la recommandation maintes fois faite à Facebook, mais aussi à Twitter, YouTube (Google), de renforcer leurs équipes de modération sur le continent et d’investir aussi dans un personnel familier de la culture, du contexte et des langues parlées en Afrique.

L’année 2018 était celle du constat, 2019 doit être celle des solutions contre le fléau de la désinformation en ligne. Les différentes échéances électorales qui attendent le continent plaident pour des actions coordonnées de la part des États, des médias, des entreprises, mais aussi des citoyens eux-mêmes, sur le court, le moyen et le long terme.

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