RDC : le « petit moment de faiblesse » de Félix Tshisekedi qui a fait frémir le pays
Un léger malaise a surpris Félix Tshisekedi, chef de l’État congolais fraîchement investi, en plein discours d’ouverture de son quinquennat, le 24 janvier. Que s’est-il passé ? Récit d’une passation de pouvoir inédite.
« Comme disait un célèbre homme politique de notre pays : “comprenez mon émotion”. » Félix Tshisekedi est de nouveau debout. Une dizaine de minutes plus tôt, dans la stupeur générale, le nouveau président congolais a dû interrompre son discours d’investiture après avoir balbutié quelques mots incompréhensibles. Que lui est-il donc arrivé ce jeudi 24 janvier, à 14 h 51 précisément ?
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L’incident intervient dans l’esplanade du Palais de la nation où se trouvent des bureaux du président de la RDC. Là où, la veille au soir, Félix Tshisekedi est venu faire des repérages. « Il était extrêmement ému lorsque le protocole d’État lui montrait par où il allait passer et comment la cérémonie allait se dérouler », nous confie un proche de Joseph Kabila, président sortant, présent mercredi sur les lieux. « Je crois qu’il se rendra bien compte de ce qui lui arrive lorsqu’il se retrouvera, après l’investiture, seul, dans son bureau et dans le costume de président de la République », ajoute-t-il quelques heures seulement avant le début de la cérémonie de passation de pouvoir entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi.
Gilet pare-balles serré, gorge nouée…
Ce dernier n’attendra pas de se retrouver seul dans son bureau, semble-t-il, pour comprendre qu’il est désormais le président de cet immense pays – 80 fois plus grand que la Belgique – au cœur de l’Afrique. Très vite, après avoir prêté serment et reçu des attributs du pouvoir des mains de son prédécesseur et de celles du président de la Cour constitutionnelle, il démarre son long discours en forme de programme. Mais immédiatement, tout observateur avisé remarque son gilet pare-balles en dessous de sa veste bleue qui le colle très fortement au corps. L’allocution se poursuit.
Tshisekedi s’interrompt. Il écoute le message des partisans et peut également souffler. Parce qu’il a commencé à perdre petit à petit sa voix…
Le Kényan Uhuru Kenyatta, seul chef de l’État présent, ainsi que d’autres invités de marque, l’écoutent attentivement de l’autre côté, sur la tribune d’honneur placée à plusieurs mètres en face de là où Félix Tshisekedi s’exprime. À ses côtés, assis, des juges de la Cour constitutionnelle ; derrière lui un garde du corps en tenue civile ou encore un assistant. Et un peu plus loin, des milliers de partisans vêtus en blanc – pour la plupart – lui lancent continuellement des encouragements et lui font aussi savoir, subtilement, leurs attentes : « Félix, kobosana te, papa alobaki : le peuple d’abord », scandent-ils en lingala au cœur du discours pour rappeler à leur leader qui vient d’être investi ce que disait son défunt père, l’opposant historique Étienne Tshisekedi : « Le peuple d’abord ».
Il essaie de reprendre le fil de son allocution mais la phrase qui s’échappe ressemble à du latin. Silence. Il transpire fiévreusement
« Ça ne va pas », avoue-t-il
Tshisekedi s’interrompt. Il écoute le message des partisans et peut également souffler. Parce qu’il a commencé à perdre petit à petit sa voix. L’assistant lui tend alors une petite bouteille d’eau pour se désaltérer.
Quelques minutes plus tard, une dame quitte la tribune d’honneur, traverse l’allée qui mène vers le lieu d’intronisation pour apporter une deuxième bouteille d’eau. La voix du chef de l’État devient de plus en plus inaudible. Il se perd un moment dans son texte. « Ça ne va pas », avoue-t-il à son assistant. Il essaie de reprendre le fil de son allocution mais la phrase qui s’échappe ressemble à du latin. Silence. Il transpire fiévreusement. Son assistant s’approche de nouveau. Sort un papier mouchoir et lui essuie le visage, avant de lui tenir discrètement le bras. Le chef de l’État fraîchement investi vient-il de connaître un malaise ? En tout cas, il lutte et résiste, debout.
Le président est assis sur une chaise. Une civière s’approche mais elle est vite repoussée
La transmission en direct sur la Radio-Télévision nationale congolaise (RTNC) est aussitôt interrompue. Des militaires, agents de sécurité et autres attachés de presse à la présidence s’agitent et exigent aux journalistes d’arrêter de filmer. Les proches de Félix Tshisekedi quittent eux calmement la tribune d’honneur pour le rejoindre. On voit défiler – entre autres – Vital Kamerhe, son allié et ancien président de l’Assemblée nationale, Jean-Marc Kabund, le secrétaire général de son parti, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), François Muamba, ancien ministre et bras droit, Jacquemin Shabani, ancien secrétaire général de l’UDPS qui a codirigé la centrale électorale de la coalition Cap pour le changement (Cach). Des pasteurs montent également sur la scène et commencent à prier, d’autres « parlent en langue ». Il y a aussi probablement un ou deux médecins urgentistes mais aussi quelques membres de sa famille. Tous regroupés autour de lui.
Le président est assis sur une chaise. Une civière s’approche mais elle est vite repoussée. Même le public réprime les secouristes qui ont osé apporter le dispositif. Pas question d’évacuer ainsi le chef de l’État.
Tshisekedi reprend son discours. Le soutien de la foule à son égard n’a pas faibli. Le revoilà debout. Il esquisse un sourire et fait le traditionnel signe de la victoire cher à l’UDPS
Le fruit d’une campagne éreintante
Choquée, une des filles du nouveau président quitte la scène en larmes. Le stress gagne alors les sympathisants présents. L’angoisse aussi. Certains menacent déjà en chœur : « Bokoboma biso nyoso ! » Traduction : si notre champion meurt, « vous allez tous nous tuer ». Le rapprochement entre le camp du président sortant et celui de son successeur battrait déjà de l’aile ? En tout cas, la tension monte d’un cran. De loin, Joseph Kabila se retourne pour essayer de s’enquérir de la situation. Puis des proches du président commencent à rejoindre leur place. « Tout va bien », nous assure alors Jacquemin Shabani, serein. Ce ne serait qu’un « étouffement à cause de son gilet pare-balles qui l’a trop serré », ajoute un autre membre de l’entourage de Félix Tshisekedi. Le président s’en est alors débarrassé et reprend son discours.
Maintenant que la force et l’énergie qui ont toujours été miennes sont revenues, nous pouvons continuer
Le soutien de la foule à son égard n’a pas faibli. Le revoilà debout. Il esquisse un sourire et fait le traditionnel signe de la victoire cher à l’UDPS. « J’ai connu un petit moment de faiblesse. Je m’en excuse auprès du président de la République [évoquant son prédécesseur, Joseph Kabila, ndlr] et de nos distingués invités », explique-t-il, justifiant également ce brusque malaise par l’harassante campagne électorale et les « émotions endurées » qui « ont eu raison de [sa] personne humaine ». « Maintenant que la force et l’énergie qui ont toujours été miennes sont revenues, nous pouvons continuer ».
Investiture inédite pour scrutin historique
Le discours reprend. Félix Tshisekedi tient à dérouler son programme. Son allié Vital Kamerhe remonte sur scène et vient veiller derrière lui. Le public est toujours là, acquis à sa cause, improvisant à plusieurs reprises des slogans et chansonnettes de soutien. Le discours étant bouclé comme il était prévu, le fils du Sphinx de Limite redescend et rejoint le président sortant et les autres hôtes sous les applaudissements nourris et des cris de joie (de soulagement). Visiblement, Félix Tshisekedi a repris sa forme. « Il a beaucoup travaillé ces deux derniers jours sur son discours », commente l’un de ses proches collaborateurs.
L’incident passé et ses forces revenues, le nouveau président, du haut de ses 55 ans, devra maintenant se jeter à l’eau pour tenter d’améliorer les conditions des Congolais. « Le peuple d’abord », comme sa « base » le lui a rappelé tout au long de cette première et émouvante cérémonie de passation de pouvoir entre un président élu sortant et son successeur élu. En près de soixante ans d’existence, la RDC n’avait jamais connu ce type de transfert légal du pouvoir.
On est passé par tous les états », reconnaît un participant
Au final, le « petit moment de faiblesse » du nouveau président n’aura fait qu’accentuer l’émotion autour de ce moment historique. « On est passé par tous les états, reconnaît un participant. Mais ce qu’on retiendra de cette journée, c’est bien le premier transfert civilisé du pouvoir dans mon pays ». Au réveil en effet, ce vendredi 25 janvier, Joseph Kabila, après plus de dix-sept ans de règne, n’est plus le président de la RDC. La nouvelle page s’écrira avec Félix Tshisekedi.
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