Une écriture à vif

Avec « Les Vierges de pierre », l’écrivain Yvonne Vera signe un roman charnel et cruel.

Publié le 27 janvier 2004 Lecture : 3 minutes.

Yvonne Vera n’écrit pas seulement avec des mots : ses chapitres contiennent des pierres et du sang, des fleurs et du vent. À presque 40 ans, la romancière zimbabwéenne signe, avec Les Vierges de pierre, un roman rude et charnel où le terme « lapidaire » prend toute sa signification. Les phrases sont des volées de cailloux jetés à la figure du lecteur qui vit dans sa chair l’histoire cruelle de deux inséparables soeurs.
Nous sommes à Kezi, petit village de Rhodésie du Sud (futur Zimbabwe) abrité par les collines de Gulati et relié chaque jour à Bulawayo par un autocar chargé de victuailles. « La route de Bulawayo à Kezi mène pour finir au magasin Thandabantu, avant que le car reprenne le chemin de la ville » : c’est dans ce magasin où la ville a rendez-vous que la belle Thenjiwe rencontre l’amour en la personne de Cephas. Un homme qui « aime chacun de ses os, depuis son poignet jusqu’à sa cheville, le sang qui circule sous sa peau ». Mais l’Histoire, celle avec un grand H, celle qui fait fi des histoires d’amour, vient transformer la bluette en cauchemar. Le cessez-le-feu qui suit l’indépendance ne dure pas, la guerre civile s’étend avec son cortège d’atrocités. L’armée régulière et les rebelles du Matabeleland s’affrontent en un combat fratricide. « La guerre commence. Le couvre-feu est imposé. L’état d’urgence. Aucun déplacement n’est autorisé. Le cessez-le-feu cesse. Cela débute dans les rues, l’ensevelissement de la mémoire. Les os qui se lèvent. », écrit Yvonne Vera. Le magasin Thandabantu est détruit, son propriétaire brûlé vif. Sous les yeux de sa soeur Nonceba, Thenjiwe est décapitée par un homme qui ne sait même plus pourquoi il tue, « un prédateur, avec tous les instincts aigus de l’anéantissement ». Longtemps, allongée sur un lit d’hôpital, Nonceba se demandera ce que le tueur a utilisé « pour trancher la tête de Thenjiwe, de façon si invisible, si rapide. » Même si elle a aussi connu le froid de la lame : son visage tailladé se repose sous une gaze imbibée de pommade.
Depuis ses débuts littéraires (Why Don’t You Carve Other Animals), Yvonne Vera ne cesse d’écrire sur des sujets controversés, l’avortement, l’inceste, ou encore la guerre civile qui suivit l’indépendance du Zimbabwe, où la femme africaine occupe une place primordiale. Née le 19 septembre 1964 à Bulawayo – dont elle dirige aujourd’hui la National Gallery -, elle a bénéficié très jeune de l’amour de ses parents pour les livres. À l’école primaire de Luveve, ses camarades l’avaient déjà surnommée « l’écrivain », et elle composait des poèmes pour sa mère quand celle-ci était malade. Diplômée de l’Université de York, à Toronto, elle a publié ses premiers romans au début des années 1990. Nehanda (1993) et Without a Name (1994) ont tous deux été sélectionnés pour le prix du Commonwealth (région Afrique), avant qu’elle obtienne enfin cette prestigieuse récompense pour Under the Tongue.
À l’inverse de nombreux auteurs qui préfèrent les conditions souvent plus faciles de l’exil, Yvonne Vera a fait le choix de rentrer au pays. Et d’y publier ses livres. En sachant très bien que pour son éditeur zimbabwéen, Baobab Books, un best-seller culmine à neuf cents exemplaires. Peu importe : Yvonne Vera ne veut pas « être interprétée, mais être entendue ». Et elle ne manquera pas de l’être : exigeant et cru, parfois difficile, Les Vierges de pierre dégage une sensualité puissante qui fascine quand la romancière évoque le bonheur ou le désir, mais qui terrifie quand elle nous raconte la violence et la mort.

Les Vierges de pierre, d’Yvonne Vera, Fayard, 236 pp., 17 euros.

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