Sur un discours de George W. Bush

Publié le 26 janvier 2004 Lecture : 4 minutes.

Quelle que soit l’opinion que nous avons de l’actuel président des États-Unis d’Amérique, nous devons être attentifs à ce qu’il dit et fait, car le pouvoir qu’il détient est planétaire et les moyens dont il dispose sont terrifiants. Dans son discours du 20 janvier sur l’état de l’Union, il s’est lui-même plu à rappeler que les promesses qu’il peut faire et les menaces qu’il lui arrive de proférer sont en général suivies d’effet.
Pour être en mesure de vous en parler avec le minimum de risque de me tromper (et de vous induire en erreur), je me suis obligé à écouter ce discours, puis l’ai lu dans son intégralité.
La première moitié du discours, la plus virulente et la plus applaudie, celle qui a visiblement demandé le plus de travail à ses rédacteurs, est consacrée à « la guerre mondiale contre le terrorisme » et à l’Irak ; la seconde, aux problèmes intérieurs des États-Unis.

Je vous présente – et commente – ci-dessous seulement la première partie.
1. « Vingt-huit mois de guerre au cours desquels, a précisé Bush, il n’y a pas eu d’attaque du territoire américain, mais à Bali, Djakarta, Casablanca, Riyad, Mombasa, Jérusalem (sic), Istanbul et Bagdad… Les terroristes continuent à menacer l’Amérique et le monde civilisé (resic)… Nous protégeons l’Amérique ! »
Traduisez : nous avons porté la guerre chez eux, les non-civilisés, et sommes devenus presque invulnérables grâce aux mesures que j’ai fait prendre.
2. Réécrivant l’Histoire, le président américain a cru pouvoir affirmer : « Les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Australie, la Pologne et d’autres pays – dans cette partie du discours, il ne daigne citer ni l’Espagne, ni l’Italie, ni le Japon – ont donné force de loi aux demandes des Nations unies (sic). » Et, posant comme un postulat que l’ONU et son secrétaire général ne pourront que s’exécuter, il ajoute : « Nous travaillons avec les Irakiens – et les Nations unies – pour préparer la transition vers une pleine souveraineté irakienne en juin prochain. »

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3. Plus surprenant encore : le « bon exemple » donné par la Libye et la sagesse du colonel Kadhafi sont appelés à la rescousse par l’un des successeurs de Ronald Reagan, l’homme qui avait fait bombarder Tripoli en 1986 : « Notre leadership et notre détermination ont conduit le chef de la Libye à s’engager volontairement (sic) à reconnaître et à démanteler ses programmes d’armes de destruction massive, y compris l’enrichissement d’uranium pour fabriquer des engins nucléaires.
Le colonel Kadhafi a estimé à juste titre que son pays se porterait mieux et serait plus en sécurité sans ces armes meurtrières. […]
Désormais, personne n’ose douter du poids des mots de l’Amérique ! »
4. Aux critiques formulées aux États-Unis et ailleurs sur sa méthode, George W. Bush répond de la manière sommaire et simplificatrice qu’on lui connaît. Il souligne que cette méthode est la bonne puisqu’elle réussit :
– « Les terroristes nous ont déclaré la guerre et nous la leur faisons, sans limite : tant pis pour eux » (et pour la casse).
– « Certains ne voulaient pas que nous libérions l’Irak. Nous l’avons libéré. »
– « On souhaitait que notre action soit internationale : elle l’est ! Que ceux qui nous critiquent aillent expliquer à la Grande-Bretagne, à l’Australie, au Japon, à la Corée du Sud, aux Philippines, à la Thaïlande, à l’Italie, à l’Espagne, à la Pologne, au Danemark, à la Hongrie, à la Bulgarie, à l’Ukraine, à la Roumanie, aux Pays-Bas, à la Norvège, au Salvador et à dix-sept autres pays que l’Amérique n’a pas cherché ni trouvé de contributions et de partenaires internationaux. »
Cette fois, Bush cite (presque) tous ceux que son administration a persuadés de se joindre aux États-Unis. Mais vous pouvez observer que la longue liste de « pays partenaires » n’inclut aucun pays arabe ou musulman et que trois des cinq membres permanents du Conseil de sécurité (Russie, France, Chine), ainsi que l’Allemagne, en sont exclus.

Aux applaudissements de son auditoire (les deux Chambres du Congrès américain et, au-delà d’elles, les électeurs), George W. Bush claironne : « Il y a toutefois une différence entre diriger une coalition de beaucoup de pays et s’incliner devant les objections de quelques-uns ; l’Amérique ne demandera jamais la permission [à qui que ce soit] de défendre sa sécurité. »
« L’Amérique est une nation qui a une mission. Par notre action, nous avons montré quelle nation nous sommes… Nous sommes une nation forte et déterminée. Notre cause est juste, c’est celle de l’humanité tout entière… »

Dans ce troisième « discours sur l’état de l’Union » de son premier mandat, déjà en campagne pour se faire réélire en novembre prochain pour quatre années de plus, George W. Bush persiste et signe des deux mains. Inlassablement répété, son discours se ramène à ces assertions : l’Amérique est en guerre ; elle est toute-puissante, fait ce qu’elle veut comme elle veut. Elle s’adjoint qui accepte de s’embrigader sous sa bannière, rejette qui lui déplaît ou n’est pas d’accord avec elle, écrabouille qui s’oppose à elle ou seulement lui résiste.
Tout ce qu’elle a fait sous ma présidence, et en particulier depuis vingt-huit mois, est bien et a été bien fait. Les critiques que certains nous adressent sont négligeables et malvenues…
L’auteur de ce discours veut conduire ses auditeurs et lecteurs à cette conclusion : les Américains et le reste du monde n’ont qu’à continuer avec lui et les hommes qui l’ont choisi, car ils défendent la civilisation.

Le langage ci-dessus, que j’ai transcrit fidèlement, et l’état d’esprit qu’il dénote me rappellent ceux d’autres hommes de pouvoir qui prétendaient, eux aussi, jusqu’en 1990, défendre la civilisation : John Vorster et Pieter Botha, derniers hérauts de l’apartheid sud-africain.
En 2004, il n’y a plus, dans notre vaste monde, en dehors de George W. Bush et des néoconservateurs qui l’encadrent, qu’un seul détenteur du pouvoir à oser se comporter vis-à-vis de ses voisins et du reste de l’humanité d’une manière aussi brutale et passéiste : il s’appelle Ariel Sharon.

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