Sortir de la zone de turbulences

L’année 2004 permettra-t-elle aux compagnies aériennes du continent de rebondir ?

Publié le 26 janvier 2004 Lecture : 6 minutes.

Soumises à de nombreuses turbulences depuis 2000, les compagnies africaines ont toujours du mal à satisfaire leur clientèle. Certes, toute l’industrie mondiale du transport aérien est frappée de sinistrose, et les grandes firmes internationales estiment avoir perdu 15 milliards de dollars (11,9 milliards d’euros) au cours des trois dernières années. Mais, en Afrique, la crise de confiance est telle que le secteur continue de stagner : en 2003, les pavillons africains ont transporté 33 millions de passagers, soit moins de 2,5 % du trafic mondial et à peine autant qu’au cours de l’exercice précédent. Un niveau bien décevant pour un continent qui compte 53 pays et plus de 800 millions d’habitants.
Dans le même temps, les majors du secteur qui viennent en Afrique – Air France, KLM, British Airways, Swiss, Iberia, Lufthansa et SN Brussels Airlines – ont transporté plus de 72 millions de passagers, se taillant la part du lion en termes de clientèle dite « à haut rendement » : les hommes d’affaires et les touristes nantis. Pour leur part, les quarante-cinq membres de l’Afraa (Association des compagnies aériennes africaines) n’ont pu capter qu’un tiers du marché. Ils doivent donc envisager des stratégies d’expansion, de meilleures couvertures de l’espace intra-africain et le développement des réseaux de dessertes.
L’an dernier, South African Airways (SAA) est resté le numéro un des pavillons africains avec un chiffre d’affaires d’un peu plus de 1,1 milliard de dollars et 6 millions de passagers transportés. SAA, à l’image de l’Afrique du Sud et de son économie, est largement au-dessus du lot. Qu’il s’agisse de pouvoir d’achat ou de potentiel de marché, d’autant que son rayonnement englobe toute l’Afrique australe. En outre, le mastodonte dispose de l’une des flottes les plus modernes d’Afrique – environ 100 appareils en incluant les filiales, sans compter une quarantaine d’Airbus de dernière génération en cours de livraison -, et d’un marché intérieur très dynamique où elle est en situation de quasi-monopole.
De leur côté, les Mauriciens continuent de faire étalage de leur savoir-faire de gestionnaires et jouent à plein la carte de l’ouverture vers l’Asie. Air Mauritius transporte chaque année presque autant de passagers que l’île compte d’habitants (1,2 million) ! À titre de comparaison, c’est comme si la future compagnie nigériane, que d’aucuns appellent de leurs voeux depuis la déroute de Nigeria Airways, transportait 120 millions de personnes en une année…
Viennent ensuite les compagnies du Nord – Egyptair, Royal Air Maroc, Tunisair et Air Algérie – qui réalisent un tir groupé, mais n’ont transporté à elles quatre que 14 millions de passagers. Il y a enfin l’est du continent, qui sort du lot grâce à deux compagnies parmi les mieux gérées dans le monde : Ethiopian Airlines, LE modèle africain et la seule véritable success story depuis plus de trente ans ; et Kenya Airways, qui brille de mille feux depuis son mariage réussi avec la néerlandaise KLM.
Ailleurs, c’est plutôt la morosité qui règne. Symbole du cauchemar aérien africain, Nigeria Airways comptait encore il y a vingt-ans 32 jets quasiment neufs : la compagnie est aujourd’hui en faillite ! En Afrique centrale, Air Gabon et Camair, qui ont accumulé les déboires et les mauvais résultats, en sont à leur énième plan de relance. Nul ne sait si elles livrent là leur dernière bataille, mais force est de constater que leur clientèle les a désertées, sans doute lassée de retards importants et systématiques et d’un service incroyablement dégradé. Dans cette région, comme du reste en Afrique de l’Ouest, les passagers ne se sont toujours pas remis de la faillite d’Air Afrique, en février 2002, après deux ans de lente agonie. Et dans les deux grandes zones francophones du continent, la fin d’Air Afrique – « un symbole vivant de l’intégration africaine » comme on peut encore le lire aujourd’hui sur l’un des ponts de l’autoroute de Dakar… – a donné libre cours à une anarchie incroyable. Affairistes en panne de projets, ex-cadres ou ex-pilotes de la multinationale panafricaine au chômage se sont parfois donné la main pour créer des compagnies qui n’ont vécu que quelques semaines, sans parler de celles qui n’ont jamais pris leur envol. Un énorme gâchis dont continuent à pâtir les Tchadiens, les Nigériens, les Centrafricains, les Maliens, les Béninois, les Togolais et les Congolais.
Ces dysfonctionnements, bien que n’étant pas nouveaux, induisent une défiance durable à l’égard de tout ce qui peut, de près ou de loin, ressembler à un pavillon africain. Or les difficultés du transport aérien constituent une double entrave : au développement soutenu des économies africaines, qui tentent de se faire une place dans la mondialisation, ainsi qu’aux nombreux projets d’intégration régionale initiés aux quatre coins du continent et qui demeurent la voie royale pour sortir de l’ornière. Pris globalement, en termes de marché, les pays africains offrent pourtant des occasions idéales à tout opérateur de premier rang qui serait prêt à s’y investir. D’autant que, contrairement à une idée largement répandue, l’Afrique n’est plus le continent le moins bien loti en matière de sécurité aérienne.
À preuve : la belle aventure d’Air Sénégal International (ASI). Lancé en 2001, alors que le président Abdou Diouf était aux commandes, le joint-venture maroco-sénégalais – lire pages 52-54 – a accompli jusque-là un parcours sans faute. L’an dernier, ASI a réussi la prouesse de transporter plus de 350 000 passagers et de dégager ses premiers bénéfices. La compagnie contrôle désormais la moitié du marché Sénégal-France et n’entend pas s’arrêter en si bon chemin. Elle continue donc de donner des sueurs froides à Air France : la cellule de veille économique du transporteur français l’a inscrite parmi la vingtaine de compagnies à surveiller en permanence. Beaucoup, ailleurs sur le continent, seraient inspirés de suivre l’exemple d’Air Sénégal International, ce type de rapprochement entre États étant sûrement le plus sur chemin vers la rentabilité.
Le modèle low cost (transport à tarif réduit), qui est déjà pratiqué en Afrique du Sud par la compagnie Kulula, est envisageable au Maroc, en Égypte et au Nigeria. Il n’est toutefois pas viable dans la plupart des autres pays du continent, car, pour pouvoir exister, il doit être adossé à un marché important. Le gain est limité et résulte pour l’essentiel du volume réalisé. Ce qui a de fortes chances de demeurer un voeu pieux. Autant de problèmes qui confirment l’intérêt de suivre avec attention la stratégie que met en oeuvre l’Afraa. Le lobby des transporteurs africains donne en effet désormais la priorité aux projets de partenariat ou d’alliances stratégiques, comme aime à le rappeler son secrétaire général, le Togolais Christian Folly-Kossi, qui connaît son sujet sur le bout des doigts pour avoir travaillé pendant vingt-deux ans à la direction générale d’Air Afrique. Il faut dire que les résultats encourageants d’Air Burkina ou d’Air Sénégal International offrent peut-être tous les ingrédients pour définir les modèles africains. Une combinaison entre petites compagnies locales pour desservir le réseau intérieur et alimenter des hubs (carrefours d’échanges au niveau des liaisons aériennes) régionaux d’où partiraient les vols moyen-courriers ou long-courriers proposés par des compagnies de taille moyenne. Un tel choix (il n’y en a pas d’autre) permettrait de mettre en service des avions gros-porteurs (A-300-600, B-767 ou B-747, ou leurs successeurs), les seuls à même d’offrir des tarifs abordables tout en assurant la rentabilité de l’activité.
Mais, là aussi, il faut au préalable que des accords politiques soient conclus entre les pays concernés pour que les droits de trafic soient mis dans le pot commun et pour que l’on se préserve, au moins au début, de la féroce concurrence que se livrent les pavillons étrangers. Car rien ne sert de se battre pour sauver une compagnie nationale si ni les coefficients de remplissage ni la rentabilité ne sont au rendez-vous.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires