Réchauffement au sommet

Les deux frères ennemis s’apprêtent à ouvrir des négociations pour régler pacifiquement leurs différends. Y compris la question épineuse du Cachemire.

Publié le 26 janvier 2004 Lecture : 3 minutes.

La poignée de main échangée en ce début d’année par le Premier ministre indien Atal Behari Vajpayee et le président pakistanais Pervez Musharraf le confirme : entre les deux frères ennemis du sous-continent, l’heure est à la détente. Les deux dirigeants, qui refusaient de s’adresser la parole depuis l’échec du sommet d’Agra en juillet 2001, ont finalement brisé la glace.
Le tête-à-tête tant attendu a eu lieu en marge du sommet de l’Association d’Asie du Sud pour la coopération régionale (Saarc), qui s’est tenu à Islamabad du 4 au 6 janvier. Officiellement, il s’agissait d’une visite de courtoisie. Mais les deux hommes, qui se sont rencontrés pendant plus d’une heure, sont parvenus à s’accorder sur la reprise des négociations. Dès le lendemain, à l’issue d’un entretien téléphonique, une déclaration commune est rendue publique. Un moment historique, quand on sait qu’il y a moins de deux ans les deux puissances nucléaires avaient fait trembler la planète en menaçant de s’affronter militairement au Cachemire.
La reprise d’un « dialogue global » pourrait marquer le début d’une nouvelle ère dans l’histoire du sous-continent. Les deux rivaux se sont engagés à ouvrir, dès le mois de février, des pourparlers destinés à régler pacifiquement l’ensemble de leurs différends. Y compris la question épineuse du Cachemire, qui empoisonne les relations indo-pakistanaises depuis la partition de l’Empire britannique des Indes en 1947. Ce territoire himalayen a déjà fait l’objet de deux guerres – en 1948 et 1967. Sans compter les affrontements sporadiques entre les armées indienne et pakistanaise sur la ligne de contrôle qui coupe la région disputée. La guérilla, qui sévit depuis 1989 au Cachemire indien, fait régulièrement monter la tension le long de la frontière. Au printemps 2002, un million de soldats s’étaient ainsi retrouvés face à face, n’attendant plus qu’un ordre pour s’affronter.
Accusé par New Delhi de soutenir les « terroristes » implantés au Cachemire, Islamabad avait jusqu’à présent toujours nié. Et toutes les tentatives de réchauffement des relations avaient échoué. Mais, cette fois, le Pakistan a accepté de revenir sur ses positions. Sous la pression américaine, Musharraf a reconnu explicitement la présence de ces groupes et s’est engagé à les combattre. Ce que l’Inde réclamait à cor et à cri depuis plus d’une décennie. Ce revirement place le président pakistanais dans une position délicate. Son alignement sur la politique américaine provoque la colère grandissante de la majeure partie de la population, farouchement opposée à cette collaboration avec le « Grand Satan ». Les islamistes, très introduits dans l’armée et les services secrets, ont tenté par deux fois de l’assassiner en décembre 2003. De leur côté, les Américains poussent Musharraf à en finir avec l’islamisme radical. La moitié de l’aide versée par les États-Unis est d’ailleurs désormais conditionnée à une obligation de résultats dans ce domaine. Difficile, dans ce contexte, de repousser la main tendue de l’Inde.
Fin diplomate et poète à ses heures, Vajpayee tire parfaitement son épingle du jeu. Alliée de la première heure dans la guerre contre le terrorisme, l’Inde ne cesse de se rapprocher des États-Unis. Dernier signe de cette nouvelle idylle : l’annonce d’une collaboration stratégique de longue durée.
Fort de cet appui, Vajpayee s’est placé sur un terrain où personne ne l’attendait. Qui aurait cru il y a cinq ans que ce leader issu de la droite hindouiste nationaliste prendrait l’initiative d’un rapprochement avec le Pakistan ? Avec comme interlocuteur un général ayant gagné ses galons durant les guerres indo-pakistanaises. Un duo inattendu qui ne cache pas son intention d’inscrire son nom dans l’histoire.
À ce désir de gloire s’ajoutent les intérêts économiques. L’État pakistanais consacre actuellement plus d’un tiers de son budget aux dépenses militaires. Des ressources dont Islamabad aurait cruellement besoin pour se sortir du marasme économique dans lequel le pays est plongé. De son côté, l’Inde, qui s’est engagée avec succès sur la voie du libéralisme économique, compte bien poursuivre son chemin sur la voie de la croissance. Et attirer les investisseurs étrangers, qui hésitent pour l’instant à s’engager dans une région sur laquelle plane la menace d’un conflit nucléaire. Le poète et le général ont donc décidé de s’asseoir à la même table pour tenter de stabiliser le sous-continent. Pour réussir, Vajpayee et Musharraf devront parvenir à contrôler leurs extrémistes respectifs et trouver un compromis qui n’humilie aucune des deux parties. Une gageure !

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires