Quand les Asiatiques accumulent les réserves de change

Publié le 26 janvier 2004 Lecture : 5 minutes.

Les accumulations de capitaux en Asie sont-elles sources de déséquilibres mondiaux ? La question est posée ouvertement par le Fonds monétaire international (FMI). On peut d’ailleurs noter que la politique des pays asiatiques d’accumulation de réserves en devises est devenue un sujet de friction avec les États-Unis, pays largement endetté à leur égard.
D’après une récente étude du FMI, les réserves internationales de change ont considérablement augmenté au cours de la dernière décennie. Elles ont pratiquement doublé, passant de 4,1 % de la production mondiale en 1990 à 7,8 % en 2002. En 1970, les pays industrialisés en étaient les seuls détenteurs : elles étaient inférieures à 250 milliards de dollars. On estime qu’en 2002 les pays asiatiques détenaient environ 40 % des réserves mondiales. Ils ont bénéficié de plus de 80 % de leur progression cette année-là.
Arrêtons-nous donc un instant sur la répartition des réserves mondiales de change à la fin de 2002 : 2 500 milliards de dollars, dont 500 milliards de dollars pour le Japon, 500 milliards pour la Chine et 500 pour les autres pays émergents de l’Asie du Sud et du Sud-Est. Soit un total de 1 500 milliards de dollars ou 60 % du total mondial, une proportion très supérieure à l’importance des pays concernés dans l’économie et le commerce mondiaux.
Certes, le taux particulièrement élevé de l’épargne des particuliers en Asie explique en partie cette accumulation. Mais son importance a été amplifiée par la politique des banques centrales asiatiques désireuses de gonfler leur matelas de devises étrangères pour maintenir des taux de change favorables aux exportations. Certaines études chiffrent de 10 % à 20 % cette sous-évaluation des monnaies asiatiques par rapport au dollar des États-Unis, premier importateur mondial de produits d’Asie. Les excédents commerciaux dégagés de ce fait ont été, jusqu’à présent, considérés comme nécessaires au dynamisme économique des pays concernés. En réinvestissant massivement leurs excédents aux États-Unis (notamment en bons du Trésor), ils assuraient la solvabilité des États-Unis en leur permettant de financer aisément leur déficit commercial. Mais la spirale de l’accumulation est aujourd’hui telle qu’elle inquiète les argentiers américains. Cela explique les récentes démarches du président George W. Bush cherchant à convaincre ses partenaires commerciaux asiatiques de réévaluer leur monnaie, l’objectif étant de freiner leur dynamisme commercial et de limiter les excédents de leur balance des paiements. Examinons la situation cas par cas :

Le Japon
Longtemps symbole du dynamisme économique de l’Asie, le Japon a bénéficié d’excédents commerciaux qui, ajoutés à une considérable épargne privée, se sont traduits par une accumulation de richesse financière sans précédent.
Au moment où semble s’amorcer un certain dégel du contexte politique et économique intérieur, le pays redoute les effets négatifs d’une appréciation du yen sur les exportations nippones. Cela explique que son gouvernement soit peu réceptif aux suggestions américaines.

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La Chine
Contrairement au Japon, la Chine a connu ces dernières années une rapide expansion de son économie : près de 8 % en rythme annuel, soit plus d’un doublement en dix ans. L’épidémie de SRAS (Severe Acute Respiratory Syndrome) n’a que temporairement ralenti une progression alimentée par un fort mouvement d’investissements (le pays est devenu le premier bénéficiaire mondial d’investissements directs étrangers) et par une rapide expansion du crédit, notamment à la consommation. Les observateurs s’accordent à penser qu’il est urgent pour la Chine d’ajuster ses structures pour pérenniser un dynamisme qui pourrait être remis en question. « Ce boom est-il en danger ? » titrait l’hebdomadaire américain Business Week le 3 novembre 2003, ajoutant qu’il était peut-être trop tard pour éviter un crash, mais qu’il était temps de mettre en place des contrôles qui tempèrent le boom. Parmi les priorités fréquemment citées figure la purge d’un système bancaire noyé sous le flot des créances irrécouvrables. La réévaluation du yuan est nécessaire, selon des experts, pour arrêter l’accumulation de réserves de change à hauteur de quelque 100 milliards de dollars par an. « Ce surplus considérable crée l’illusion que la Chine est riche et stable, et contribue à attirer davantage d’argent dans l’espoir que le yuan sera prochainement réévalué, écrit Business Week.
Cependant, la majeure partie de ces excédents est investie en obligations gouvernementales américaines, ce qui aide à financer le déficit des États-Unis, à maintenir à un niveau bas leurs taux d’intérêt, mais est de peu d’intérêt pour le peuple chinois. Une partie devrait plutôt être utilisée au financement du développement rural, ce qui serait une contrepartie à l’explosion non maîtrisée des villes et, avec le temps, aiderait à stabiliser la situation du pays… »

L’Inde
Ce pays, le deuxième du monde par sa population, d’environ un milliard d’habitants, fait relativement peu parler de lui. En termes réels, son économie a beaucoup progressé. De 5,4 % par an en moyenne entre 1985 et 1994 et de 5,8 % depuis 1995. L’inflation, proche de 10 % l’an au début des années 1950, est tombée à environ 4 %.
En dépit de ces progrès, l’expansion demeure inférieure à l’objectif de croissance annuelle de 8 % que s’est fixé le gouvernement en vue de réduire la pauvreté et les disparités régionales. Le niveau du déficit budgétaire et celui de la dette publique demeurent excessifs, mais la mise en oeuvre des réformes nécessaires pour y remédier s’accomplit très lentement. Cela n’a pas empêché de fortes entrées de capitaux portant à un niveau record les réserves de change. Elles représentent environ douze mois d’importations (contre onze mois pour la Chine).
Quelles que soient leurs motivations, tous les pays d’Asie suivent en fait la même politique : maintenir la sous-évaluation de leur monnaie (de 10 % à 20 %) et accumuler des devises, essentiellement des dollars.
Plutôt que de faciliter leur croissance économique en développant la consommation intérieure, les gouvernements asiatiques continuent à prêter de l’argent à l’étranger, particulièrement aux États-Unis, pour faciliter le financement de leurs exportations vers ce pays.
Celui-ci s’est longtemps accommodé de cet état de choses. Le déplacement de secteurs entiers de son industrie manufacturière, accompagné de pertes d’emplois correspondants, a fini par alarmer ses dirigeants.
Si la globalisation de l’économie mondiale a eu des effets positifs en permettant l’essor économique de l’Asie, aujourd’hui il y a un risque de perversion d’un système excellent en lui-même. Pour ces pays asiatiques, la priorité devrait être donnée au développement de leur économie en vue d’en faire bénéficier des couches sociales nouvelles. Ce serait la meilleure façon d’élargir et de solidifier les progrès qu’ils ont accomplis. Il importe également qu’ils apprécient la nécessité d’équilibrer leurs ventes aux pays les plus développés en augmentant les importations de leurs produits.
Les États-Unis, de leur côté, ne peuvent indéfiniment compter sur les capitaux étrangers, particulièrement asiatiques, pour combler l’insuffisance de leur épargne et financer une consommation qui excède leurs ressources propres. Leur problème n’est pas nouveau. Aucune des administrations qui se sont succédées au cours des récentes décennies ne s’y est intéressée sérieusement.
Le ralentissement souhaitable des mouvements de capitaux dans leur direction qui résulterait d’une évolution des politiques asiatiques aura-t-il lieu ? S’il intervient, il imposera sans doute un rééquilibrage de la politique économique des États-Unis, qui devront rétablir une certaine priorité de l’épargne par rapport à une consommation depuis trop longtemps excessive. Sur le long terme, cela serait de leur intérêt.

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