« Nettoyage ethnique », et alors ?

Selon l’historien Benny Morris, Ben Gourion aurait dû expulser tous les Palestiniens en 1948.

Publié le 26 janvier 2004 Lecture : 3 minutes.

Les volte-face sont rarement faciles à assumer et produisent parfois d’étranges résultats. Ainsi de celle où s’égare l’ex-« nouvel historien » israélien Benny Morris, à qui l’on doit la meilleure étude sur l’exode des populations palestiniennes lors de la guerre de 1948. Sous le titre La Naissance du problème des réfugiés palestiniens (The
Birth of the Palestinian Refugee Problem 1947-1949), publié en 1988, il y démontrait de manière irréfutable que contrairement à la thèse israélienne officielle cet exode n’avait pas été provoqué par des ordres ou la propagande des États arabes, mais par les
manuvres d’intimidation et les actions de terreur conduites par les forces juives.
Confirmant un tournant amorcé depuis plusieurs mois, il ne revient pas sur cette analyse, il la complète même par de nouveaux documents sur les massacres de Palestiniens, mais il tente de justifier, sur un mode forcené, cette politique de « nettoyage ethnique »,
regrettant même qu’elle n’ait pas été proclamée officiellement par David Ben Gourion.
Interviewé par Avi Shavit pour Ha’aretz, à l’occasion d’une prochaine édition, révisée, de son livre, il commence en effet par une révélation : des archives de Tsahal, nouvellement disponibles, montrent que les exactions commises par ses unités eurent beaucoup plus d’ampleur qu’il ne le pensait il y a quinze ans : « En avril-mai 1948, les unités de la Haganah [l’armée juive de l’époque] ont reçu l’ordre précis d’expulser les villageois [palestiniens] et de détruire leurs maisons. » D’où vingt-quatre massacres commis par les Israéliens, « dont la moitié dans le cadre de l’opération Hiram [en Galilée]. Divers officiers ont apparemment compris que les expulsions auxquelles il leur
était ordonné de procéder les autorisaient à commettre des exécutions arbitraires.
Personne n’a été sanctionné et Ben Gourion a couvert les auteurs. »
« Le 31 octobre 1948, précise encore Benny Morris, après une visite de Ben Gourion au QG de Nazareth, le commandant du front nord, Moshe Carmel, ordonnait par écrit d’accélérer le départ de la population arabe. De même, en juillet 1948, Itzhak Rabin signait l’ordre
d’expulsion des habitants de la ville de Lod, après une visite de Ben Gourion. »
Suivies des massacres signalés plus haut, ces expulsions ne suscitent pourtant chez Benny Morris qu’une émotion calculée. Certes, convient-il, « les viols et les massacres ne souffrent aucune justification. Ce sont des crimes de guerre. » Mais il ajoute du même
souffle, avec une « excuse » dont on appréciera l’originalité : « Dans certaines
circonstances, une expulsion n’est pas un crime de guerre. On ne fait pas d’omelette sans casser des ufs et il faut parfois se salir les mains. » Les mains, en l’occurrence, sont d’abord celles de Ben Gourion : lequel, selon l’auteur, « a commis une erreur historique
» en s’abstenant de « nettoyer » le pays dans son entier. Et comme on lui fait remarquer qu’il s’agit quand même « de l’assassinat de milliers de personnes et de la destruction d’une société entière », il répond : « Une société qui a l’intention de vous tuer vous oblige à la détruire. L’alternative est : détruire ou être détruit. En 1948, l’alternative était : l’épuration ethnique ou le génocide, l’anéantissement de notre peuple. Un État juif ne pouvait naître sans le déracinement de 700 000 Palestiniens. »
Serait-il donc, aujourd’hui, partisan du « transfert » prôné par l’extrême droite israélienne ? Étrange réponse où ressurgissent des préoccupations ignorées jusqu’alors : « Aujourd’hui, non. Ce ne serait ni moral ni réaliste. L’humanité ne nous le permettrait pas, le monde arabe non plus et cela détruirait la société juive de l’intérieur. »
Mais cet accès de lucidité, voire d’éthique, n’est que le prélude à une conception apocalyptique d’un « choc des civilisations ».
« Nous affrontons ici quelque chose de profondément ancré dans les cultures arabe et islamique où la vie humaine n’a pas le même poids et où la liberté, la démocratie, l’ouverture et la créativité sont perçues comme des valeurs étrangères. [] Les valeurs du
monde arabe sont aujourd’hui celles de Barbares. [] L’Empire romain a laissé les Barbares s’installer en son sein et s’est effondré de l’intérieur. Comme les Croisés, nous, Israéliens, sommes une branche vulnérable de l’Europe dans cette région. »
Et de conclure par l’ultime pirouette de la justification : « Nous avons beau opprimer les Palestiniens, nous restons la victime en puissance. » Vous aviez dit « nouvel historien » ?

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