Moins de 10 milliards d’humains dans trois cents ans

Un rapport de l’ONU revoit à la baisse les prévisions d’accroissement de la population planétaire après une chute rapide de la natalité au Sud.

Publié le 27 janvier 2004 Lecture : 5 minutes.

Supposons qu’en matière de population mondiale les paramètres restent ceux qui prévalent en ce début du XXIe siècle. Avec, en moyenne, 65 ans d’espérance de vie et un taux de fécondité de 2,68 enfants par femme. Avec de telles prévisions, nous annoncent les démographes de l’ONU dans une étude qu’ils ont rendue publique le 9 décembre 2003, la Terre serait peuplée au milieu du prochain siècle, en 2150, de 244 milliards d’individus ! Et en 2300, elle abriterait … 134 000 milliards d’individus dont près de 90 % seraient alors des Africains.
L’énormité effrayante de ces chiffres résulte d’une simple prolongation des courbes actuelles. Et pourtant, ils sont rassurants, car ils démontrent que, grâce à la baisse de la natalité partout dans le monde, la situation s’améliore. Le même calcul, réalisé par les mêmes démographes de l’ONU au début des années 1990, donnait un « score » presque trois fois supérieur : 700 milliards d’individus, dont plus de 600 milliards de Noirs africains, en 2150 !
Mais, dans les deux cas, la prolongation des courbes actuelles tient de la fantaisie. Effectivement, la planète vit encore ce que les scientifiques appellent une « phase de transition démographique », bientôt achevée, et qui nous promet un avenir moins apocalyptique.
Depuis près de deux siècles en Occident, et depuis quelques décennies partout ailleurs, nous sommes entrés dans une phase où, grâce aux progrès de l’hygiène et de la médecine, la mortalité s’est effondrée. Ce qui a conduit, avec une natalité restant à peu près équivalente, à une augmentation exponentielle de la population mondiale, passée d’un peu plus de 1 milliard d’humains au milieu du XIXe siècle à 2,5 milliards cent ans plus tard, 5 milliards en 1987 et un peu plus de 6 milliards aujourd’hui. S’il a donc fallu cent ans, entre 1850 et 1950, pour que la population mondiale double, il a suffi de moins de quarante années pour assister au doublement suivant.
Mais après cet effondrement de la mortalité, on a progressivement enregistré, avec la conjonction de facteurs socio-économiques et des progrès de la contraception, une baisse tout aussi spectaculaire de la natalité. À tel point que certains pays occidentaux ont même déjà enregistré une petite baisse de leur population. Et que tous les pays du monde, avec plus ou moins de rapidité, tendent aujourd’hui vers une baisse du taux de natalité, qui se stabiliserait à terme autour d’un peu plus de 2 enfants par femme, seuil du maintien des effectifs de chaque nation.
L’explosion démographique exponentielle qu’on a pu craindre dans le passé – c’était la thèse de Malthus – n’aura donc pas lieu. Il ne s’agit que d’un « effet d’optique » qui disparaîtra lorsque les pays en développement, et en particulier les pays africains, auront, comme les pays occidentaux, terminé leur transition pour passer de l’ancien modèle démographique – forte mortalité, forte natalité – au modèle contemporain – faible mortalité, faible natalité.
Une fois écartées les prévisions catastrophistes comme celles évoquées plus haut, il n’en reste pas moins que, sur la longue durée, un petit écart dans la fertilité des femmes suffirait à conduire à des scénarios très différents. Ainsi, alors qu’il faut une moyenne de 2,05 à 2,1 enfants par femme pour maintenir une population constante, un taux de fertilité à peine supérieur, de 2,35 enfants par femme, porterait à 23 milliards la population sur Terre d’ici à 2300, alors qu’un taux de 1,85 réduirait le nombre d’humains à cette date à 2,3 milliards. Une fourchette qui va de 1 à 10. Dans leur étude, les experts de l’ONU ont néanmoins dégagé un « scénario médian » fondé sur l’hypothèse que, dans toutes les régions du monde, selon leur rythme, la transition démographique aille à son terme. Que nous apprend ce scénario ?
Alors que nous tendons, à l’orée de 2004, vers les 6,3 milliards d’habitants sur la Terre, le rythme d’augmentation de la population va vraisemblablement vite se tasser. Par conséquent, malgré l’élévation de l’espérance de vie dans tous les pays, la planète n’atteindra pas le chiffre de 10 milliards d’humains à l’horizon de 2050, comme on le prévoyait il y a moins de dix ans, alors qu’on n’envisageait pas une baisse de natalité si rapide dans les régions du Sud. Les experts estiment que le « pic » de population sur le globe sera atteint en 2075 avec 9,2 milliards d’hommes, avant de régresser jusqu’à 8,3 milliards en 2175 puis de remonter et de se stabiliser autour de 9 milliards, en 2300. Comme les pays du Sud, et surtout d’Afrique noire, ont entamé leur transition démographique beaucoup plus tard que les autres régions du monde, ils seront les principaux acteurs de l’accroissement dans les prochaines décennies. Dès la fin du XXIe siècle, un humain sur quatre sera africain : 2,25 milliards d’individus – près de trois fois plus qu’en 2000 – habiteront alors sur le continent, tandis que la population mondiale sera de 9 milliards. Cette proportion resterait la même pendant les siècles suivants (2,11 milliards d’Africains en 2300 sur 8,97 milliards d’humains), assure l’ONU.
Si les Asiatiques resteront les plus nombreux sur Terre (5 milliards au total en 2100, 4,9 milliards en 2300, contre 3,68 milliards en 2000), leur poids relatif reculera légèrement, de même que celui des Latino-Américains (733 millions en 2100, 723 millions en 2300, contre 720 millions en 2000). En revanche, les grands perdants de l’évolution à venir seront les Européens, en recul à la fois en termes relatifs et absolus : 538 millions en 2100 et 611 millions en 2300, contre 728 millions en 2000. L’Amérique du Nord, pour sa part, maintiendra à peu près son rang : 474 millions d’individus en 2100 et 534 millions en 2300, contre 316 millions en 2000.
Au niveau des pays, on aura assisté dès avant 2050 au dépassement définitif de la Chine (1,275 milliards d’habitants en 2000, 1,395 milliards en 2050, 1,285 milliards en 2300) par l’Inde (1,017 milliards en 2000, 1,531 milliards en 2050, 1,372 milliards en 2300). Une situation consécutive au développement économique plus rapide de la Chine, qui a accéléré sa « transition », et surtout à la politique de « l’enfant unique » décidée par Pékin en 1972. Le troisième pays le plus important de la planète restera en revanche le même, à savoir les États-Unis : 285 millions d’habitants en 2000, 409 millions en 2050, 493 millions en 2300. Le Nigeria restera le pays le plus peuplé d’Afrique (et passera du 10e rang mondial avec 115 millions d’habitants en 2000, au 6e rang en 2050 avec 258 millions d’individus recensés, puis au 5e rang en 2300 avec une population de 283 millions d’hommes), suivi de loin en 2300 par l’Éthiopie (207 millions), la République démocratique du Congo (183 millions), l’Ouganda (155 millions) et l’Égypte (125 millions). Au Maghreb, l’Algérie et le Maroc continueront à faire jeu égal (45 millions d’habitants en 2300, contre environ 30 millions aujourd’hui) et à maintenir l’écart, bien sûr, avec la Tunisie (9,5 millions d’habitants en 2000, près de 12 millions en 2300).
Bien entendu, il faut prendre avec précaution les prévisions au-delà de 2050, seul horizon vraiment fiable à partir des données actuelles. L’exercice auquel viennent de se livrer les démographes de l’ONU pour 2300 n’est cependant pas totalement gratuit, et ce pour deux raisons. D’abord parce qu’il indique quelle sera la population du monde si les tendances actuelles se prolongent. Ensuite parce que nous allons vers la fin de la transition démographique au niveau mondial, normalement point de départ d’une période de stabilité propice aux hypothèses à long terme.
Cependant, ces hypothèses pourront toujours être faussées par des événements impondérables, comme une nouvelle épidémie incontrôlable, une guerre mondiale, un changement du comportement reproductif des humains… Et cela, les statisticiens ne peuvent guère l’anticiper.

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