Meurtre sans mobile apparent

Publié le 26 janvier 2004 Lecture : 2 minutes.

Justice a été rendue. Du moins à première vue. À son arrivée au palais de justice d’Abidjan, le 20 janvier, le sergent de police ivoirien Théodore Dago Séri croyait peut-être que le climat d’impunité actuel et l’activisme de son comité de soutien lui garantiraient l’acquittement, comme pour les huit gendarmes accusés du massacre de Yopougon, le 26 octobre 2000. Mais, dès les premières heures du procès, le sourire de l’accusé s’est figé, et son système de défense s’est effondré. « Vous prétendez que ce n’est pas vous qui avez tiré sur Jean Hélène. Dans ce cas, pourquoi n’avez-vous pas craint d’être visé à votre tour ? Pourquoi êtes-vous rentré tranquillement au siège de la police ? » lui a demandé, incisif, le président du tribunal militaire, Ahmed Coulibaly. « Je suis un soldat. Je ne dois pas courir », a bredouillé le policier d’une voix tremblante.

À la barre, les déclarations des experts et des témoins ont été accablantes. Le coup de feu qui a défoncé le crâne de Jean Hélène a été tiré à une distance de 20 à 40 cm. La balle mortelle provenait du kalachnikov du policier. Celui-ci avait beau répéter : « Non, je n’ai pas tiré sur quelqu’un », ses coups d’oeil vers ses avocats étaient de plus en plus inquiets, et ses partisans eux-mêmes commençaient à douter. Le procureur militaire, Roger Koffi, a donc requis quinze ans. Et le 22 janvier, les jurés – deux policiers et deux militaires – ont condamné le sergent Séri à dix-sept ans de prison ferme. Paradoxe : ils sont allés au-delà des réquisitions, mais ont accordé les circonstances atténuantes. Sans doute ont-ils été sensibles à l’un des arguments de la défense : l’anarchie dans la police. À l’énoncé du verdict, le condamné a crié trois fois : « Je suis innocent ! » Puis la salle d’audience s’est vidée sans bruit. Apparemment, justice a donc été rendue.
Mais ce procès a-t-il permis de connaître les mobiles du crime ? Non. Impossible de demander à un accusé les raisons de son geste s’il clame son innocence ! En niant tout en bloc, le policier et ses avocats ont obligé la cour à se consacrer à l’établissement des faits pour confondre Séri. Ils ont réussi à escamoter le débat de fond. Qu’a-t-on appris sur l’environnement politique du sergent ? Rien. Certes, les parties civiles ont dénoncé la presse haineuse et xénophobe qui a armé le bras du tueur. Mais dans son réquisitoire, le procureur a privilégié la thèse du policier instable et mal encadré : « Il y a des brebis galeuses dans nos rangs. » On ne saura donc probablement jamais si le meurtrier a été mis en condition ou pas.

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Qu’a-t-on appris sur l’itinéraire et les relations du meurtrier ? Rien qu’on ne sache déjà. Membre de l’ethnie bété, comme le chef de l’État Laurent Gbagbo, Théodore Dago Séri a été recruté en 2001 par le ministre de l’Intérieur Émile Boga Doudou, puis affecté en 2002 à la Brigade spéciale de protection des personnalités. Quelles personnalités ? On aurait bien aimé en savoir plus…
Après ce procès, Laurent Gbagbo peut souffler. Pas une seule fois le pouvoir ivoirien n’a été mis en cause. Mais Reporters sans frontières rappelle où sont les vraies responsabilités : « Dans les médias extrémistes, et chez les responsables politiques qui n’ont jamais tenté d’apaiser cette situation. »

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