L’intégration, cahin-caha

Denis Sassou Nguesso cède la place à Omar Bongo Ondimba à la présidence de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac). Avec un bilan en demi-teinte.

Publié le 27 janvier 2004 Lecture : 6 minutes.

Le 29 janvier, le Gabonais Omar Bongo Ondimba doit succéder au Congolais Denis Sassou Nguesso à la présidence de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac). L’occasion de faire le bilan du chantier de l’intégration dans la sous-région.
Dans une zone où les disparités économiques sont très marquées, c’est certainement en matière monétaire que la cohésion reste pour le moment le plus forte, grâce au franc CFA et à une Banque centrale commune aujourd’hui trentenaire. Pour protéger la stabilité de sa monnaie, la Cemac s’est fixé des critères de convergence, même si tous ses membres ont du mal à les respecter. Ces critères de surveillance multilatérale sont au nombre de quatre : solde budgétaire positif ou nul, taux d’inflation annuel maximal de 3 %, taux d’endettement public (intérieur et extérieur) inférieur à 70 % du PIB, et non-accumulation d’arriérés intérieurs et extérieurs.
Selon les prévisions pour 2003, seuls le Cameroun et le Gabon remplissent toutes ces conditions. La Guinée équatoriale et le Tchad n’en respectent que trois, le Congo deux, et la Centrafrique aucune. Il faut dire que le putsch du 15 mars 2003 a Bangui a profondément désorganisé l’économie, déjà exsangue, de ce dernier pays. Certes, on peut s’inquiéter du manque de discipline budgétaire de certains États, notamment du Congo, dont le niveau d’endettement constitue une source de préoccupation sérieuse. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, sur les six pays de la Cemac, seuls deux – le Tchad et le Cameroun – sont « sous accord » avec le FMI. Il convient toutefois de souligner que les objectifs de convergence sont globalement mieux respectés aujourd’hui qu’il y a trois ans.
Dans cette zone, dont cinq membres sur six sont désormais producteurs de pétrole, les dossiers monétaires, gérés en étroite collaboration avec le Trésor français, ne posent pas de soucis majeurs. En revanche, tous les chantiers de la Communauté sont loin d’en être au même stade d’avancement.
Ainsi de la libre circulation des personnes et des biens. Un passeport Cemac a été institué, mais sa création n’a pas fait disparaître tous les obstacles : les tracasseries administratives subsistent, par exemple, entre le Cameroun et la Guinée équatoriale. « Nombre de dirigeants craignent de perdre une partie de leurs pouvoirs en déléguant certaines de leurs prérogatives à une communauté d’intérêts », explique un diplomate. C’est la raison pour laquelle ils retardent l’adoption de certains textes juridiques, comme ceux sur la coopération judiciaire et l’extradition, mais aussi le Pacte de non-agression, qui interdit aux États signataires toute agression contre un membre de la Communauté et leur fait obligation d’apporter aide et assistance à tout autre membre qui se trouverait menacé.
Si l’adoption des décisions à caractère politique est souvent laborieuse, les projets d’intégration économique, eux, progressent à des rythmes différents. Outre les cotisations de ses membres, la Cemac bénéficie du soutien financier de l’Union européenne. Dans le cadre de son Programme indicatif régional (financé par le IXe Fonds de développement européen, FED), le secrétariat exécutif dispose d’une enveloppe de 55 millions d’euros (35 milliards de F CFA) qu’il répartit entre les infrastructures routières (70 %), l’appui à l’intégration économique régionale (20 %), la prévention et la gestion des conflits (10 %).
Concernant les travaux routiers, les résultats sont tangibles : dix ans après l’adoption du schéma d’aménagement routier de l’Afrique centrale (6 600 km de bitume), la moitié du réseau est opérationnelle. Les axes Douala-Bangui et Douala-Libreville sont réalisés à plus de 75 %. Les prochaines livraisons sont prévues d’ici à 2005. La première concerne le tronçon, long de 393 km, entre Ngaoundéré, au Cameroun, et Moundou, au sud du Tchad. Le chantier est financé à hauteur de 132 millions d’euros par le FED. Plus au Sud, la construction en cours de deux ponts enjambant le fleuve Ntem permettra d’assurer une liaison entre Yaoundé, Bata et Libreville.
Les projets d’appui à l’intégration économique régionale sont plus difficiles à mettre en oeuvre. La création de la Bourse des valeurs mobilières de l’Afrique centrale (BVMAC), lancée le 27 juin 2003 à Libreville, en est l’illustration. Cette institution a pour mission d’appuyer la capitalisation des entreprises et le développement de l’investissement de portefeuille dans les pays de la Cemac. Or, avant même d’être opérationnelle, elle doit déjà faire face à la concurrence du Douala Stock Exchange (DSX), la Bourse des valeurs nationale camerounaise, Yaoundé ayantpréféré faire cavalier seul sur ce dossier.
Autre exemple, le projet de compagnie de transport aérien communautaire. Provisoirement baptisé « Air Cemac », il a pour objectif de désenclaver la zone. Reste à trouver les investisseurs privés susceptibles d’acquérir 82 % du capital de la future compagnie. Qui est prêt à mettre sur la table les 15 milliards de F CFA (23 millions d’euros) nécessaires au décollage d’Air Cemac ? Et que deviendront Air Gabon et Cameroon Airlines (Camair), les deux pavillons nationaux en activité dans la sous-région ?
En 2003, c’est surtout sur le terrain diplomatique que la Cemac a fait parler d’elle. Avec plus ou moins de succès. Ainsi, le Gabon et la Guinée équatoriale ne sont pas parvenus à se mettre d’accord à propos de la souveraineté de l’îlot de Mbagne, un minuscule bout de terre situé à la limite des eaux territoriales des deux pays, dans une zone réputée riche en hydrocarbures. Mbagne est actuellement sous souveraineté gabonaise, mais Malabo dénonce une « occupation illégale ». Bongo Ondimba et Teodoro Obiang Nguema ont évoqué ce contentieux avec Kofi Annan à Maputo, en juillet 2003, en marge du sommet de l’Union africaine. Et accepté de se soumettre à la médiation d’Yves Fortier, un avocat canadien nommé, pour l’occasion, représentant spécial du secrétaire général de l’ONU.
Autre dossier en attente : la crise centrafricaine. Sassou Nguesso, président en exercice de la Cemac, et Bongo Ondimba, en tant que médiateur désigné par ses pairs, s’y sont personnellement impliqués. En décembre 2002, les États membres avaient déployé 380 soldats à Bangui en vue de la pacification du pays. Soutenue par la France, cette initiative visait notamment à contenir les ambitions subsahariennes de Mouammar Kadhafi, le Guide de la Jamahiriya libyenne, qui avait tenté d’imposer sa propre force de maintien de la paix sous le couvert de la Communauté des États sahélo-sahariens (Comessa).
Si la solidarité entre États membres est inscrite dans les textes, elle demeure souvent très formelle. En revanche, elle peut s’exprimer de manière inattendue. Après avoir laissé tomber Ange-Félix Patassé, les chefs d’État de la Cemac ont ainsi soutenu avec une surprenante vigueur son successeur, le général François Bozizé, dès son arrivée au pouvoir. Réunis à Libreville le 23 janvier 2003, ils avaient pourtant célébré au champagne la énième réconciliation entre le Tchadien Idriss Déby et son « frère » centrafricain.
Cela n’a pas empêché, le 15 mars suivant, les troupes tchadiennes de pénétrer dans Bangui pour soutenir le putsch de Bozizé. Dès le 19 mars, Jean Ping et Rodolphe Adada, les ministres des Affaires étrangères gabonais et congolais, se sont rendus à Bangui pour rencontrer le nouveau chef de l’État. Le 2 juin, celui-ci a été accueilli au sommet de Libreville par ses ses pairs de la Cemac, qui reconnaissaient ainsi de facto la légitimité de son régime. Mieux, la Cemac a accepté de verser 5 milliards de F CFA au nouveau régime et de maintenir sur place une force militaire chargée de sécuriser le pays.
À l’heure où l’Union européenne, l’Union africaine et la majorité des bailleurs de fonds condamnent presque mécaniquement les régimes issus d’un putsch et leur refusent tout soutien financier, la Cemac a ouvert une brèche. Certains jugent que cette entorse était nécessaire. D’autres redoutent qu’elle ne constitue un encouragement adressé à tout les putschistes potentiels.

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