Blé Goudé: « Je cherche à faire pression sur la France et les rebelles »

Charles Blé Goudé, chef des « jeunes patriotes », est déjà en campagne contre les réformes prévues par les accords de Marcoussis.

Publié le 27 janvier 2004 Lecture : 10 minutes.

Charles Blé Goudé, Guillaume Soro – comment parler de l’un sans évoquer l’autre ? Deux anciens dirigeants de la Fesci (Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire) des années 1990. Deux des acteurs les plus turbulents de la crise ivoirienne. Soro et Blé Goudé, l’ex-secrétaire général du mouvement étudiant et son successeur à la tête de celui-ci, deux adversaires dans la confrontation entre les Forces nouvelles (ex-rébellion) que dirige le premier, et le régime de Laurent Gbagbo que défend le second. « Deux condisciples du département d’anglais [de l’université d’Abidjan], deux compagnons de route, deux camarades qui ont souvent partagé la même chambre, les mêmes pratiques de la violence », écrit la revue Politique africaine. Avant de se demander si « la violence de la rébellion et celle du nationalisme xénophobe ne seraient pas les deux faces d’une même médaille : l’irruption en politique d’une jeunesse rebelle formée dans les rangs militants de la Fesci, qui ne veut plus être sous la coupe des aînés ».
Une certitude : si le décor a changé, les protagonistes restent les mêmes. L’un et l’autre veulent leur place au soleil. Et sont rejoints par d’autres, leurs acolytes d’hier, dont Soumaïla Doumbia dit « Doumbia Major », porte-parole du sergent-chef Ibrahim Coulibaly alias « IB », qui conteste le leadership de Soro sur les Forces nouvelles, et Eugène Djué, qui a repris du service dans l’Alliance des jeunes patriotes et se fait appeler « maréchal », quand le premier de cordée, Blé Goudé, se laisse donner du « général ». Lequel n’en a cure. Ses états de service, qu’il est accusé de monnayer au plus offrant, parlent pour lui.
À la veille et au cours du congrès de décembre 1998 qui le hissa au sommet de la Fesci, il a montré son sens de l’organisation, son entregent, mais aussi son habileté à manier la machette pour convaincre ceux de ses camarades les plus réticents à le voir élu. Du moins en est-il accusé par ceux qui ont vu en lui le responsable du dérapage du mouvement étudiant dans la violence. Et qui rappellent, non sans délectation, l’épisode de la tricherie dont il fut l’auteur. Reconnu coupable d’avoir obtenu une note à une composition à laquelle il n’a pas pris part, sa licence d’anglais a été invalidée par le conseil de l’université, qui sanctionna également le professeur complice. Mais là où d’autres auraient fait profil bas, lui, à la faveur de l’éclatement le 19 septembre 2002 de l’insurrection armée, a mis entre parenthèses ses études à Manchester pour courir (toujours) après le « ministère de la rue ». Avec une égale gourmandise, le même sens de la mobilisation et du slogan qui fait mouche.
À 32 ans – certains lui en donnent davantage -, Charles Blé Goudé s’est taillé une réputation de bretteur, de bateleur redouté dans le paysage politique ivoirien. Une posture largement controversée et stigmatisée, aussi. Il se présente en avocat de la légitimité républicaine et en pourfendeur de tous ceux qu’il soupçonne de chercher à fragiliser le président Laurent Gbagbo, dont il se défend d’être le jouet. Ses cibles : le Premier ministre Seydou Elimane Diarra, le chef de file du Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Ouattara, son ancien camarade de la Fesci Guillaume Soro. Sans oublier la France et les accords de Marcoussis… De passage à Paris, première étape d’une « tournée européenne en faveur de la réconciliation ivoirienne », le « général » à la casquette de base-ball noire avec la visière sur la nuque, s’explique. Entretien.

Jeune Afrique/L’intelligent : Vous êtes décrit comme un antifrançais. N’avez-vous pas eu de problème pour obtenir un visa d’entrée en France ?
Charles Blé Goudé : Je n’en ai jamais eu, même pendant les heures les plus chaudes de la crise. Pas même du temps de l’ambassadeur Renaud Vignal, qui était sorti de son rôle pour
devenir le porte-parole des rebelles. Il est allé jusqu’à traiter les Ivoiriens
d’« imbéciles ». Heureusement, la France a recommencé à faire de la diplomatie depuis la nomination de Gildas Le Lidec à Abidjan, en décembre 2002.
J.A.I. : Pouvez-vous être crédible en appelant aujourd’hui à la paix, vous qui avez jeté les « jeunes patriotes » contre les forces de l’opération Licorne, dans le but de « libérer » Bouaké ?
C.B.G. : Je ne cherchais pas la guerre. Je voulais juste faire pression sur la France et les Forces nouvelles pour qu’elles comprennent que notre pays en a marre d’être coupé en deux, pris en otage et économiquement étouffé depuis plus d’un an. L’appel semble
d’ailleurs avoir été entendu, parce qu’il a été suivi de la réunion de Yamoussoukro qui a défini les modalités du désarmement des rebelles.
J.A.I. : Après avoir animé le mouvement « Tous contre Marcoussis », ne vous sentez-vous pas responsable du retard pris dans l’application de ces accords, un an après leur signature ?
C.B.G. : Je me suis battu contre ses dispositions inacceptables. Elles tendaient à
placer les forces armées et de sécurité du pays sous l’autorité de ministres rebelles, et à dépouiller l’État de toutes ses prérogatives constitutionnelles. Une fois ces dispositions revues, nous avons toléré les accords de Marcoussis, en soutenant notamment la loi d’amnistie qu’ils prévoient.
J.A.I. : « Je suis xénophobe, et après ? », « Étrangers, dehors ! »…, pouvait-on lire sur les pancartes, lors de vos manifestations…
C.B.G. : Je ne suis pas xénophobe. Je crois sincèrement que la diversité de la Côte d’Ivoire est une chance, et que, si nous ne pouvons pas nous aimer, nous pouvons au moins nous retrouver autour de nos lois.
J.A.I. : Qui est ivoirien, à votre avis ?
C.B.G. : La loi le dit.
J.A.I. : Cela vous choque-t-il qu’un enfant né en Côte d’Ivoire de parents étrangers ait la nationalité ivoirienne ?
C.B.G. : Absolument pas, s’il en fait la demande.
J.A.I. : Alassane Ouattara est-il ivoirien ? Est-il éligible en Côte d’Ivoire ?
C.B.G. : Il y a un flou total de la part de Ouattara lui-même. Pouvons-nous confier notre pays à quelqu’un dont on ne connaît ni les orgines ni les intentions réelles ? Je ne le pense pas.
J.A.I. : La nouvelle mouture de l’article 35 de la Constitution relatif aux conditions d’éligibilité va rendre Ouattara éligible. Êtes-vous d’accord avec sa nouvelle formulation ?
C.B.G. : Non, je ne suis pas d’accord. Je suis déjà en campagne pour le « non » à
l’adoption par référendum de cette disposition. On ne peut confier la Côte d’Ivoire à quelqu’un qui n’a pas de réelles attaches avec elle.
J.A.I. : Vous dites soutenir Marcoussis, et refusez de voter une disposition que ces accords prévoient. Êtes-vous pour ou contre l’application de Marcoussis ?
C.B.G. : À ce stade, il ne s’agit plus d’être pour ou contre. On est en plein dans
Marcoussis. Mais les accords n’abolissent pas la liberté des Ivoiriens de voter librement aux référendums. Ce sont, au contraire, les anciens « marcoussistes » qui sont aujourd’hui dans l’embarras. Sur le foncier rural, le PDCI aura des difficultés à expliquer aux Baoulés que leurs terres peuvent revenir à des allochtones. De même que le RDR ne pourra convaincre les Sénoufos du Nord que les Peuls allogènes ont des droits sur leurs propriétés. Voilà pourquoi ces partis ne veulent pas d’un référendum. Ils ne
veulent pas avoir à s’expliquer avec leurs bases respectives.
J.A.I. : Nombre d’observateurs pensent que le président Gbagbo se sert de vous, au gré de ses choix politiques…
C.B.G. : Il ne peut pas manipuler les centaines de milliers de personnes qui forment la jeunesse patriotique. Quand de Gaulle a lancé l’appel du 18 juin pour libérer la France occupée, manipulait-il ceux qui l’ont suivi ? Je ne suis personnellement sous la férule de personne. Nul, ni rien, en dehors de la défense de la République de Côte d’Ivoire, ne m’a dicté d’arrêter mes études, de « suspendre » ma vie, pour revenir au pays déjà en guerre et m’exposer tous les jours au danger.
J.A.I. : On vous a vu, sur une chaîne de télévision française, ordonner de déchirer des journaux hostiles à Gbagbo…
C.B.G. : On a sorti mon discours de son contexte, manipulé mon propos pour me diaboliser devant l’opinion internationale. C’est de la tricherie. La réalité est tout autre. Je voulais mettre Guillaume Soro, ministre de la Communication, devant ses responsabilités,
pour qu’il assure la diffusion de toute la presse, partout. Les Forces nouvelles refusaient toute diffusion des publications proches de Gbagbo dans les villes sous leur
contrôle. Comment, dans ces conditions, tolérer la circulation des journaux prorebelles en zone libre ?
J.A.I. : Où en sont aujourd’hui vos rapports avec Soro, votre ancien camarade de la Fesci ?
C.B.G. : Il demeure mon ami. Nous n’avons jamais cessé de nous parler par personne
interposée, de nous mettre mutuellement en garde. Je lui souhaite de sortir de son carcan dans lequel il s’est enfermé. Il est aujourd’hui l’adversaire objectif d’Alassane
Ouattara et du sergent-chef Ibrahim Coulibaly, alias IB. Il a joué dans une équipe qui n’est pas la sienne. Soro doit revenir à sa famille naturelle : la jeunesse de gauche. Il lui suffit de dire une seule phrase : « Pardon, je me suis trompé. » Et puis, ce sera
fini.
J.A.I. : Êtes-vous toujours proche de Simone Gbagbo ?
C.B.G. : Elle n’est ni une amie ni une complice, mais une personne que je rencontre si c’est nécessaire. L’ idée qu’elle dirige une aile dure dont je ferais partie est fausse. Je vois son mari plus souvent qu’elle !
J.A.I. : Vous avez donc des rapports suivis avec le chef de l’État…
C.B.G. : Laurent Gbagbo est un chef d’État qui a beaucoup à faire. Je ne le dérange pas par une présence envahissante. Je le vois quand c’est utile, et jamais, comme on le prétend souvent, pour prendre des mots d’ordre. Je suis libre. Le 14 janvier, Soro a limogé Georges Aboké de la direction de la Radiotélévision ivoirienne, avec la bénédiction du président, a-t-il dit. Cela ne m’a pas empêché d’exprimer mon désaccord.
J.A.I. : Pourquoi n’aimez-vous pas le Premier ministre Seydou Elimane Diarra ?
C.B.G. : Parce qu’il ne m’aime pas. Il a traité les « jeunes patriotes » de désœuvrés.
Premier ministre d’un gouvernement de réconciliation nationale, il exclut la jeunesse de la recherche d’une solution à la crise. N’ayant jamais été élu, pas même comme conseiller
municipal, il réclame qu’on lui délègue tous les pouvoirs de la République.
J.A.I. : Le 20 janvier s’est ouvert le procès sur l’assassinat de Jean Hélène, l’ancien correspondant de RFI en Côte d’Ivoire. Son meurtrier présumé bénéficie du soutien – jusque
dans la salle d’audience – des éléments des jeunes patriotes que vous dirigez…
C.B.G. : Je condamne fermement cet acte cruel, à tous égards indéfendable. J’encourage la justice à aller jusqu’au bout dans cette affaire. Personne n’a le droit d’abattre froidement un être humain désarmé. Même en temps de guerre.
J.A.I. : Le conflit vous a propulsé sur le devant de la scène. Avez-vous intérêt à ce qu’il prenne fin ?
C.B.G. : Je tiens par-dessus tout à ce que la Côte d’Ivoire retrouve sa place de pays phare. Et puis j’ai envie de vivre pleinement ma jeunesse, loin des meetings et des manifestations, de me débarrasser de ce poids politique lourd et contraignant à mon âge. Et puis, c’est risqué !
J.A.I. : Vous semblez pourtant choyé, gâté. Tous les jeunes de votre âge ne vivent pas tous frais payés à l’hôtel Ivoire…
C.B.G. : Je ne vis pas continuellement à l’hôtel. J’y dors quelquefois, comme en bien d’autres endroits, pour des raisons de sécurité. Je suis une sorte de « sans domicile fixe », parce que ceux qui en veulent au président Gbagbo cherchent à m’éliminer.
J.A.I. : Recevez-vous toujours de l’argent du palais pour financer vos activités ?
C.B.G. : Pour mes études, je ne reçois qu’une bourse de 400 livres sterling par mois [environ 380 000 F CFA], qui m’a été allouée par la présidence de la République. Je m’en contente, n’étant pas flambeur et n’ayant pas de charge – je suis célibataire, sans
enfant. Je n’ai pas besoin d’argent. Il y a des gens qui me font spontanément des cadeaux, d’autres qui se proposent de m’offrir des billets d’avion quand je voyage. Je vis normalement. À Paris ou à Londres, je dors chez des amis, et non dans des palaces.
J.A.I. : Pour quelqu’un qui se dit aussi modeste, votre parc automobile est impressionnant…
C.B.G. : J’ai deux voitures qui m’ont été offertes. Une 605 avec volant à droite qui m’a été envoyée par les ressortissants ivoiriens en Angleterre, et un 4×4, cadeau d’Angelo Kabila, producteur-manager du groupe de musique Magic System.
J.A.I. : D’aucuns remarquent que vous êtes toujours en bonne compagnie…
C.B.G. : Où ? Quand ? Si vous parlez des femmes, j’en rencontre comme je vois des hommes dans le cadre du combat. Mais je me méfie, étant sur de nombreuses listes de personnes à éliminer. Pour le reste, j’ai ma vie. Après tout, j’ai 32 ans…
J.A.I. : Que ferez-vous à la fin de la crise ?
C.B.G. : Retourner à Manchester pour terminer ma thèse de troisième cycle, avant de revenir au pays pour réaliser un projet professionnel qui me tient à cœur : créer un cabinet de communication.
J.A.I. : Mais vous allez tout de même voter Gbagbo en 2005…
C.B.G. : Je ferai mieux que cela. Je mobiliserai mes troupes pour lui, dans cette
élection qui opposera les républicains, partisans de la démocratie, aux rebelles et prorebelles, adeptes de l’usage de la force armée.

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