Horreur à l’américaine

En 1967, pendant sept mois, les soldats d’élite de la Tiger Force ont multiplié les crimes de guerre dans le centre du pays. En toute impunité.

Publié le 26 janvier 2004 Lecture : 3 minutes.

Les atrocités de la guerre du Vietnam continuent de hanter beaucoup d’Américains. The Blade, un journal de Toledo, dans l’Ohio, a publié en octobre 2003 plusieurs articles sur la terreur qu’a fait régner dans le centre du pays, en 1967, une unité d’élite de la 101e division aéroportée, la Tiger Force.
The Blade (qui veut dire « lame » en anglais ) parle de « la plus longue série d’atrocités de la guerre du Vietnam ». « Pendant sept mois, écrit le journal, les soldats de la Tiger Force ont sillonné la région centrale, tuant des dizaines de civils désarmés – parfois les torturant et les mutilant – dans un déchaînement de violence qui n’a jamais été révélé à l’opinion américaine. »
Dans un autre article, The Blade parle de centaines de victimes : « Des femmes et des enfants ont été délibérément massacrés à la grenade dans des abris souterrains. De vieux paysans ont été abattus pendant qu’ils travaillaient aux champs. Des prisonniers ont été torturés et exécutés. On les a scalpés, et on leur a coupé les oreilles pour les garder comme souvenirs. »
En 1971, poursuit le journal, l’armée a ouvert une enquête qui a duré quatre ans et demi. C’est « la plus longue enquête connue sur les crimes de guerre pendant le conflit du Vietnam ». Ses conclusions ont été que dix-huit militaires pouvaient être poursuivis, mais aucun n’est passé en cour martiale.
Le New York Times a retrouvé et interrogé au téléphone trois des soldats cités par The Blade. L’un d’eux, Rion Causey, qui est aujourd’hui ingénieur nucléaire en Californie, a confirmé son témoignage. Mais il a ajouté : « La Tiger Force n’était pas une bande de pillards qui ravageait le pays. Nous agissions sur ordre. Ce qui se passait était de notoriété publique. Et il y en avait plus d’un qui coupait les oreilles. »
Ce que confirme aussi un autre vétéran joint par le New York Times, Ken Kerney, à présent pompier en Californie. Le troisième, William Doyle, vit, lui, dans le Missouri. Il était sergent dans la Tiger Force. Chef d’une bande d’adolescents, il s’était engagé dans l’armée à 17 ans pour échapper à la prison. Il va encore plus loin : « Au Vietnam, dit-il, j’ai vu des atrocités qui font paraître ce qu’on raconte sur la Tiger Force comme un roman à l’eau de rose. Quand vous êtes dans la jungle, une seconde d’hésitation, et vous êtes mort. Les Viets, je ne sais plus combien j’en ai tué, mais je les ai tués pour sauver ma peau. On dit que la Tiger Force a été une horreur. C’est presque un compliment. Personne ne peut imaginer les abominations que j’ai vues. »
L’homme qui a créé la Tiger Force en 1965 (mais qui n’en faisait plus partie lors des événements évoqués par The Blade) est un colonel à la retraite, David Hackworth, vétéran des guerres de Corée et du Vietnam maintes fois décoré, qui fut par la suite journaliste et écrivain. « Il s’agissait, dit-il, de répondre à la guérilla par la guérilla. C’est devenu très vite incontrôlable. Le massacre de My Lai a fait scandale en 1968, mais il y a eu des centaines de My Lai. On était jugé au nombre de Viets qu’on avait tués. »
L’historien Nicholas Turse, qui travaille à une thèse pour l’université Columbia de New York, a également été consulté par le New York Times. « J’ai lu les articles du Blade, explique-t-il. Mais les archives officielles dans lesquelles je suis plongé sont pleines d’atrocités du même ordre. Il y en a des centaines et peut-être des milliers. Je peux dire sans risque de me tromper, et avec beaucoup de regrets, que les horreurs de la Tiger Force ne sont que la pointe de l’iceberg des crimes de guerre commis par les États-Unis au Vietnam. »
Il n’y a eu, pourtant, que peu de poursuites. Officiellement, selon l’ouvrage publié en 1978 par Guenter Lewy, America in Vietnam, on ne compte pour toute la guerre que trente-six cas qui ont entraîné des comparutions en cour martiale, et vingt condamnations.
Le porte-parole de l’armée, le lieutenant-colonel Kevin Curry, a indiqué au New York Times que les articles du Blade avaient été collationnés avec les comptes rendus des enquêtes précédentes et qu’il n’était pas envisagé de rouvrir le dossier. « Il n’y a pas d’éléments nouveaux, explique-t-il. Les faits remontent à plus de trente ans. Une enquête approfondie a déjà été menée lorsque ces allégations ont été avancées, quatre ans après les événements eux-mêmes. »

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